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  Sommaire - Dossiers -  James Horner (1953-2015)

"James Horner (1953-2015)"

Emmanuel Collot
 

Comme un brin de magie qui s’en va

On ne peut décidément plus compter sur la machine. Bien que pilote très expérimenté voilà que James Horner vient de mourir dans l’accident de son propre avion à Santa Barbara, cette nuit même, le 22 Juin 2015.

James Horner est né le 14 août 1953 à Los Angeles. Il fut le fils d’un couple d’autrichiens immigrés, et dont le père, Harry, était déjà connu pour avoir réalisé quelques films. Mais c’est au piano que James trouvera définitivement sa vocation de compositeur de musique de film, et ce dès l’âge de cinq ans où on l’initie à cette sensibilité musicale qui le haussera plus tard au rang des meilleurs du genre. 
Après des études au Royal Collège of Music, puis au lycée de Verde Valley à Sédona en Arizona, il achèvera ses études par un master à l’université de Californie du Sud. Son Doctorat, il le suivra à l’université de Californie à Los Angeles. Pensant se consacrer à l’enseignement de la théorie musicale à l’American Film Institute durant les années 70, il se consacrera définitivement à la composition musicale à la fin des années 70.

Il faudra attendre donc l’année 1979, et son très beau premier essai sur "Les mercenaires de l’espace" par Jimmy T. Murakami et produit par Roger Corman, pour voir éclater les premiers sons électroniques mêlés à des passages plus classiques, le tout donnant déjà ce tout homogène qu’on retrouvera dans ses autres films selon une progression régulière dans les plages dérivées des compositions centrales traditionnelles ; En effet, James Horner est avant tout un compositeur d’atmosphère, perché quelque part entre de puissantes partitions au sein de plages plus classiques très influencées par la musique irlandaise et écossaise traditionnelle. 

Mais c’est "Star Trek 2" de Nicholas Meyer qui le révélera auprès du grand public en 1982. Une cadence presque tribale mêlée à une composition plus classique instaurera vraiment le ton d’un film plus guerrier, peut-être le plus apprécié de la saga pour sa faconde à présenter un combat spatial comme d’un véritable duel de film de cow-boy.Un géant était né. 

Dès lors, c’est le succès. A chaque film se reconnaîtra son art inimitable, pour ne pas dire un véritable savoir, à pouvoir planter les atmosphères qui aux toutes prières notes emportent l’imagination des spectateurs dans une sorte de relation presque intime avec l’univers que Horner illustre. "Illustre", parce que les compositions de ce dernier offraient une véritable épaisseur contextuelle aux films qu’il animait, sans compter cette touche de noir qui en nuancerait toujours l’apparente féerie.

Brainstorm en1983 inventait déjà une symphonie véritablement mystique pour un film qui sans cela aurait accumulé en lourdeurs à cause de la narration utilisé par son réalisateur, Douglas Trumbul. 

La même année, dans "La foire des ténèbres" Horner s’exprime dans un tout autre registre où se fait encore sentir cette mélancolie diffuse qui nous fait toujours hésiter entre le rêve et le cauchemar. On serait même tenté de ramener l’usage qu’il fait des percutions démultipliées à un certain réalisme funèbre. "La foire des ténèbres" de Jack Clayton, inspiré de Ray Bradbury, demeure un film "électrisant" où on sent déjà cette transition presque palpable s’essayant à paramétrer ce douloureux passage entre l’adolescence et l’âge adulte et son bataillon de désillusions. Horner illustre de fleurs vénéneuse cette banlieue presque cosmique où Bien et Mal se convoquent l’un à l’autre afin de rejouer ce drame intime durant lequel les personnages errent dans les ornières d’un espace-temps où se disputent également enfance et âge adulte, rêverie et horreur, dans une période cruciale dont on ne sort décidément jamais indemne. 
 
L’année s’achèvera avec une excursion dans un registre nettement plus épique, mais où on s’amuse à y inclure des éléments plus science-fictionnels, d’où la tentation que l’on pourra avoir de ranger ce film dans le registre dit de la "Science-Fantasy". « Krull » dès les premières images, s’annonce comme un mélange totalement réussi entre un médiéval fantastique proche du conte et des éléments relevant de la science-fiction. L’audace d’un film comme "Krull" de Peter Yates tiendra aussi dans cette bande son enthousiaste où, une fois de plus, les différentes plages du classicisme romantiques alternent avec des passages plus guerriers revus à du pur symphonique ponctué de sons électroniques. Ce qui fait que tant par son concept novateur et culotté que par sa brillante partition musicale, "Krull" enchante encore et toujours les amateurs. Un film "borderline" pour une musique aux antipodes de ce que même à l’époque on était supposé attendre. Et aussitôt un terme surgit : la rupture de ton. Horner entraîne le spectateur dans une musique qui se visualise comme la texture de l’histoire. Horner s’y révèle surprenant par des touches subtiles qui soudain font saillie dans la tranquillité apparente de la bande son. Tout simplement brillant.
En 1985, James Horner s’attaque au classique film de muscles : Commando. Nous étions alors encore en plein dans les années Reagan, et deux figures de proue rivalisaient au box office : Silvester Stalone et Arnold Schwarzenneger. Si l’un enflamma les écrans avec "Rambo", l’autre y répondit avec le très nerveux et monolithique "Commando". Ici, le symphonique se mue en un crescendo efficace, presque une partition de rock où Schwarzenneger, dans ses plus belles audaces et subversions de l’américain moyen prenant tout en main, explose le box office. Horner révèle un nouvel aspect de son talent : l’adaptabilité de son style au contexte, au climat, au genre consacré. Pas de redite ni remplissage mais une partition hachée, en mitraille, très épurée, et qui va droit au but. Quelques années plus tard, la partition quasi militaire de Silvestri pour le « Predator » de Tiernan, irait dans le même sens. 
Puis, c’est l’année 1986 et deux œuvres marquantes pour le cinéma. 

Tout d’abord, "Aliens, le retour", peut-être le meilleurs de toute la saga. Le film de James Cameron marque le ton dès la séquence d’ouverture et ce plan large sur le vaisseau de secours dans lequel dorment Ripley et son chat. Cette espèce de mélodie encore une fois fortement teintée de mélancolie, voire d’une tristesse diffuse, illustre quelque peu le conte de "Blanche neige et les sept nains", mais à l’envers. Ripley/Blanche Neige mord dans la pomme/le sommeil cryogénique pour se réveiller dans le cauchemar d’un futur dans lequel elle n’a plus sa place et où le prince pour l’embrasser est donné manquant. La bande son, magistrale et toute en notes doucereuses, nous fait pénétrer dans les arcanes d’un retour vers l’enfer du rêve au cours duquel la vengeance symbolique de cette Blanche neige/Ripley se transforme en un immense jeu de massacre au bout duquel ce sera elle qui sauvera, sans l’embrasser, et le prince et l’orpheline, après un combat contre la reine des Aliens/la sorcière qui, enfin, brise le miroir pour paraître dans sa réalité la plus crue. Les sept petits nains, ce sont les soldats affrétés par le monde libéral des hommes et qui tomberont un par un, face à cette menace trop étrangère "qui vient de l’intérieur pourtant" (les larves qui éclosent dans les corps des hommes). Le futur fait face à son futur, comme du même décalage qui différencie le conte de l’histoire vraie. La partition progressive de James Horner, coupée au fur et à mesure par les graves mettant en scène les séquences d’action ultra violentes, fait merveille. Si bien que le spectateur se surprend à se demander si tout le film n’obéit par aux notes magiques de ce véritable "metteur en scène musical". La science-fiction la plus noire venait de trouver ses rimes les plus justes, parce que les plus vraies. 

Enfin, la même année, c’est "Le nom de la rose" de Jean-Jacques Annaud qui prouvera une fois de plus la très grande prolixité de ce compositeur hors norme. On passe du conte réaliste sordide d’Aliens à une espèce de fête funèbre de l’obscurantisme et de la culture. La partition prend ici les notes légères et presque éthérées d’une mélodie moyenâgeuse aux accents d’une viole ou d’un violon qui curieusement évoque le cri lointain d’un loup. Et aussitôt on plonge dans ce moyen-âge où enquête une espèce de Sherlock Holmes nostalgique avec son Docteur Watson dont la jeunesse le galvanisera dans cette enquête où se froisse le voile de la toute sainteté devant une guerre pour la vérité. Au bout de cette enquête se révélera le plus grand pêché d’une certaine religiosité : la vérité. Le savoir, et ses conséquences pour le culte de la foi, prend dans ce film des envergures apocalyptiques. La touche finale du film, où c’est une fois de plus la douce illusion de l’amour qui calfeutre et soigne la folie qui est de croire face à un néant qui jamais ne répond, révèle l’essentiel d’une vie qui pourtant aime les grands questionnements. Et derrière le visage du pieu croyant semble soudain se révéler celui d’une humaine humanité où c’est la figure du philosophe ayant vécu qui s’impose. La musique de James Horner, minimale mais profondément humaniste, teinte cette plongée furieuse au bout de la solitude et du grotesque d’une touche de sincérité qui nous rend soudain le film incroyablement contemporain. Dans la grande confusion et le marasme du moyen-âge se font soudain entendre les absurdités étatiques et identitaires d’une époque contemporaine qui se cherche encore derrière le communautaire, les étiquettes et l’orgueil du vedettariat à tout prix, même aux dépends des autres. Le grand savoir ayant échoué, on est à la chasse du cerveau qui peut nous servir ou du corps qui peut nous faire jouir sans payer. Mais toujours avec cette idée d’un amour qui s’échappe, qui se sauve, qui sort du grand jeu de la surenchère, comme de la seule possibilité de savoir ce que c’est que "passer dans le monde" et non plus cette folie qu’on existe plus que d’autres parce qu’on a capté l’œil de la caméra/dieu, grâce au stratagème du sorcier moderne et ses apôtres qui, lui, donne toujours envie d’autre chose. C’est à tout un ensemble de sentiments divers auquel s’adonne Horner au moyen d’accords simples. Un peu comme d’un long exorcisme duquel nous ne pouvons sortir que grâce à une raison bien aiguisée et un cœur pur. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille pour cela se détacher des choses charnelles, mais plutôt s’éloigner de l’industrialisation à profusion des individus. N’est-ce pas en ayant goûté à l’amour, aux plaisirs, qu’on sait apprécier sa propre solitude, et sa finitude ? Annaud fait leçon en mettant Ecco en images, et Horner habille le tout d’un suaire pudique qui soudain nous parle.

1988 marque une nouvelle prouesse, puisque James Horner revient à ses premiers amours : la Fantasy. Quand Georges Lucas, le producteur, et Ron Howard, le réalisateur, l’invitent à réaliser la bande son de Willow, personne ne se doute un seul instant de la performance que l’auteur réalisera alors. D’un mélodique diffus agrémenté d’un chœurs allant selon un crescendo savamment étudié, Horner ne fait pas simplement « comme », il installe son propre style, et se hisse au niveau du grand John Williams. Et on peut légitimement se demander si Horner ne préparait pas déjà les partitions musicales du futur « Seigneur des Anneaux » de Peter Jackson avec un certain Howard Shore aux commandes. Peu de compositeurs, hormis John Williams, parvenaient alors à enivrer les spectateurs. Mais aux premières notes d’un film qui au départ ne devait être qu’une bluette Fantasy voilà qu’on se prenait à y rêver, comme devant un grand spectacle. Ceci fait qu’à la magie de Lucasfilm, où excellait un Val Kilmer transfiguré, se rajoutait soudain celle d’un compositeur hors normes qu’on aurait rêvé voire œuvrer sur un vrai remake de Conan le Barbare. Précurseur, James Horner l’avait toujours été. 

James Horner achèvera l’année 1988 avec un beau retour au grand film d’action. Dans "Double détente" de Walter Hill, il retrouve Schwarzenneger et James Belushi pour un tango infernale dans les rues d’une Amérique où soudain s’invite un colossal policier russe. Le duo fonctionne et les cuivres puissants alliés aux sonorités plus électroniques de James Horner parviennent encore une fois à donner le ton juste à l’un des plus grands films d’action des années 80. 
Ce sera dans les années 90 seulement que James Horner connaîtra enfin la vraie consécration.
1996. Braveheart de Mel Gibson fait sensation. Tout d’abord son histoire, celle relatant un épisode fameux de la révolte écossaise contre les anglais sous le règne d’Édouard Le Sec. Dans des décors naturels pittoresques, Gibson enchante les esprits en les faisant renouer avec ce qu’ils ont de plus ancré en eux : leur instinct de révolte. Gibson se met en scène dans le rôle du célèbre William Wallace et sa quête pour la libération de son pays du jougs infernal des anglais. Tout aurait pu faire en sorte que ce film rejoigne à son tour les nombreuses « celteries » engendrées par le passé au cinéma s’il n’y avait eu au préalable cette manière unique de filmer. Et ensuite, la bande son de James Horner. Bien loin de faire un boulot d’école Horner dépasse son sujet et transfigure le film en une ode à la rébellion, au combat, faisant de Gibson une icône du grand cinéma d’action. Les mélodies à la cornemuse se succèdent à celles plus chargées en graves au cours desquelles les cuivres engendrent d’une véritable machine à sensation qui durant près de trois heures nous replongent dans toute une époque. Sans parler de cet amour impossible, interdit, entre deux natifs interdits de jouir de leur amour à cause de la domination anglaise. Gibson y gagnera ses galons de très grand réalisateur, Horner son entrée dans la cour des grands compositeurs modernes. Romantisme, passion, drame, et au bout cette prodigieuse satisfaction qui est d’avoir partagé un grand moment d’aventure ; Jamais le cinéma de genre n’était allé aussi loin. Et il faudra attendre 1999 avec le « Treizième guerrier » de John MacTiernan pour qu’un très grand Jerry Goldsmith se hisse au même niveau. Ou encore le Gladiator de Ridley Scott en 2000, pour qu’un Hans Zimmer s’affiche comme un digne héritier de cet autre géant qu’est James Horner.

1997/1998 marque la date du raz de marée "Titanic". Dans cette vision romantique du naufrage du célèbre paquebot James Cameron devait probablement s’être souvenu des exploits passés d’Horner ; Et une fois de plus, on pourra dire que son choix était fort judicieux. Non seulement James Horner comprend Cameron mais en plus il y applique cette couche supplémentaire, cette texture tourmentée et enjouée pour un amour imaginaire qui confère au film ce cachet tout particulier. Film hors du temps pour une bande son intemporelle, Titanic achève le siècle sur une gigantesque fanfare apocalyptique, curieusement confirmée par les faits dramatiques du commencement des années 2000 (Le world Trade Center). Et Horner mettra ici tout son talent à contribution pour nous faire renouer avec des saveurs que nous avons connu ou aurions rêvé connaître. Des chœurs aux cuivres lourds, des refrains aux retombées mélodieuses des cornemuses, Horner se fait l’architecte d’une histoire aussi absurde et impossible que le cours d’une existence où les grandes vérités faisaient de plus en plus place aux grandes histoires d’amour. Ne pouvant plus rêver dieu et les grandes idées de façon sereine on se mettait à rêver aux amours factices que pouvait encore conférer un certain cinéma de genre. Transformant ce Titanic en une Arche de Noé de laquelle peu de gens sortiraient vivants. Le Testament d’un vingtième siècle tourmenté au-dessus duquel on voulait voir planer un amour éternel. Mais, comme dit, et contredisant la théorie de la fin de l’histoire, le début du vingt et unième siècle serait chargé de nous montrer combien il n’en était rien dans le grand réel. On ressortira bouleversé d’un tel film dynamisé par une musique aussi sincère que triste. Le chant du cygne du film de genre. Ou quand la belle fiancée assassinée de Braveheart se souvenait soudain à une autre époque avoir aimé le même sur un bateau, seulement séparés par leur niveau social, et achever ainsi de le tuer parce que tout était contre ça, même le cinéma.

Mais James Horner n’avait pas dit son dernier mot, James Horner était un barde des grandes épopées lyriques. Renouant avec le film antique, voilà qu’il nous donne en 2004, sous la houlette de Wolfgang Peterson, un très grand « Troie ». Là, ses cuivres et ses chœurs dans les séquences guerrières, et ses passes dramatiques servant de transition à des scènes plus intimistes feront comme redonner vie à ce drames ancien dans ce qu’il avait de plus universel, d’Howardien même. Les réflexions d’un Achille (Somptueux Brad Pitt) ne sont pas là sans rappeler combien Robert Ervin Howard (1906-1936) et Homère entretenaient un lien infime où se disaient les choses les plus essentielles sur la vie, la mort, les dieux et l’amour. Une fois encore, Horner jongle entre romantisme existentialiste et drame antique dans un jeu entre personnages dont nul ne sortira indemne ou vivant. La musique de James Horner fait son entrée au panthéon. Une étoile brille dans les cieux, en bonne place à côté de celles de John Williams, Jerry Goldsmith et Hans Zimmer.

Puis par un certain soir du 22 juin 2015, voilà que James Horner s’arrachait au monde par un drame, le sien propre, ce crash qui le fit sortir du théâtre de ce monde pour celui plus inconnu d’un autre. Comme une dernière déclaration d’amour à ce cinéma auquel sa musique avait donné tant d’ailes. Une vie dont l’écho à jamais actuel renvoie toujours les accords, comme d’une mélodie secrète dont l’évocation nous fait renouer à chaque fois avec cette « nostalgie de l’inconnu ».

Nous lui dirons donc à bientôt. Quand on a tant donné à ses auditeurs, qu’ils soient de banlieues ou des quartiers chics, à égalité, on ne fait qu’être porté absent...

Emmanuel Collot


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