Prolongeant et achevant la trilogie légendaire qui fit rêver des millions de spectateurs, J.W. Rinzler nous donne avec ce troisième Making-Off toute la substantifique moelle d’un rêve né quelque part dans les années 70. Une odyssée qui, même dans ce troisième volet, fit intervenir un nombre impressionnant d’hommes et de femmes durant tout le travail préparatoire jusqu’à la touche finale qui généra de cette folie visuelle sur grand écran. Reprenant les planches originales du story-board, les dessins préparatoires, mais aussi l’élaboration très complexe des monstres animatroniques, costumes, maquettes diverses qui contribuèrent tant à la densité de ce troisième opus, Rinzler n’oublie une fois de plus personne. En outre, comme pour les précédents volets, le lecteur aura ici la joie de découvrir un nombre incroyable d’anecdotes, de détails, de contretemps, jusqu’au choix du bon réalisateur qui au départ avait été un véritable casse-tête pour Georges Lucas.
L’autre avantage de ce fort bel ouvrage est de nous rapporter comment cette dernière aventure a été pensée, repensée, corrigée, discutée, parfois même disputée, par un ensemble de passionnés du cinéma, des angles de caméras, la pyrotechnique, la musique séquencée, les images de synthèse, les décors naturels transformés, jusqu’au contenu du scenario, le découpage de l’histoire et les destinées de chacun des personnages. Plus que tout autre film au monde, Star-Wars fut donc un rêve concrétisé par des utopistes assez fous pour croire qu’on pouvait filmer du western dans l’espace, sur d’autres planètes, faire de la moto dans une forêt sans toucher sol, sauver une princesse et découvrir dans un final apocalyptique qui est le fils prodige et cet autre qui se cache derrière son masque, père et fils enfin réconciliés. Bref, Star Wars ça faisait rêver et rire, mais ça philosophait aussi.
Star Wars est une machine à rêver, un gigantesque mirage collectif qui a pris corps grâce à des magiciens de l’image et des trucages. Folie de croire en du faux, du truqué, insensé de penser un seul instant une marionnette comme prenant corps et vie pour nous parler. Et pourtant, tout le monde s’y laisse prendre, peut-être parce qu’on aura toujours besoin du mensonge d’une pièce de théâtre ou d’un opéra afin de mettre en scène les choses essentielles mais magnifiées de si belle manière qu’une douce philosophie infantile nous nourrira non pas des grandes espérances mais de cet espoir bien modeste qui est de traverser notre si triste vie comme l’un de ces chevaliers, ou quelque autre personnage. Et c’est dans ce rituel si subtil du dédoublement de personnalité induit que chacun pourra s’y retrouver, comme jadis on le fit auprès d’un père ou d’une mère, dans l’un de ces petits cinémas, afin d’éprouver le même choc viscéral et fondamental qui tout jeune encore nous prenait au cœur et au ventre pour nous offrir simplement une présence qui nous tendait la main, un imaginaire revêtu d’un visage familier et conciliant car porteur du plus vieux rituel humain : la dualité bien/mal.
Et que l’on puisse perdre ou gagner tout au long de notre vie, nous savions alors que cette mise en présence, bien loin des manichéismes de nos religions imparfaites, nous inculquait une chose simple et essentielle car très humaine celle-là, cette nécessité d’apprendre, d’évoluer, non pas pour devenir le meilleurs mais meilleurs en soi-même. Bien loin d’une utopie dangereuse ou d’une secte, et malgré les excès et folies des uns et des autres, Star-Wars échappera toujours à toute instrumentalisation, par le simple fait que son message reste universel, sans idéologie, dessein ou projet.
Il ressort de cette lecture un émerveillement à la fois onirique et infantile, comme la curieuse impression de soudain retomber sur la chambre de notre enfance où se cachaient tant de beautés et d’horreurs aussi, de jouets, de maquettes, de bonbons odorants et de bd et comics, de trucs avec ficelles et de lances pierres fabriqués avec un bout de bâton, ce lieu fait de plein de ces lieux comme la fabrique de nos psychés dirimantes. Star-Wars c’est ça, un rêve incessant mais qui ne nous oblige à rien d’autre qu’à essayer de comprendre notre dualité et nous en sortir du mieux qu’on le peut. Ce livre apparaîtra alors comme un aparté bienfaisant dans lequel chaque fan se replongera avec familiarité. A l’image d’un étrange voyageur des limbes revivant la genèse d’un rêve collectif humain qui fait encore espérer l’enfant qui dort en chaque adulte et enthousiasme l’adulte qui s’éveille dans chaque enfant. Aventure visuelle, syndrome émotionnel, Star-Wars demeurera le très grand œuvre d’une humanité qui s’efforce de regarder vers les lumières d’un avenir commun, meilleurs et partagé, nantis de cette sagesse sereine qui est d’avoir su laisser le pire derrière elle, collectivement et individuellement.
Le Retour du Jedi, Le Making-Of, J.W. Rinzler, éditions Akileos, 361 pages, 55 Euros.
Emmanuel Collot