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Sommaire - Interviews -  Jennifer Lee / Peter Del Vecho (La Reine Des Neiges)


"Jennifer Lee / Peter Del Vecho (La Reine Des Neiges)" de Marc Sessego / Andrée Cormier


Réalisatrice/Producteur
« Frozen » / « La Reine des Neiges »

SFMAG : Comment ce projet a-t-il démarré ?
PV : Cela a commencé avec le pitch de Chris Buck qui, par l’intermédiaire de John Lasseter, nous a présenté trois idées dont l’une était « La Reine des Neiges »... C’est vraiment ce projet qui a résonné chez nous et, il y a environ deux ans et demi, il y a eu le feu vert pour démarrer la production. C’est là que je suis arrivé en tant que producteur, afin de pouvoir commencer à mettre en place les idées qui ont donné le résultat que vous voyez en fait à l’écran. Jen était en train de terminer l’écriture de « Wreck it Ralph », mais quand nous montrions des versions « test » du film, Jen venait avec les autres scénaristes et les réalisateurs pour nous donner ses notes. Ses notes étaient tellement bonnes et elle était tellement bien connectée avec Chris Buck, que nous lui avons demandé de monter à bord et, au fur et à mesure, John Lasseter a dit qu’elle serait vraiment une excellente co-réalisatrice, et c’est comme cela que nous en sommes arrivés là.

SFMAG : Je crois que c’est votre premier film d’animation n’est-ce pas ?
JL : oui, tout à fait.

SFMAG : Le film est super... Pouvez-vous nous parler de l’évolution visuelle du projet ?
JL : J’adore l’histoire originale, il y a de très beaux thèmes comme celui du pouvoir de l’amour au-dessus de la négativité ou de la peur... C’est une histoire très poétique, très symbolique et elle s’adresse un peu à tout le monde. La reine des neiges, on ne sait rien d’elle, elle représente un « mal », et toutes ces choses en font une histoire magnifique. Il y a aussi tout un tas de challenges dans la réalisation car ce film est un médium très concret et pour décider il faut faire des choix. Il nous fallait vraiment répondre à la question « qui est la reine des neiges ? ». Ce n’est pas assez d’avoir un monstre blanc énorme ou juste un vilain, il fallait absolument que nous puissions la comprendre, et au fur et à mesure que nous avancions, nous explorions ce qui se passait dans sa tête, quelle était sa peur... Nous les avons pensées en tant que « sœurs » et c’est à ce moment-là que l’histoire a vraiment commencé à avoir une résonance émotionnelle et que nous sommes arrivés à quelque chose d’intéressant car plus nous la faisions moins vilaine et plus elle devenait un personnage complexe. Dans l’histoire originale il y a un garçon se nommant Kyle et nous avons transposé les qualités de Kyle à Elsa. Et je crois que c’est à ce moment-là que nous nous sommes vraiment dit que nous tenions quelque chose.

SFMAG : Quels furent vos rôles respectifs, à vous et Chris ?
JL : Il est tellement drôle que nous avons fini par rire du fait que nous n’avons jamais eu une seule engueulade, nous avons eu un ou deux moments où nous nous sommes emportés passionnément sur le projet, au niveau discussion mais ce fut génial. Au moment où je suis arrivée sur le projet Chris et moi avons immédiatement connecté, j’ai cru en sa vision tout comme il a cru en la mienne. Il avait pitché la fin du film qui est exactement la fin que vous avez vue. Je ne dirai rien de ce moment avant que les lecteurs voient le film, mais tout est venu de Chris et j’y ai cru dur comme fer. Nous savions que nous pouvions nous faire confiance, et quand je suis arrivée comme co-réalisatrice, nous avons divisé les taches : travailler avec l’équipe « histoire », installer les story-boards, environnement et design de personnages... mais nous avons essayé de rester ensemble au maximum. Nous pensions vraiment que nous étions mieux ensemble, nous travaillions avec six cents personnes pour faire ce film, et donc vous vous devez de garder votre vision très forte et ne pas vous en détourner, mais vous devez aussi être ouvert à tout un tas d’idées magnifiques émanant de tous ces artistes. Le fait de se serrer les coudes ensemble, de savoir quoi filtrer... cette « chance » de pouvoir travailler ensemble... les gens ont vu quelque chose chez nous deux et je dois dire que c’est la plus belle collaboration que je n’ai jamais eue.

SFMAG : A Disney, le staff travaille très dur sur la pré-production. Etes-vous allée par exemple en Scandinavie pour établir les décors ?
PV : Nous avions Jennifer sur l’histoire, mais nous avons envoyé notre direction artistique et notre chef de lumière en Norvège et ils ont vraiment été inspirés par l’échelle des montagnes et la grandeur des paysages. L’architecture de l’endroit est absolument saisissante, ce qui était parfait pour le design de notre château, même dans le détail des costumes, tout cela a pu servir d’inspiration et ils ont ramené toutes ces infos de Norvège. Nous avons également envoyé la même équipe au Québec pour comprendre et voir exactement comment se reflétait la glace et ses brillances avec la lumière et nous avons envoyé une autre équipe pour qu’ils puissent vraiment marcher dans la neige et faire toute une série de tests. Nous voulions dès le départ que nos personnages puissent être en interaction avec l’environnement, ne pas juste être au-dessus d’une surface blanche mais être connectés et voir tous les résultats et les effets. Toute cette recherche se voit à l’écran.

SFMAG : Avez-vous toujours vu le film comme un « musical » ?
PV : Dans son concept même, oui toujours ! C’est pour cela que nous avons apporté sur le projet Bobby et Christen Lopez, pour environ dix-huit mois, pendant environ deux heures par jour pour parler de l’histoire, des personnages, et bien avant qu’ils écrivent ne serait-ce qu’une seule chanson.
JL : Ils étaient de supers conteurs d’histoire et nous avions tous le même but : que les chansons puissent faire elle-même avancer l’histoire, si ce n’est raconter quelque chose de nouveau sur le personnage. Il y a eu beaucoup de va-et-vient pour s’adapter à leurs chansons et bien voir ensemble la direction de l’histoire.
PV : Pour que cela fonctionne, il vous faut vraiment une collaboration très étroite, vous ne pouvez avoir des chansons comme ça dans le film, juste par ce que la chanson est belle, ça ne voudrait plus rien dire. Tout doit pouvoir s’imbriquer parfaitement.

SMAG : Pouvez-vous nous parler d’Olaf qui n’apparaît qu’au milieu ?
JL : Chris est un fabuleux animateur, il adorait l’idée de ce personnage qui pouvait se démonter tout seul, et se « remonter » tout seul sans aucune douleur, et je crois que nous aimions tous ce concept. Olaf arrive dans l’histoire quand cela est propice à Anna, c’est son voyage si je puis dire, il est important pour l’histoire des filles, il n’est pas juste un personnage que nous avons mis dedans comme cela. Lorsqu’elles le construisent alors qu’elles sont toutes petites il ne prend pas vie. Ça c’est l’inspiration d’Elsa quand elle « construit » Olaf plus tard, il est imbibé cette innocence, l’un des plus beau et heureux moment de sa vie avant que tout ne parte en « lambeaux » si je puis dire. Il représente cette joie. Quand il est avec Anna, cette mémoire... cette pièce... du fait qu’elles soient sœurs ne partira jamais. C’est cet amour innocent. Il était donc important de le mettre pour qu’il ne soit pas juste un personnage drôle et sans plus, mais qu’il devienne une partie de l’histoire....
PV : Ce que j’adore sur ce personnage innocent c’est qu’il peut dire des choses poignantes et touchantes et qu’il peut apporter de l’émotion au moment propice.

SFMAG : Qui a eu l’idée d’utiliser le cinémascope ??
PV : C’était une idée que nous avions depuis le départ car nous voulions que l’environnement soit un personnage à part entière. Nous voulions que cela joue un grand rôle et nous avons pensé que cet aspect technique aiderait beaucoup l’échelle du film.
JL : Nous avons vu beaucoup de films pour les décors et personnages, la « mélodie du bonheur », « Dr Jivago », « Lawrence d’Arabie », le format « scope » est fou et nous voulions vraiment qu’il transporte le public, nous voulions un film très viscéral, et dès le départ, dès que vous entendez la chanson et que vous voyez cette scie, nous voulions vraiment faire ressentir tout cela et pensions que le cinémascope serait parfait et qu’aucun autre format ne pourrait nous apporter cet effet.

SFMAG : Effectivement, c’est très impressionnant. Quelle fut la séquence la plus difficile ?
JL : Techniquement, la construction du palais des glaces. Créer numériquement de la glace ! La glace peut facilement ressembler au plastique ou au verre, nous voulions une glace à laquelle nous pouvions croire, mais nous voulions aussi « sentir » que vous faisiez partie de cet environnement, sentir cet environnement et que celui-ci se reflète avec toutes ces couleurs.
Pour les effets et la lumière il faut cinquante personnes pour juste un plan... 3 mois pour construire le palais et l’abaissement du grand chandelier. Mais personne ne voulait faire moins qu’une qualité superbe et se surpasser techniquement.
PV : Entre l’histoire, les éléments de l’histoire, les visuels et les aventures épiques, c’était très compliqué...
JL : Et quand on se retrouve dans les scènes de tempête, là c’est très dur. Nous devions faire en sorte qu’on sente cette tempête du fait du récit.

SFMAG : Plus gros challenge pour vous en tant que première réalisation ?
JL : Réaliser c’est énormément de fun, (elle rit)... écrire : vous êtes seule et vous devez résoudre vos énigmes, et vous avez peur de ne pas les résoudre, vous vous sentez comme l’outsider, car vous êtes l’écrivain. Ce que j’adore avec Disney c’est qu’ils sont très coopérateurs... vous sentez qu’il y a une équipe. Donc première étape. Réaliser : vous avez cette vision, des artistes, et ce qu’ils vous amènent est mieux que ce que vous avez imaginé. Mais je crois que là où j’ai appris le plus c’est au niveau de l’animation elle-même, le côté technique de l’animation, j’en suis tombé amoureuse. J’ai toujours adoré l’animation, ce sont mes films favoris, et quand vous voyez tout ce qui doit être entrepris pour réaliser une histoire pareille. Je dois dire que j’apprends toujours...

SFMAG : Donc vous êtes très impressionnée...
JL : Je suis hallucinée par ce que les artistes de Disney vous apportent. C’est une équipe qui travaille ensemble sur chaque film. Nous sommes des centaines et chacun veut faire encore mieux sur le prochain film. Nous voulons apporter des choses que nous n’avons jamais faites, nous voulons un véritable challenge, vous savez les artistes ne sont jamais satisfaits... Travailler dans cet environnement est tellement stimulant, il n’y a pas de plus grand environnement créatif que cela.
PV : Et vous avez John Lasseter qui dit que non seulement Jen est ouverte aux idées, ce qui est une partie très importante de la collaboration, mais en tant qu’écrivain elle apporte un vrai savoir concernant les personnages, et il est très important que les animateurs sachent ce qui se passe dans la scène. C’est une chose dont vous pouvez parler naturellement, et c’est cela qui fait que vous êtes un réalisateur « naturel ».

SFMAG : La copie en salles : est-ce votre montage ?
JL : Disons que c’est « notre » version, à Chris et moi-même. Dans l’animation vous n’avez pas beaucoup d’extra et pour faire un plan cela vous prend plusieurs semaines. Nous travaillons avec eux tous les jours pendant des heures et vous les mettez à rude épreuve ; nous avons beaucoup de scènes avec lesquelles nous avons joué en petits sketches et certaines que nous espérions pouvoir être entièrement animées pour le film mais qui ne « collaient » pas dans l’histoire. A la fin, nous nous sommes dit qu’il est vraiment le film que nous avons voulu faire.

SFMAG : Chaque film est une équipe, donc arrivez-vous en tant qu’ennemie « réalisatrice » ?
JL : Je suis arrivée dessus en tout premier lieu en qualité d’écrivain. Quand vous arrivez en tant que « réalisateur de premier film » on vous dit « qui êtes-vous ? » mais très vite cela s’est bien passé. J’aime les collaborations, je suis ravie de voler les meilleures idées (elle éclate de rire), mais j’adore la collaboration, je connais mon rôle, je reste à ma place. C’est un peu comme trop de chefs peuvent rater un plat, vous ne pouvez faire un film par comité, vous devez avoir une vision solide, et les artistes veulent cela. Si vous pouvez articuler cela, vous ne serez jamais l’ennemi mais si vous ne pouvez pas et ne donnez pas des directions précises et claires... si vous changez d’idée toutes les cinq minutes cela devient plus dur. Je pense qu’il faut être flexible et il faut aussi que toute votre équipe se sente impliquée.

SFMAG : Quelle chanson fut la plus difficile à chorégraphier ?
JL : La scène dans la tempête tout à la fin. Depuis le début, nous avions le moment que j’ai appelé « choix honnête ». Nous savions que nous irions là mais nous ne savions pas comment et nous ne savions pas non plus comment serait la scène... nous avions plusieurs possibilités : des gardes des neiges détruisant le royaume... de la neige et faire une grosse bataille... la réduire aux cinq personnages et que la bataille soit en fait la tempête.... Je pense que ça a été très difficile à faire mais nous y sommes parvenus et nous savions que c’était le meilleur choix ! Mais pour y arriver, quelle aventure !

SFMAG : Des chansons non utilisées ?

JL : Oui, quelques-unes...
PV : Il y a plusieurs séquences de dialogues que Jen avait écrites et qui ne sont plus dans le film. Ce pourrait être une grande et superbe chanson mais elle ne sert plus l’histoire donc il fallait en écrire une autre. C’est cela que nous faisions et cela parfaitement dans le degré de flexibilité que nous avons. Vous devez être flexible et ne pas tomber amoureux des éléments que vous possédez.
JL : Nous avions une super chanson « voulez-vous construire un bonhomme de neige » mais cette chanson modifiait et cassait le rythme du film ; nous l’avions presque enlevée, mais tout le monde au studio nous a dit de ne pas l’ôter. Nous nous sommes tous assis et nous l’avons modifié et ça c’était une collaboration et c’est vraiment la seule chanson que nous ne pouvions pas éliminer.

SFMAG : Etes-vous prête à vous lancer dans le live-action ?
JL : J’ai des scripts, qui vont être produits, donc c’est là mais je n’ai pas encore pensé au-delà de la sortie du film, je suis un peu fatiguée d’avoir enchaîné « Les mondes de Ralph » et celui-ci, donc je pense que je vais juste contempler tout cela pour le moment. Et après je ne sais pas on verra bien.

SFMAG : Que pensez-vous de l’animation 2D ?
PV : C’est ce que j’adore avec le studio, nous faisons de la 2D et de la 3D, même sur ce film nous avons énormément d’influence en 2D.

JL : Oui nous voulions que la magie, celle d’Elsa, ait sa propre magie. Il y a quelque chose de vraiment charmant sur ce que peut faire l’animation 2D, avec les mains, cela apporte cette magie d’une certaine manière, et je ne pense pas que le CGI puisse directement amener cet élément et nous passons à côté de cette magie. La technologie change constamment et nous avons vraiment joué avec beaucoup d’outils. Ce que j’adore avec l’animation, plus que tout autre médium, c’est que vous construisez tout de rien et aucune pièce n’est « vraie », vous devez absolument tout créer. Je pense que nous allons toujours essayer de monter la barre le plus haut possible.

SFMAG : Revenons au scope : est-il juste un format ou amène-t-il ses complications ?
PV : C’est un choix que vous devez faire au départ car tout sera contingent du format, mais une fois le choix déterminé ce n’est pas plus dur.
JL : Je pense que c’est superbe car l’œil humain est très cinémascope, pour moi c’est plus facile, les choses vous semblent mieux je pense, et vous pouvez construire de belles compositions visuelles, vous pouvez faire tellement plus. J’étais très excitée par cette idée.

SFMAG : Techniquement on est à 2.35. Quand le film démarre et que l’écran s’élargit c’est très impressionnant, voire « magique »

Marc Sessego
Andrée Cormier

Propos recueillis par Marc Sessego le Jeudi 7 Novembre 2013.
Sincères remerciements à Jennifer Lee et Peter Del Vecho ainsi qu’à Aude Thomas de Walt Disney pour l’avoir organisée.




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