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De la construction de quelques cathédrales sonores et de quelques univers de la pop-culture
Lorsque quelqu’un écrit des mots quelque part, il créé un monde, inévitablement, partons de ce postulat simple, et embarquons pour ce voyage aux confins de la conscience humaine et de quelques astres lointains.
Nous le savons aujourd’hui, la pop-culture, et plus particulièrement la pop-culture anglo-saxonne est prolixe dans la fabrication de pièces de mythologies à des fins mercantiles. Mais qu’arrive-t-il lorsque l’espace imaginaire échappe à son créateur et qu’il en arrive à constituer des myriades d’univers parallèles sous des milliers de crânes en feu ? Ce qui est intéressant c’est lorsque les œuvres se mettent à vivre toutes seules, lorsque les œuvres en créent d’autres, lorsqu’une mise en abyme vertigineuse se construit derrière chaque tête plus ou moins cabossée.
Helter Skelter
Chaque Pop-song fonctionne par métaphore, il y a donc le premier degré puis le deuxième degré, c’est-à-dire ce que l’auteur a vraiment voulu exprimer mais il y a aussi le troisième degré : ce que l’auditeur veut bien comprendre. Charles Manson a-t-il réellement compris ce qu’on a dit qu’il avait compris dans le morceau Helter Skelter ? A-t-il vraiment vu dans cette chanson l’annonce d’un conflit racial imminent et destructeur ? Les Beatles ont-ils poussé au crime le gourou de L.A à l’imagination mortellement enflammée ? Ainsi, avec cette chanson, McCartney ne quitte pas son registre sentimental naïf mais il compose mine de rien le premier morceau de heavy-metal de l’histoire. En durcissant la musique, il va, sans le vouloir, créer une deuxième lecture, un mythe brutal, une allégorie du chaos. La violence exprimée dans cette chanson est à l’origine du délire mystique, lui-même à l’origine de la violence réelle et de la mort. Il est donc très intéressant de voir comment la création d’un genre est à l’origine d’un univers mental détraqué lui-même constructeur ou destructeur de mythe, les sixties naïves et hippies ayant été remplacés par la violence et le chaos des seventies, par cet acte fondateur, cette folie meurtrière. L’histoire de Manson est devenue elle-même un mythe de la culture américaine, une culture hybride entre pop, LSD et serial-killers. Ou comment une chanson badine des Beatles peut susciter un univers mental dérangé dans un premier temps et entrer dans la culture pop d’une Amérique fantasmée et malade. La pop-culture aujourd’hui fonctionne de cette manière : par greffons successifs, un mythe succédant au réel, le réel produisant des milliers de paysages mentaux, plus ou moins apocalyptiques.
Musique et SF
A coté de ces quelques délires mystiques, la musique, depuis les années 60, s’est toujours beaucoup intéressée à la science fiction. En effet, certains musiciens ont voulu se servir du réel pour nourrir leur imaginaire, leurs contes modernes, leur paranoïa. Leur terrain de jeu était la guerre froide, la menace atomique ou encore la conquête de l’espace et son apogée : les premiers pas de l’homme sur la lune à l’été 1969. C’est ainsi qu’un David Bowie, suivant les premier pas de Neil Amstrong sur le sol lunaire, invente le voyage par la pop-song avec Space oddity. Les échanges entre Grand-control et Major Tom vont être le premier gros succès de Bowie dont la fascination pour le voyage spatial est tintée d’une certaine ironie lorsque Major Tom sait qu’il ne pourra jamais revenir sur terre et qu’il fait dire à sa femme qu’il l’aime. La conquête de l’espace suscite donc inspiration, fascination mais aussi critique de cette escalade prométhéenne, de cette vanité de l’homme voulant atteindre l’inatteignable, de cet Icare moderne. Malgré cette réticence, Bowie ira au-delà de l’orbite terrestre avec Ziggy Stardust, un extraterrestre androgyne venu sur terre pour être une rock-star. Par la suite, Bowie lui-même sera considéré comme un extraterrestre quand sa propre mythologie personnelle aura pris le pas sur son glam-rock inspiré des astres. On assiste même, dans les années 70, à un échange de bons procédés lorsque Bowie inspiré par les progrès de l’astronomie, inspire à son tour des auteurs de science-fiction. En effet, Philip.K.Dick à l’orée de son délire mystique fait de Bowie un personnage aux côtés du compositeur de musique expérimentale : Brian Eno. Le héros de Siva, lui-même un avatar de Dick, rencontre les deux musiciens et s’imagine dans son délire mystique qu’ils sont des extraterrestres, ceux de la race à trois yeux...Plus que par greffons, nous voyons donc bien que la mystification de la pop-culture agit dans une sorte de cercle vertueux (ou vicieux selon le point de vue). Les fantasmes des uns nourrissent les fantasmes des autres.
Space-Rock
Le LSD et la science-fiction ont inventé le space-rock dont le groupe Hawkwind en est le plus illustre représentant. Le principe de ce groupe est d’exploiter de toutes les façons possibles le thème du voyage intersidéral, quasiment toutes leurs chansons parlent de cela. Ce groupe aura entraîné dans son sillage spatial beaucoup d’autres formations qui traiteront à leur tour de science-fiction. Même si, viré, Lemmy Kilmister ira dans un registre beaucoup plus terre à terre avec Mötorhead.
Comme dans les traces de fumée d’une fusée partant pour l’espace, beaucoup de groupes, de tous les genres et de tous les styles, ont choisi de construire un univers fantasmatique peuplé de vaisseaux spatiaux, de voyages vers l’infini et d’extraterrestres plus ou moins amicaux. La liste doit être trop longue pour être exhaustive ici et nous devons nous limiter à quelques exemples.
Zone 51 et Roswell
Alors que la conquête américaine de l’espace, la vie sur Mars et les extraterrestres trop singuliers pour avoir un genre, ont inspiré beaucoup des personnages azimutés de David Bowie, c’est un autre mythe qui va inspirer les Pixies pour leur album Trompe le monde : la zone 51 et le crash de Roswell. Véritable fascination américaine depuis le début des pulps et des comics dans les années 50, de Flash Gordon à X-files, l’histoire de l’extraterrestre aux grands yeux mortellement touché, lors de sa venue sur terre, a contaminé toutes les formes d’expressions : de la littérature à la bande dessinée, du cinéma à la TV, et bien sûr, de la musique avec cette chanson des Pixies si drôlement intitulée Motorway to Roswell. Black Francis a imaginé un road trip interstellaire qui se serait mal passé et aurait abouti à ce célèbre crash, l’extraterrestre de Roswell prend la parole dans cette chanson pour clamer qu’il voulait juste trouver une terre accueillante avant de reprendre la route de ses vacances. Tout l’avant dernier album des Pixies est rempli de ces obsessions sur les ovnis, ovnis qui en ce début des années 90 vont bientôt devenir un phénomène culturel saisissant et mondial.
Mais tous ces morceaux ne font pas que raconter des histoires, des mythes américains, ils ne font pas que surfer sur la vague des modes et du succès, ils font bien plus que ça, ils créent leurs propres règles, leur propre monde qui est régi par leurs propres lois. En entendant, tous ces morceaux, nous pouvons sentir le vaisseau déchirer notre univers connu, à travers chaque note de guitare. Qu’il s’agisse de Major Tom ou de l’alien de Roswell, les cathédrales sonores qui les accueillent les enferment à la fois dans des univers fantasmagoriques aux confins de la conscience de leurs auteurs mais les placent également au cœur des préoccupations de notre temps avec cette folle ironie qui rend ces morceaux si délicieusement ambigus.
Pour le dire plus simplement : la musique est peut-être la plus apte des expressions à créer de nouvelles utopies, qu’elles prennent forme et consistance dans cet univers ou dans un autre.
La musique peut être le résultat d’un délire métaphysique ou bien sa cause comme nous venons de le voir mais nous pouvons espérer que les song-writers de tout poil continueront encore longtemps à s’affaler sur leur rocking-chair pour lever leurs yeux vers les constellations de tous les futurs mythes.
David Mauro
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