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  Sommaire - DVD -  G - L -  La Stratégie Ender (2013)
"La Stratégie Ender (2013) "
de Gavin Hood

C’est l’adaptation d’un roman de Orson Scott Card qui fut le premier d’un cycle.
Le film est très bien, mais l’adaptation est difficile. Par exemple, le film est très brutal (la guerre c’est brutal) mais le roman de Card est tout en douceur et en finesse. L’horreur de la fin n’en est que plus désespérante.
D’ailleurs Card n’a pas une haute opinion de l’espèce humaine.
C’est la guerre contre des extraterrestres qui ont tenté d’envahir la Terre et qui ont échoué, mais leur menace existe toujours ; cela se passe dans un futur lointain imaginé par Card. La guerre est complètement informatisée, virtualisée pour ceux qui la commandent (mais pas pour ceux qui la font...)
Card est obsédé par le génocide. Toute créature est une créature de Dieu, et même l’espèce le plus nuisible ne doit pas être détruite en son entier...
La fin du film est très culcul. C’est un peu (même très) décalé par rapport au reste du film.
Mais c’est bien la fin de Card !

Voici ce que j’écrivais dans mon recueil « Fantastique » (1998) à propos de « La Stratégie Ender » :
L’ensemble de mon étude sur Orson Scott Card (dans lequel il est souvent question d’Ender) est disponible dans le recueil :

Fantastique - SF - sciences (en Kindle ou en broché)

La science-fiction dans le cycle d’Ender

Le thème principal de la science-fiction de Card dans le cycle d’Ender est la conquête du cosmos et, donc, la rencontre avec d’autres espèces. De ce thème, en découlent plusieurs autres. Celui de la génétique d’abord, science qui caractérise les différences des espèces entre elles et qui semble le mieux convenir à l’auteur pour illustrer ses théories nitzschéennes. L’écologie ensuite, car qui dit génétique, dit espèces avec leur environnement de vie. Enfin, dans l’infinité du cosmos, il faut pouvoir communiquer entre les hommes, et pour cela, il faut mettre en place des systèmes de communication instantanés et gérer tout cela avec l’informatique mise en réseaux grâce à ce système performant. Les mutations génétiques ont des effets curieux sur le peuple de la planète taoïste de la Voie, puisqu’elles produisent chez eux une maladie : la psychonévrose obsessionnelle qui leur fait croire à l’existence des dieux.
Mais la conquête du cosmos et la rencontre d’autres espèces intelligentes ne va pas sans conflits et donc, sans guerre. Le premier livre du cycle : « La stratégie d’Ender » raconte par le menu détail l’entraînement militaire d’enfants surdoués afin de vaincre et détruire une espèce concurrente : les doryphores. De nouvelles armes sont inventées mais nous n’en connaîtront que le principe : « La science a évolué (...) Nous (...) sommes en mesure de contrôler la pesanteur. De la créer, de la supprimer. » Quant aux doryphores, le pouvoir des humains utilise la peur de leur nouvelle invasion pour maintenir l’espèce humaine mobilisée. C’est que ces insectes avaient voulu envahir la terre avec une véritable armada. Seul Mazer Rakham réussit à les vaincre et il participera à l’entraînement d’Ender, car il est parti voyager dans l’espace à des vitesses proches de la lumière et revenu des siècles plus tard alors qu’il n’avait vieilli que de quelques années. Cette méthode permettra à Ender, dans les deux autres volumes de la trilogie, de vivre trois mille années en ayant à peine la cinquantaine... Mais revenons aux doryphores. Graff, l’officier qui suit Ender explique : « Les doryphores étaient des êtres qui auraient parfaitement pu apparaître sur Terre, si les choses avaient tourné autrement un milliard d’années auparavant. Au niveau moléculaire, il n’y avait aucune surprise. Le matériel génétique lui-même était identique. Ce n’était pas un hasard si, aux yeux des êtres humains, ils évoquaient des insectes. Bien que leurs organes soient beaucoup plus complexes et spécialisés que ceux des insectes, et possèdent un squelette interne, ayant renoncé presque complètement à leur squelette externe, leur structure physique rappelait toujours leurs ancêtres, qui devaient beaucoup ressembler aux fourmis de la Terre. » La guerre contre les doryphores se justifie ainsi, selon les militaires :
« (...) Il ne s’agit pas seulement de traduire d’une langue dans une autre. Ils (les doryphores) n’ont pas de langue. Nous avons utilisé tous les moyens possibles pour tenter de communiquer avec eux, mais ils ne possèdent même pas de machines qui leur permettraient de voir que nous envoyons des signaux. Et peut-être ont-ils essayé de nous projeter des pensées et ne comprennent-ils pas pourquoi nous ne répondons pas.
 Ainsi, toute cette guerre repose sur le fait que nous ne pouvons pas nous parler ?
 (...)
 Et si nous les laissions tranquilles ?
 Ender, nous ne sommes pas allés chez eux, ils sont venus chez nous.
 (...)
 Les doryphores ne parlent pas. Ils transmettent leurs pensées et c’est instantané, comme l’effet philotique.
 (...)
 (...) Les doryphores sont des insectes. Ils sont comme des fourmis et des abeilles. Une reine, des ouvrières. »
Et Valentine, la sœur d’Ender précisera encore les choses : « Plutôt que d’amplifier les différences entre les individus, le langage pouvait tout aussi bien les adoucir, les minimiser et arrondir les angles pour permettre aux gens de s’entendre même s’ils ne comprenaient pas vraiment. »
Après avoir détruit les doryphores à la tête des armées humaines, Ender, rongé de remords, retrouvera une reine survivante qui l’attirera sur les lieux de sa cachette en reconstituant une scène du jeu informatique qu’il utilisait lors de son entraînement. Sans l’autorisation de personne, il décidera de l’installer sur Lusitania où elle se reproduira et construira des vaisseaux spatiaux pour retourner vers les étoiles, mais, cette fois, sans esprit de conquête, car, grâce à Ender, la communication a pu être établie entre les deux espèces. Il apprendra encore à mieux les connaître et saura ainsi que les doryphores « voient la chaleur comme nous voyons la lumière. (...) De la peinture thermique » en quelque sorte.
Graff, officier instructeur d’Ender, lui avait parlé d’une grande découverte, la physique philotique qui permet les transmissions instantanées d’un point de l’espace à un autre quelle que soit sa distance. Card n’avait pas encore assez réfléchi à cette physique à ce stade de son œuvre puisqu’il fait dire à son personnage : « Je ne peux pas t’expliquer la physique philotique. De toute manière, personne ne la comprend. Ce qui compte, c’est que nous avons construit l’ansible. Le nom officiel est : Emetteur Instantané à Parallaxe Philotique, mais quelqu’un a exhumé ansible d’un vieux livre... » Explication un peu légère que Card reprendra au début de « Xénocide »... « Les philotes se combinent pour produire une structure durable - un méson, un neutron, un atome (...) - ils s’entrelacent. (...) Les philotes sont les plus petits éléments constitutifs de la matière et de l’énergie. » Mieux encore : « Le philote est l’âme ». Le problème est donc posé de voyager plus vite que la lumière. « Arriver quelque part avant sa propre image. (...) Comme si on traversait un miroir pour rencontrer son double de l’autre côté. » Les humains y parviendront en utilisant les explications de la reine des doryphores. « Quand ils créent une nouvelle reine, ils font venir un genre de créature d’un espace-temps parallèle. » C’est cet espace-temps qu’ils appellent Dehors et qu’ils rejoindront pour créer matériellement leurs désirs. Le royaume de Dieu...
Les êtres humains rencontreront d’autres espèces dans l’univers. Sur la planète Lusitania vivent les Piggies. De petits nains sympathiques à la tête de cochons. Longtemps, les « xénologues » (ceux qui étudient les étrangers) ont cherché quel est le mode de reproduction des Piggies (ou pequeninos). Ils découvriront qu’elle se fait selon un système compliqué de synergie entre l’animal et le végétal. Ces pequeninos, au début gênants, feront frôler la catastrophe à Lusitania, mais, comme, selon Nietzsche, de la catastrophe peut naître la meilleure des choses, ils permettront aux humains de faire une énorme découverte scientifique. En effet, les pequeninos ne vivent et ne se reproduisent que grâce à un virus intelligent, mais mortel pour les humains, la descolada. Cette dernière est « la forme de vie la plus dangereuse de tout l’univers. (...) Elle s’adapte (...) évolue délibérément. Intelligemment.(...) La descolada a été amenée par un vaisseau interstellaire. » Il faudra trouver un virus mutant qui continue à « soutenir » la vie des Piggies mais qui soit inoffensif pour l’homme. Il suffira d’aller « Dehors » pour le réussir.
Une autre espèce est présente dans ce cycle. Elle a la particularité de n’être représentée que par un seul individu qu’Ender a appelé Jane. « Comme tous les êtres intelligents, elle avait un système de conscience complexe. Deux mille ans auparavant, alors qu’elle n’avait que mille ans, elle avait créé un programme d’autoanalyse. Il mit en évidence une structure très simple comportant approximativement trois cent soixante-dix mille niveaux distincts de conscience. » (!) Le lecteur saura que Jane était née des jeux informatiques d’Ender et de l’imagination extraordinaire du joueur, et qu’elle existe à l’intérieur de son corps. Elle communique instantanément grâce aux ansibles. « Il n’est pas trop absurde que Jane ait été créée par les reines pendant la campagne menée par Ender contre elles. »
Card est extrêmement cohérent avec lui-même : sa science-fiction cadre bien avec sa philosophie et sa vision de la religion. Il met en place un système basé sur certaines connaissances scientifiques pour montrer un univers vivant, véritable création en perpétuel mouvement.
Et voici, en guise de conclusion, comment, à la fin, il fait décrire l’univers par un de ses personnages, univers dont la géométrie ne peut pas être euclidienne (c’est le moins qu’on puisse dire) :
« Représentez-vous l’instant présent comme la surface d’une sphère en expansion, d’un ballon qui se gonfle. D’un côté le chaos. De l’autre la réalité. ça n’arrête pas de se dilater (...) de faire jaillir de nouveaux univers continuellement. (...) Envisagez-la comme une sphère de rayon infini (dont la) surface serait absolument plane (..) Et (dont) on ne pourrait jamais faire le tour. (...) Et maintenant, en partant du bord, on monte dans un vaisseau spatial et on se dirige vers l’intérieur, vers le centre. Plus on s’éloigne du bord, plus l’univers vieillit. On retraverse tous les anciens univers. »
Donc, l’univers n’a pas de commencement ni de fin.
« La réalité fonctionne comme ça parce que c’est l’essence de la réalité. Tout ce qui fonctionne autrement retombe dans le chaos. Tout ce qui fonctionne de la même manière passe dans la réalité. »

Alain Pelosato



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