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  Sommaire - TV -  La malédiction du Faucon, ou un magnifique revival du club des cinq
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La malédiction du Faucon, ou un magnifique revival du club des cinq

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1. L’histoire

Un bus tombe en panne à l’orée d’une étrange forêt. Le chauffeur disparu, six adolescents (trois filles, trois garçons) vont décider d’explorer cette forêt. Bien mal leur en a pris, les voilà prisonniers des lieux sans aucune possibilité d’en sortir. Ils sont devenus prisonniers de la malédiction du Faucon.

2. Le contexte

Décomplexé, aux antipodes d’un genre tapageur, « La malédiction du faucon » (2011) de Kirim Luca Schiller et Nina Wolfrum rappellera aux jeunes comme aux plus âgés tout ce que « Le club des cinq » d’Enid Blyton avait de bon pour alors pour tout lecteur blasé par un quotidien qui, jadis, ne baignait pas dans internet et l’invasion des jeux en ligne. En outre, bien loin de se réaliser en tout et pour tout par l’exercice d’un pouvoir subversif (la magie dans la saga Harry Potter »), nos jeunes amis vont tout simplement participer à des rapports triviaux où il s’agira de faire crever l’abcès, faire éclore son mal être à travers chaque intrigue. Enfin, il y aura cette fameuse « pierre de Mana » qui les retient tous prisonniers tout en leur assurant une vie plus facile mais suscitant également la convoitise. Pierre angulaire de leur condition mais aussi de leur libération, elle aura pour conséquence de les faire aller chacun dans des directions différentes, en bien ou en mal, juste avant de les réunir, enfin.

3. Les Lieux

La forêt

Un lieu enchanteur, magnifié par une harmonie des tons confinant à une certaine éternité. La forêt, en tant que lieu central et harmonieux, génère les effectivités et enflamme les passions.

On pourrait d’ailleurs à ce sujet se demander si, concernant cette forêt, il ne s’agirait pas ici d’une bien belle métaphore sur la modernité et ses contraintes, tellement ces jeunes se trouvent pris par cette singulière impression de vivre dans une certaine immortalité, cet état absolu, cette plénitude juvénile, cette soif de puissance qui ravage tant nos adolescences en bien ou en mal. La forêt c’est cette permanence de l’adolescent enfermé qu’il est dans une sphère formatée. Elle pourrait être ici un simple appartement ou une maison, pour ne pas dire un orphelinat provisoire afin qu’on mette les choses sur table. Il y fait beau, on est rassuré et en même temps on ne parvient pas à comprendre ce que veut dire grandir, évoluer. Les divers événements qui adviennent (Panne de courant, etc...) militeront pour cette sortie du cocon familial qu’incarne de prime abord la forêt et son gîte, château faisant autorité et auberge de jeunesse. D’où cette impression de fausse superficialité qui y règne. Inversement au conte classique, la forêt illustrerait ce mode de vie d’un adolescent de plus en plus déresponsabilisé vis à vis de sa conduite dans une société faussement libertaire comportant beaucoup plus de pièges qu’on pourrait le penser de prime abord. Elle ne diffère finalement pas tellement des cités ou villages où nous vivons. C’est un masque.

A contrario, cette forêt comporte une seconde fonction. La modernité, c’est la prison de béton de l’adolescent moderne sédentarisé car séparé de la terre. Le retour qu’il effectue ici vers la terre, et donc vers l’inquiétude, s’annonce comme un rite de passage en même temps qu’un apprentissage à l’autonomie. Même fermée, la forêt provoque émulsion et redécouverte de soi. Anna devient une femme verte, une dame nature. Isabelle apprend l’autorité mais aussi et surtout à s’intéresser aux autres (Costa). David apprend l’humilité. John acquière une certaine idée du courage et de la responsabilité. Costa se met à l’épreuve, brûle tout, cherche à se transformer. Emilie apprendra la confiance en soi. Plus rien ne sera comme avant quand ils sortiront ensembles de la forêt. D’autant plus qu’ils y laissent quelqu’un derrière eux : Silvana. Ils sont en cela préparés au monde des adultes, car ils sont déjà cruels sans le savoir.

Six lieux, six résidences.

Du château où office le maître, austère et cruel, de sa fille, Laura, qui semble prisonnière de règles, du gardien et de son faucon qui doit exécuter les ordres, la petite troupe d’adolescents délaisse peu à peu leurs craintes infantiles pour prendre des risques et acquérir maturité et force, à travers une série de pertes et de victoires aussi insignifiantes pour les spectateurs adultes qu’essentiels pour de jeunes esprits en demande de repères, mais aussi d’assurance.

De l’auberge où on apprend à se critiquer, à faire des reproches, à se construire à travers les autres, à aiguillonner recherches et enquêtes, à s’organiser afin de survivre aux tracas quotidiens, et enfin à aider une gouvernante pour faire avancer ce qui est une fabriques de nouveaux-nés, des adultes en devenir. Parente neutre, à l’amour distancié, la gouvernante incarne une autorité imposant modestie, participation et abnégation, seules conditions nécessaires pour parvenir à une certaine entente entre « naufragés » de la vie en sursit dans un monde mis entre parenthèses afin qu’ils comprennent et apprennent, quelque part entre rêves de jeunes adultes ne voulant pas grandir et cruautés adolescentes.

De la grange aménagée en gigantesque cabane où on se réunit puis se dispute, s’accuse et se remet en question. Salle de jeux, lieu où on ramène les trouvailles volées ou arrachées à une forêt qui ne dit pas tous ses secrets. On lie des pactes on prononce des ruptures. La cabane est le lieu des complots en même temps que celui des germinations infantiles. Puis on la quitte, ce que feront peu à peu les protagonistes de l’histoire qui finiront au haut lieu de toutes les intrigues : le château. Presque un anoblissement.

De la pièce souterraine reliant secrètement le château où on trouve des mets et rations, barres de chocolat et gâteaux, lumières et merveilles. On y trouvera aussi le bâton de pouvoir, et un nouveau jalon ouvrant vers un ailleurs. De la caverne de Merlin on se dirige peu à peu vers celle de Morgane/Silvana. On y est parfois prisonnier, on y est troglodyte, pour, revenant des entrailles du dragon acquérir en savoirs nouveaux tout en rapportant la substantifique moelle symbolique de l’adolescent solitaire qui mange en cachette pour rêver en secret.

De la cabane à plantes ou on fait ses décoctions, puis découvre signes et symboles qui poursuivent l’écriture symbolique de la vaste carte de ce monde clôt à un univers infini. Anna y découvrira sa vocation, en même temps que sa partance définitive vers l’affrontement avec Silvana.

De la tanière à Silvana où Costa la servira. Puis partagera deux pouvoirs, deux manières de régner sur ses partenaires : le miroir déjà découvert dans le château où préside le mystérieux maître et sa fille, devenant ici une transe permettant de voir avec les yeux de ses amis, et cet élixir qui produit l’invisibilité et ainsi permet de dérober tout en s’affichant innocent devant les siens ; Silvana caresse une seule chose : le pouvoir. Costa : une reconnaissance, une renommée ; Si Costa échoue à être un dictateur ce sera pour mieux se raccrocher à ce qu’il a su faire germer en lui : l’honneur. Silvana ne gagne rien, elle a tout misé, elle doit tout perdre. Poussière. Oubli. Elle disparaît, telle Maria Orstic, la médium nazi. Et quelque part, l’Allemagne revit son passé, par une espèce d’exorcisme adolescent.

Mais c’est la forêt qui demeure la centralité, la source. Elle ne possède d’ailleurs pas de chemins mais peut enfermer les imprudents dans des cercles, surtout quand ils dévient du groupe, ou égarent leur pensée. La forêt, en tant que génération des mythes et excavation des symboles qui reviennent à la surface de l’une de ses pierres, constitue l’élément matriciel à partir du quel les adolescent trouveront les repères nécessaires à leur liberté. L’affrontement final avec Silvana n’est que l’absorption du mal par la même originaire, la forêt diluant et dispersant les cendres de celle par qui le mal est arrivé : Silvana/Maria Orstic.

4. Des personnages conflictuels

Ainsi, de petites trahisons en suspicions, de traîtrises en réconciliations, notamment via les affres que connaîtra le personnage très faustien de Costa (Klaus Stenbacher) notamment en conflit avec son père, chacun des membres de cette folle équipée saura faire le passage de témoin et retourner au réel avec comme souvenir cette inoubliable aventure collective et solidaire dont le fin mot est bien évidemment l’amitié solidaire, l’esprit de groupe, choses que la société nous fait souvent très vite oublier avec ses faux groupements uniquement motivés par la soumission et l’oppression. Costa n’est pas sans ressembler dans une certaine mesure à la Claude du « Club des cinq », par ce tempérament vif, indompté, mais qui parfois peut faire des mauvais choix à cause de sa spontanéité et son besoin de pouvoir, de savoir. Ainsi, si pour Claude il s’agit non pas de faire transpirer son mal être de fille qui voudrait être un garçon mais bien son combat pour être d’égal à égal avec ses partenaires masculins, pour Costa c’est un problème de maturité mais également de respect vis à vis de lui-même. En devenant presque le vassale de la sorcière Silvana, Costa marque une déviation involontaire révélant ce qui parfois conditionne des choix de vie radicalement différents chez un adolescent pourtant issu de bonne famille. Ce manque à faire des choix, il le vaincra à la toute fin de l’histoire par une sorte d’acceptation sage.

Conflictuel, névrosé, contrarié, l’univers de « La malédiction du Faucon » s’aligne parfaitement sur nos sociétés modernes où les jeunes ont souvent besoin de s’échapper du rigorisme sacerdotal pour se mettre à l’épreuve dans un contexte décalé, divergent. Tandis que les plus âgés se laisseront entraîner par ce ballon d’air pur, comme d’un salvateur retour à un temps passé mais si précieux dans des sociétés où on vous commande d’aller de l’avant, l’oubli de l’ego permettant le plus souvent de mieux faire fonctionner les rets d’une mécanique du travail inhumaine et mensongère car vous ventant les vertus d’un travail trop long pour une retraite souvent trop courte.

Pour résumer, si nous avons un candidat au nouveau Faust avec Costa, Emily (Juliane Kotzur) campera les incertitudes d’une adolescente en manque de repères, mal dans sa peau mais intègre, Isabelle (Isabella Wolf) se chargera d’incarner celle qui a le plus de caractère, tout en incarnant celle qui a le plus besoin de considérer les autres, quand Anna (Annika Preill) sera l’intellectuelle du groupe, prompte à décrypter tous les ingrédients du mystère, l’éternelle outsider en apparence, mais la plus lunaire du groupe souffrant du sentiment d’exclusion, en même temps que dotée d’un très grand esprit d’entreprise mesuré par un humanisme à fleur de peau. Des six protagonistes, c’est la plus sociable. Côté garçons, hormis Costa, nous avons John (Lukas Amberger) et son esprit très incisif et débrouillard, David (Til Schindler) avec son physique et son charisme.

Bien entendu, le feuilleton souffre aussi des défauts inhérents au genre avec son ethnocentrisme blanc (comme si autrement ça n’aurait pas fait occidental) qui aurait été plus conforme à notre époque s’il avait choisi quelques acteurs issus de l’immigration allemande (Turque, etc...). Mais l’universalisme fait effet quand même et les téléspectateurs seront comblés.

5. Le totémisme animalier

Tout comme dans Harry Potter et bien d’autres séries pour la jeunesse, « La malédiction du faucon » n’échappe pas à l’épreuve du totémisme. Ainsi, l’élément animal est présent, bien que plus succin. Nous n’avons pas là le bon vieux chien Dagobert, gardien de la veuve et de l’orphelin si cher à Enid Blyden (1897-1968) dans « Le club des cinq » ni la Chouette si cher à Potter. Mais nous avons cet étrange Faucon (clin d’oeil au film « Ladyhawke » ?), figure inquiétante et aérienne qui domine ce vaste champ d’épreuves. Ni bon ni mauvais, il va vite se révéler être un jalon essentiel à la quête de liberté du groupe de jeunes amis. Un oiseau qui finira par devenir un homme, homme qui disposera d’une autre partie de l’énigme. Et le jeux de pistes se poursuit, entre souterrain plein de victuailles, château abritant une belle jeune fille du nom de Laura (Miriam Thurau) et son très étrange père, Gabor (Jörg Witt) et usages étranges de la pierre de mana, succédané sud-américain allié à une magie issue de l’Europe centrale (les figures tressées de branches d’arbre propre à la sorcellerie des campagnes). Puis, viennent s’arrimer quelques figures tutélaires du bien et du mal. Le faucon, c’est celui qui voit tout, y compris ceux qui voient à distance (le miroir, l’élixir, etc...) et dérobent sans être vus. Mais il n’est pas thaumaturge, il cherche à communiquer, à parler. Il fut homme qui lorsqu’il redeviendra homme fait éclater l’abcès, et révèle un acte manqué, ou un crime ?

6. La magie et le conflit

Vengeances secrètes

Au fil des deux courtes saisons, quelques personnages s’éclipseront, comme la jolie Laura qui échappe à la forêt. D’autres monteront en réputation comme l’inquiétante Silvana (Masha Müler) dans un rôle parfaitement maîtrisé. Figure du mal féminine, elle se substitue à la fée Morgane de Merlin qui usurpa les pouvoirs du magicien et ancien maître de magie de Silvana, le Baron Konstantin (Thomas Piper), en le transformant jadis en faucon. La magie ici servira donc plus à s’annexer des rets du désire et du pouvoir incarné par Silvana, qui rappelle l’Eve maléfique du film Metropolis face à Daria (Myria Kalmuth) qui est l’incarnation de la fée Viviane de la même légende de Merlin, que comme une réalisation personnelle de l’enfant orphelin face au monde désenchanté (Harry Potter). Mais que Costa illustre en une certaine mesure dans le culte de l’enfant sauvage cherchant à échapper à l’arbitraire d’un père et celle d’une société qui ne l’accepte pas comme il est mais comme il devrait être. Ainsi, si Costa sort de son état d’enfant sauvage du début de l’histoire c’est pour accomplir ce mariage symbolique avec une autre exclue et marginale : Silvana. En outre, deux lignes identitaires s’affirment dans la brusque reprise de leur ego sur le monde. Celle de Konstantin qui, tel un Mad-Max, poursuit une vengeance contre une Silvana qu’il a construite et qui fut l’objet de sa déchéance animale. Celle de Costa qui, tel un John Rambo, cherche à se libérer de la tutelle de l’autorité injuste qui s’exerce dans sa vie : son père.

Résiliences

Ce moyen terme entre l’enfant orphelin (Potter) et l’enfant maltraité (Costa) révèle deux manières de se reconstruire dans le monde des adultes : soit par la reconstruction totale de soi (la saga Potter pourrait évoquer les enfants revenus vivants du génocide juif ou ces enfants noirs imposés de s’intégrer à un monde blanc les ayant assimilés de force après les avoir soumis et exploité, tout en ayant toujours le choix de les exclure) sur le modèle du souvenir (la vision des parents de Potter dans le miroir), soit par une reconstruction partielle de soi. La résilience est possible dans ces deux cas parce qu’il y a une démarche « avec » un imaginaire et non pas une contradiction avec le monde réel. Dans la saga « Star Wars » nous sommes noyés dans le conte de la chute et de l’ascension (les Jedi) sans possibilité de dater les deux événements non chronologiques, pas de possibilité de briser l’urne du rêve au risque de devenir immédiatement fasciste (l’empire), il faut accepter un cheminement. Costa, en choisissant de revenir dans le monde des adultes, décide de faire face au maillon le plus faible de sa vie et donc de ne plus subir le manque de considération du père, probablement lié à l’absence de la mère, contrairement au jeune Anakin dans la saga Star Wars qui, lui, est attaché à la mère.

Ce déni du père est ce qui relie Costa, Anakin et Luke, contrairement à Potter qui, lui, doit repenser et le monde comme représentation et son univers mental comme vide de tout lien parental, hormis la réputation en bien ou en mal de ce qu’on rapporte sur sa mère ou son père. L’orphelin de père et de mère est constructif car il possède une béquille (la baguette magique) dont il hérite et provient d’une filiation. Celui de la mère est forcément attiré par la destruction. Hormis peut-être Costa qui devant le risque de demeurer dans l’enfance et donc dans la permanence décide rationnellement de retourner affronter et le monde réel et celui du père autoritaire, à moins qu’il ne soit en rupture d’avec celui-ci par son inféodation à l’enseignement du père et des règles de la cité, chose que justifierait cette métaphore d’une forêt les retenant prisonniers. Et en refusant cette immortalité induite par son immobilisme de jadis, il se sauve.

Il en ira de même pour Luke qui parvient à reprendre sa maîtrise sur la force (Le retour du Jedi, 1983, Richard Marquand), c’est à dire sur sa libido destructrice tellement liée à la puberté chez l’adolescent. Luke et Costa sont en cela les plus sensés et les moins dépassés par les dangers du conte où on peut tout faire et être, y compris un dictateur, car induits en erreur par rapport aux événements qui arrivent dans notre vie réelle où tout est fatal. Mais leur démarche à tous deux est plus celle d’un appel à la maîtrise, à la sagesse. Ils sont en cela plus chrétiens que leur homologue juvénile, Anakin, comme anéanti par la disparition de la mère et la folie d’un père dont il refuse inconsciemment la filiation peut-être maléfique. Ce qui ne veut pas dire qu’ils attendent une rédemption, et en cela leur démarche constructive faisant fit de l’absence pour affronter le réel les inscrit dans une attitude plus hébraïque. Car accepter la fatalité voudrait dire détruire la sphère de l’imaginaire via laquelle ils veulent se réaliser selon un mode plus méta-symbolique.

Anakin, c’est historiquement le dieu centralisateur et courroucé Yahvé, car il ne connaît pas vraiment son père, un père qui nous punit bien qu’on ne le voit jamais, quand bien même on ne voit que les fléaux avec lesquels il nous assigne des malheurs, parfois sans que nous n’ayons vraiment fait le mal (Job). Ses descendants, Luke et Costa, ne pouvaient l’être que selon une filiation christique, voire laïque, où on réapprend à s’aimer en reprenant la maîtrise et sur le temps et sur l’espace.

7. Le mal et la faute

Le baron Konstantin incarne de ce fait une position médiane puisqu’il rappelle un père fautif ou absent, et dont la quête personnelle sera de résoudre la faute adultère en la personne de Silvana/Morgane, tentatrice et destructrice à la fois car corrompue par une initiation interdite (la magie/le sexe). C’est quelque part un hypocrite. Mais, lui, n’est plus chrétien dans sa lutte, il est matérialiste dans une démarche plus pragmatique sans considération aucune pour ce que fut Silvana mais bien dans ce qu’elle est devenue, ou « est ». Et c’est peut-être là qu’il y a un doute sur la consubstantialité des protagonistes puisque pour Silvana il semble y avoir identité de substance entre la production maligne dont elle semble être le fruit et ce qu’elle incarne dans la forêt. Elle n’a pas existé dans un état antérieur. Elle est la faute. « Être » le mal ne résout pas ici la génération qui l’a sans doute conduite à cet état définitif qui la condamne dès lors à gagner ou à perdre, et donc mourir.

La considération, nettement plus inquisitrice, révèle cet autre aspect du conte où on semble méchant volontairement, alors qu’il est bien dit dans l’un des épisodes que c’est le baron qui l’a corrompu puisqu’il semble l’avoir initié aux arts majeurs. Tout dans son attitude invite à la condamner, comme on pourrait le faire d’une vulgaire droguée dont il semble que toute rédemption est interdite, et dont il faudrait vite se débarrasser, au contraire du baron qui s’en sortira bien puisque disculpé de son acte originaire. Trait misogyne d’une époque qui reproduit le même dénis d’humanité envers le sujet féminin ? Difficulté pour une femme d’être célibataire et autonome à la fois dans le monde du travail autrement qu’en passant pour un monstre, voire un homme ? Il était peut-être intéressant de relever ici la métaphore puisque nous aurions du sortir du conte pour démontrer en quoi le choix rationnel dans le conte moderne peut sauver l’insolvable, à savoir la femme qui se contredit en tant que femme reproductrice et en tant que partie du divin à part entière. Pourtant, pas de rédemption pour Silvana, le baron ne semble pas le pouvoir, ni le vouloir.

Allusion au drame de la pédophilie ? L’allusion ici pourrait être intéressante à faire aussi. L’hypocrisie de nos sociétés à toujours culpabiliser l’enfant pour dédouaner l’agresseur/assassin, tout en sanctionnant l’inhibé qui regarde sur un écran, trouve, il semble, un certain écho à ce niveau. Car, Silvana, par son absence apparente de conscience morale, semble vouée au mal et donc à la punition. L’injustice de sa position renvoie quelque peu à l’injustice de sociétés impuissantes à faire la part des choses entre le meurtrier, la victime, et celui qui se nourrie d’un acte ancien par l’acte de regarder par le trou de la serrure, mais reconduit dans une pratique illicite.

Et nous aurions là une tripartite symbolique fascinante réunissant Dracula/le baron, Mina Harker/Silvana et Reinfield/Costa. Costa voit l’intimité des autres via un miroir, puis un élixir. De plus il peut devenir invisible grâce à la potion concoctée par Silvana qui l’initie à la transgression qui est de voir et de dérober dans l’intimité des autres. Et ce trait symbolique là pourrait renvoyer à ces constructions mentale de l’enfance maltraitée pleine de systèmes d’oppression et de manipulation presque magique où le manipulateur semble un peu caché, à la manière de celui qui à la fin du film « Le magicien d’oz » (1939-Victor Fleming) se dissimule derrière le décors du théâtre, aux commandes d’une vaste machinerie. On pensera ici également à la fameuse nouvelle de Robert Ervin Howard « Le rendez-vous des bandits », et cette technique via un système de verre conducteur permettant de voir celui qui pénètre dans l’espace d’une intrigue, voir celui qui nous voit. Il y a là peut-être toute une systémique scénique rarement mise en scène afin d’expliquer les artifices de la manipulation et de l’emprise sur les esprits, une espèce de machinerie relevant d’un tout autre système de valeurs et de sens, et que le conte parviendrait à éclairer de temps à autre.

Dans « La malédiction du faucon », Dracula/le baron se rétablie et perdure. Costa doit s’adapter tout en acceptant ce qu’il est, et Silvana doit disparaître, condamnée au suicide, à la peine de mort ou au meurtre. La noirceur hypocrite voisine souvent le paradis et les certitudes bien/mal comme d’une fatalité qui peut toucher tout le monde. Et c’est en cela que cette série télé est incroyablement moderne. Car la faute, ce sont toujours les mêmes qui la portent. La forêt ici avec son château ressemble curieusement à notre monde fermé où tout est possible, mais les sanctions tout autant injustes parce que hiérarchisées par une sorte de monadisme structurel et social qui pourrait se réduire à une sorte de revival des privilèges royaux de jadis et d’où l’individu de couleur semble définitivement chassé. Le Baron est un nantis, quelque soit la société et l’ordre moral en vigueur.

8. Un problème de représentativité

Conte de fée à plusieurs niveaux, passage symbolique savoureux entre l’âge ingrat de l’adolescence (?) et celui plus responsable de l’âge adulte (mais ne dit-on pas qu’adulte on vit souvent avec un cadavre ?), « La malédiction du faucon » s’affirme dès lors comme d’une magnifique reconduction de la faconde jadis célébrée par « Le club des cinq ». Il est donc à remarquer qu’il existe comme souvent un ethnocentrisme de bonne aloi qui parfois gêne dans une « Team-Culture » où on oublie souvent qui a participé à son émancipation.

Mais Costa incarne également une figure symbolique et plus exotique du migrant injustement traité dans un monde occidental qui le spolie tout en le dynamisant pour devenir hors la loi et/ou « divergent culturel ». Ce trait, plus sud-américain, apporte un regain d’intérêt pour une histoire qu’on eut peur de voir trop impliquée dans la sphère nord européenne. Ainsi, la belle Laura, qu’on aurait aimé voir plus présente dans les deux saisons, aurait gagné en profondeur en côtoyant par exemple un fantôme et dans une référent ethnique plus africanisant, histoire de se démarquer un peu de la centralité d’une histoire un peu conservatrice.

Cette série télé sans prétention mais sincère s’affiche néanmoins comme une réussite totale qui dépasse le cadre ethnique, peut-être parce qu’elle brasse avec elle des universaux. Elle parlera encore longtemps aux adolescents en manque d’épreuves et de rites de passage tout comme aux adultes voulant refaire ce voyage inverse et impossible vers une adolescence dont ils auraient rêvé ne jamais avoir quitté l’espace de tous les possibles ou préféré exorciser autrement peut-être.

Modeste saga manquant parfois de pertinence, « La malédiction du faucon » et ses deux saisons de 24 et 28 courts épisodes se révèle être une belle aventure télévisuelle dont on peut se demander encore pourquoi en France nous sommes toujours aussi incapables d’en réaliser une autre variante, si ce n’est à cause de ce rationalisme qui est parfois un caprice égoïste quand il s’agit de jouer avec les symboles du conte. Le rationalisme dans le conte n’a tout simplement pas lieu d’être, sauf quand il demeure extérieure, à distance.

Et c’est cette contradiction qui traduit peut-être le mieux la stérilité dans laquelle nous nous confortons dans nos sociétés, où il nous semble prendre peur quand il s’agit de méditer via les artifices du conte sur la mutation non seulement de notre moi mais aussi du monde en tant qu’un « Tout » brassé et non pas unique et fatalement différencié puisque encore engoncé dans son racisme de bonne aloi. Un racisme qui finira par se communiquer à tout le monde par le repli tout aussi fatal sur soi, et qui est une fatale erreur.

D’où peut-être cette amertume qui pourra en prendre certains à la vision de cette belle histoire sincère au possible, devant ce manque de brassage ethnique, dans un monde où on préfère écouter les semeurs d’alertes et leur bon vieux « on est en train de se faire coloniser », plutôt que sur cette acceptation de l’autre comme soi-même ou sans se demander pourquoi cet étranger nous donne l’impression de nous coloniser. Un « autre » qui pourtant allait gaiement en première ligne, dans la grande boucherie que fut la première guerre mondiale, tout en figurant avec le même sourire sur l’étiquette d’un produit chocolaté, histoire de rassurer les blancs sur son humanité, voir sa comestibilité.

Ainsi, la question demeure, mais peu y répondent : Nous sommes tous égaux, mais en va-t-il de même dans la fiction ?

Emmanuel Collot




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