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  Sommaire - Dossiers -  Sadique-Master 2019

"Sadique-Master 2019"

Lothaire Berthier
 

Depuis cinq ans, le mois de mars à Paris, dans le milieu underground, sonne comme un cri de ralliement pour tout fan de cinéma extrême. Au départ festival diffusé sur internet, puis hissé dans les salles parisiennes sans aucun mécénat ni financement extérieur (sinon du crowdfunding les premières années), le Sadique-Master séduit depuis lors par sa programmation ciblée, mais éclectique, avec pour dénominateurs communs l’extrême et l’infâme.
Fréquentation en hausse d’année en année, jury de plus en plus prestigieux, qualité technique de même, et surtout public fidèle autant que varié : tous les ingrédients se réunissent pour imposer le Sadique-Master comme un incontournable des événements cinématographiques parisiens, que l’on raffole du style ou pas, à chaque nouvelle édition. Ainsi que nous le prouvera cette nouvelle itération du cru 2019, à venir le 1er mars à 19h précises.

Vendredi 1er mars 2019

Dès que l’on pénètre dans le cinéma Les 5 Caumartin, même dix minutes avant l’heure fatidique, la vue d’une foule bigarrée parée de vestes en cuir, de t-shirts de groupes de metal extrême et de fringues à dominante noire en dit long sur la fréquentation du festival : on sent là un public rompu à la culture underground. Le temps de faire un tour aux stands de DVD tenus par les fameux Oh My Gore et Uncut Movies et de prendre une bière à la tireuse spécialement installée au stand du cinéma pour l’occasion, nous entrons dans la salle avec une petite dizaine de minutes de retard.
Avant d’entrer dans le vif du sujet nous sont présentés par l’organisateur les membres du jury, composé d’Anthony Hickling – réalisateur et scénariste britannique –, Domiziano Christopharo – réalisateur italien, auteur de deux films présents au festival cette année – et David Didelot – écrivain et éditeur, notamment du fanzine Vidéotopsie, spécialiste du cinéma bis –, encore absent pour le premier film. Nous sont également diffusés le trailer du festival et un court-métrage d’horreur parodique signé No Reason– auxquels nous aurons droit en ouverture de chaque séance.

Pour ouvrir le Sadique-Master, Framed, long-métrage espagnol, mêle habilement les codes et ressorts scénaristiques du home invasion et du torture porn. La critique acerbe du caractère viral et malsain des réseaux sociaux est claire : « Framed » est une application qui bien évidemment n’existe pas, mais reprend la mécanique du streaming à la manière d’Instagram ou de Facebook Live. Le propos du film est ainsi poussé à l’extrême : ce n’est rien de moins qu’une chasse à l’homme sans pitié que deux jeunes gens fous furieux diffusent en direct sur l’application, s’invitant dans une soirée privée pour inciter ses participants à s’entretuer des pires des manières. Un spectacle si sensationnel que la barre exceptionnelle des 30 millions de spectateurs sera franchie à la fin du film... Un tel scénario ne manque pas évidemment d’afficher des incohérences assez flagrantes, entre l’absence de censure du stream dont il est question et l’invraisemblable coupure du réseau de la maison, alors que l’application fonctionne encore… Du même coup, les interactions entre les personnages manquent de véritable naturel, malgré le jeu d’acteur correct, et le film ne peut plus tabler que sur l’extrême violence de ses images, ce qui lui fait bel et bien remplir son objectif de critique de la société voyeuriste instituée par les réseaux sociaux.
Cette entrée en matière particulièrement gore nous conduit à déposer nos bulletins de vote dans une urne stylisée sous forme d’une très belle maquette d’arbre mort, bien qu’un peu déroutante (difficile de distinguer les trous et la note correspondante dans un premier temps, mais on s’y sera très vite).

Avant que ne nous soit présenté le deuxième film, hors compétition, une fausse pub du « divin nectar », champagne à la recette… fort ragoûtante, nous fait tous saliver, puis nous assistons à l’exhumation d’un court extrait d’Opera Mortem, film oublié de 1973 en voie de restauration. Suite à quoi on ne nous fait pas attendre longtemps le premier long-métrage de Domiziano Christopharo, House of Flesh Mannequins, qui nous le présente comme sa version restaurée et complète, en exclusivité mondiale ! Nous voici donc embarqués dans un long-métrage lent, très graphique, frayant avec le pornographique, et parfois involontairement humoristique. Une plongée dans la vie déviante d’un monteur de cinéma travaillant pour un vendeur de journaux véreux vendant sous le manteau des photos d’accidents malsaines, entrecoupée d’une visite dans un club peep-show glauque ou de scènes étranges de Sebastian, le personnage principal, en pleine activité de photographie illégale. Les scènes les plus gores du film se situent à la fin du métrage, ce qui ne gâche pas un effet de suspense somme toute assez réussi sur la longueur du film, mais qui ne rattrape pas un jeu d’acteur assez calamiteux, à la limite du ridicule. Pour autant, si la mise en scène appuyée sur les images les plus osées peut paraître racoleuse, elle demeure l’une des principales qualités de House of Flash Mannequins, dont le déploiement de l’intrigue poussif peut paraître maladroit par moments, notamment dans la manière dont Christopharo présente la relation naissante entre son héros et sa voisine. Reste une thématique macabre et snuffesque très ambiancée, si présente qu’elle en parvient à gommer les principaux défauts du film.
À noter, vers le tiers de la séance, un problème technique important : le bug du processeur son du cinéma et le déclenchement de la « sirène de l’apocalypse », soit presque une demi-heure d’un grésillement assourdissant et ininterrompu, que pourtant le public a adoré, n’hésitant pas à parler d’une « performance de noise pure » que certains absents se sont pris à regretter d’avoir manqué… Quand on vous parlait d’un public déviant !

Samedi 2 mars 2019

Le lendemain soir à 22h, au vu de l’affluence plus importante, de l’arrivée du stand des éditions Camion Noir en plus des précédents, ainsi que de celui de David Didelot pour vendre ses anciens numéros de Vidéotopsie, et les allées-venues du caméraman pour recueillir les avis des spectateurs sur les films passés, il devient difficile de circuler dans le petit hall des 5 Caumartin… Précipitons-nous donc vers la salle aussitôt que l’on annonce le prochain film !

Un nouveau court-métrage de No Reason plus tard, nous retournons sur les terres hispanophones du cinéma bis pour un plongeon dans les tréfonds les plus sombres et malsains d’internet. Enter the deep se montre, du début à la fin, une œuvre froide et flegmatique qui a parfaitement su capter l’essence de son thème. Un étudiant doctorant préparant sa thèse sur Wikileaks et se rendant sur le deep web pour compléter ses travaux y rencontre un hacker, capable de le faire entrer dans un étrange réseau français : « la liberté ». La mise en scène lente et méthodique rend parfaitement compte de la solitude forcée du personnage principal ainsi que de sa descente aux enfers, rythmée par ses découvertes de plus en plus morbides ; les dialogues sont rarissimes, et se résument aux quelques commentaires du directeur de thèse. Sans paroles, par d’habiles visions subliminales de l’écran de l’étudiant, le cercle vicieux se dessine, bien qu’avec nonchalance par moments, pour exposer l’abandon de la thèse au profit de la fascination morbide et suicidaire d’un univers auquel le personnage n’aurait visiblement pas dû se frotter. On ne sent pas l’heure de film passer, mis à part lors des gros plans de masturbation assez gratuits.

Contrairement au vendredi, aucun retard n’est à déplorer ce soir, et c’est bel et bien à l’heure que la foule s’installe pour la projection d’ Xpiation, le dernier rejeton de Domiziano Christopharo, visiblement la coqueluche de cette édition ! Avant le visionnage nous avons droit à Garden of rotten meat, court-métrage SM dont le seul intérêt est d’avoir été réalisé par le performeur d’un spectacle gore durant l’édition 2018 du festival, précédé d’un petit film de No Reason (encore eux !) le parodiant. Hélas le film en question s’avérera l’un des pires de celle de 2019 : un film qui rappelle quelque peu Torment passé l’année précédente, d’un côté par son décor et son ambiance particulièrement dénudés et minimalistes, d’autant plus par l’apathie assommante des scènes de tortures. Lors d’un intermède de questions-réponses amorcé juste avant la projection de Clownado, Christopharo nous a révélé avoir dû engager des acteurs pornographiques pour son cinéma bis, les seuls n’ayant pas peur de salir leur CV ; tout stéréotype mis à part, on ne saurait mieux expliquer pourquoi les hurlements de douleur, les expressions de joie sadique ou la démence du tortionnaire paraissent si artificiels, si ce n’est simulé. Le script exploite le prétexte du rape and revenge en inscrivant la gravité des supplices dans une gradation perpétuelle, allant des coups un peu mous à l’épandage de solvant sur les plaies les plus profondes de la victime ; comment se fait-il que les cris de celui-ci gardent toujours la même intonation ? Pourquoi la prostituée filmant placidement la séance de torture peine tant à laisser transparaître la moindre complaisance et se borne à une inexpressivité inappropriée ? Le constat s’impose de lui-même : on n’y croit pas une seconde, et même les scènes les plus extrêmes, aussi osées soient-elles, en deviennent d’une banalité désolante. La critique sociale sous-entendue par le film, sur fond d’arrière-plan politique italien contemporain, avait le potentiel d’aller loin, mais une telle uniformité dans ce film empêche réellement de s’impliquer dans le message véhiculé. Seul point positif : la construction narrative glissant habilement du torture porn gratuit au rap and revenge. Au reste, bien qu’Xpiation soit bien filmé, on n’y sent que trop la recette au vide abyssal tentant vainement de faire peau neuve.

Alors qu’à deux heures et demie du matin la fatigue et l’ivresse commencent à prendre le dessus sur chaque spectateur, un film japonais énervé, sanglant et « rock ‘N roll » prend le relais pour bien rappeler au Sadique-Master qu’il n’est pas encore l’heure de s’endormir. Un homme victime d’hallucinations torturant à mort ses conquêtes, une femme jouissant du meurtre de ses séducteurs, leur rencontre violente jusqu’à la compréhension et la compassion morbides ; Brutal est une œuvre qui porte bien son nom, dans tous les domaines : fond sonore de heavy metal permanent, montage ultrarapide à la limite du clipesque et stylisation extrême à base d’une déferlante d’hémoglobine hallucinante. Takashi Hirose propose avec Brutal un spectacle totalement décomplexé comme seul le Japon peut en faire, dans une construction enragée n’étant pas sans rappeler les plus belles heures de Kinji Fukasaku : jamais le film ne s’arrête dans son étalage de violences de toute sorte – physique et psychologique, les deux s’entremêlant avec brio – et son esthétisation, à la manière d’un Kill Bill sans chorégraphies de combats outrancières. Dès la fin du film les commentaires élogieux fusent de toutes les bouches, ce qui n’augure que du bon pour la note que lui attribueront les spectateurs…

Pour le dernier film, un problème avec un collaborateur de Sadique-Master nous prive de ses sous-titres français, ce qui nous forcera à écouter plus d’une heure et demie d’anglais argotique à dominante de « fuck » prononcés par des accents texans à couper au couteau ! Mais qu’à cela ne tienne, pour regarder des nanars tels que Clownado, point besoin d’être très regardant sur les dialogues. Le délire prête en effet à rire dès son synopsis, incluant des clowns piégés par un sortilège raté dans une tornade dont ils se servent pour semer le chaos tandis qu’une bande composée d’une strip-teaseuse, un chauffeur de camion, une adolescente fugueuse, un imitateur d’Elvis Presley et un dernier personnage sans caractéristique particulière, tente de faire cesser le carnage, alors qu’une femme fatale se relève d’entre les morts pour régler ses comptes avec le chef des clowns de l’enfer. Inutile donc de chercher une quelconque qualité dans ce méli-mélo cradingue de clownploitation et de sombre émule de Sharknado aux relents de splatter ultra-racoleur, avec un gros plan par éviscération, toujours plus loin dans la surenchère de gore un peu cheap. On serait bien tenté de se laisser séduire par un tel étalage d’idées débiles, de jeux d’acteur ignobles et de crescendo perpétuel dans la violence extrême… Pourtant ce film lance la question de savoir si un nanar volontaire reste un nanar pour autant, l’essence même de ce type de cinéma étant d’entraîner l’affection par la médiocrité de ce qui est créé sérieusement. Un film tel que Clownado aspire à être un film lamentable de manière assumée, et se donne manifestement jusqu’aux moyens financiers pour assurer cette esthétique, si bien que l’absence totale de sérieux dans son entreprise le fait basculer du nanar atomique à la comédie navetesque tout juste loufoque, certes délirante, mais franchement ridicule.

Dimanche 3 mars 2019

Le dimanche venu les films ayant laissé place aux courts-métrages, la fréquentation à la baisse et les stands de Davis Didelot, de Camion Noire et d’Oh My Gore démantelés, par rapport à la nuit de samedi le vide se ressent particulièrement ! L’ambiance se fait un peu plus décontractée, moins portée sur la consommation d’alcool et davantage sur les pronostics pour la remise des prix ou le compte-rendu de ce week-end cinématographique.

L’entrée dans la salle est ponctuée par la distribution de lunettes 3D. Mais pas les lunettes 3D modernes, tout en plastique rigide et aux verres à obturation que l’on vous distribue dans vos chers multiplex : rappelez-vous plutôt des lunettes en carton aux verres rouge et bleu que vous trouviez dans les boîtiers de DVD d’il y a dix ans, que de nostalgie !
Une fois le public installé, le laïus accompagnant la remise des prix commence, alors que David Didelot n’a pas pu rester pour l’annonce des vainqueurs, pour problèmes familiaux. Christopharo prend le micro et emploie son plus bel anglais à décerner une mention spéciale à Brutal pour l’expérience dingue d’un tel visionnage, et le prix du jury à Framed, saluant le regard critique et très juste des enjeux contemporains des réseaux sociaux et de la viralité. Quant au prix du public, les notes sont sans appel : dans les gradins, nos votes sont en faveur du géant japonais Brutal, qui s’en sort donc avec les doubles-félicitations du jury et du public !

La dernière séance consacrée aux courts-métrages peut commencer.
Nous commençons donc par chausser nos lunettes 3D pour le visionnage d’Altered Carbon, un objet filmique non identifié déconseillé aux épileptiques faisant s’enchaîner à vitesses ultra-rapide des images plus glauques et malsaines les unes que les autres, cachées sous la forme d’une fausse publicité ménagère.
Lovesick, objet filmique non moins identifié que le précédent, prend la relève avec huit minutes de plans resserrés sur un corps d’extraterrestre pulvérulent, suggérant le désir du corps humain de manière un tantinet nonchalante.
Le troisième court, Auopssessed (sic) instille un brin d’humour autour de tant de sérieux, et présente avec une légèreté toute parodique une jeune fille cinglée s’amusant d’observer un chirurgien peu consciencieux l’éviscérer et lui faire goûter ses organes.
La suite est plus longue et Muil prend vingt minutes pour mettre en scène un fantasme quelque peu original : la voraréphilie (comprendre : être sexuellement excité par l’idée d’être dévoré vivant). Le moyen-métrage prend ici son temps pour représenter les doutes de son personnage principal, ses interrogations et même ses tentatives pour tenter de mener une sexualité normale. Le métrage ne se prive même pas de quelques touches d’humour bienvenues dans l’atmosphère glauque le nimbant. On regrette simplement de ne pas assister à la concrétisation de ce fantasme…
Les deux courtes minutes suivantes sont consacrées à un très court-métrage énigmatique dans lequel une adolescente se réveille terrifiée dans une maison soigneusement inspectée par sept nains ; yeux, nez, langue, tous les sens sont sollicités. Hélas le spectateur lui peine à réellement savoir où cette bizarrerie l’emmène…
My Fashion Nightmare, s’il ne joue pas non plus la carte de la clarté, prend déjà le parti quant à lui d’avoir un début et une fin plus tangibles, tablant sur de vagues histoires de rivalités entre mannequins, dont l’inconscient collectif se mêle afin de rendre ténue la frontière entre cauchemar et réalité. Un court-métrage porté sur une esthétique très lumineuse, voire flashy par moments.
Le Sadique-Master se conclut finalement sur un moyen-métrage mexicain tout autant sorti sorti de nulle part que ses prédécesseurs, Rosalita, récit halluciné d’un marginal espagnol hanté par la voix de sa défunte mère tandis qu’il retient une femme en otage par amour. Encore une fois l’esthétique du film prime sur tout, entre ordure rurale et hallucinations cadavériques glaçantes, un aperçu cauchemardesque de ce que nos yeux de citadins répugnent à contempler.

Ainsi s’achève la cinquième édition du Sadique-Master, ses films déviants et glauques, son ambiance enjouée et décontractée, ses bonnes tranches de rire et surtout ses découvertes sensationnelles.

Lothaire Berthier

Palmarès :
Prix du jury : Framed (avec mention attribuée à Brutal)
Prix du public : Brutal

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