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Sommaire - Interviews -  Roger Facon


"Roger Facon" de Damien Dhondt


Descendant de Troyens et d’alchimistes, Roger Facon , ancien ouvrier-verrier devenu policier puis écrivain est l’auteur de « Tuer pour Dagon » .

Êtes-vous apparenté à Ludivine Facon qui en 1679 a été victime de la sorcière Péronne Goguillon ? (1)

À l’époque cela m’avait interpelé. L’origine de la famille Facon se situe dans ce coin-là. Ludivine est peut-être une lointaine cousine, déjà victime des agissements des sorcières.

Vous avez débuté dans la vie en devenant ouvrier-verrier.

C’est une phase un peu particulière. J’avais 16 ans et j’ai voulu arrêter l’école. J’arrête l’école en juin. J’avais des copains qui étaient verriers. Ils avaient une autonomie, un salaire. Donc, je veux être verrier. J’ai des parents assez permissif : « tu as tort, théoriquement tu pourrais faire des études ». J’ai déchargé des camions de bouteilles d’acétylène. Lorsque je rentrais chez moi, je ne pouvais même plus retirer mes chaussures. Ma mère m’enlevait mes chaussures et je partais dans ma chambre en titubant. Après avoir travaillé deux mois je suis retourné voir mon directeur d’école. Il m’a repris en me proposant un deal : je devais préparer le concours d’entrée à l’École Normale. J’ai été très bien placé au concours. Depuis cette époque j’ai gardé du monde du travail un respect infini. J’ai échappé au bagne du travail grace à l’école de la République.

Dans votre œuvre vous faites référence aux alchimistes verriers.

C’est autre chose. Moi je viens d’une famille vraiment particulière. Ma grand-mère, passionnée d’ésotérisme et d’occultisme, était la fille d’un alchimiste. Cet alchimiste verrier avait été un disciple de Fulcanelli (2). Il a rencontré Fulcanelli à Bruxelles en 1895. Léon mon aïeul était chef porion dans une mine d’Azincourt et il fréquentait un café où se trouvaient des anarchistes verriers dont Roger Schneider. Je pense que c’est au cabaret du Chat Noir qu’il rencontre Fulcanelli. Fulcanelli le met en cheville avec un gars de Bruxelles. Ils pratiquent une voie particulière de l’alchimie que moi j’appellerais l’alchimie rouge puisqu’elle est liée à la foudre. Ils travaillaient avec des blocs de fulgurite (3). Ça se présente comme un verre rose. Mon aïeul a une autre spécialité : il fait apparaître des fantômes. Ma grand-mère est passionnée d’occultisme de par son père. Léon fréquente aussi le salon des Bréguets (les avionneurs) parce que les Bréquets sont aussi passionnés d’occultisme et lui a une certaine expertise. Ma grand-mère tombe amoureuse d’un pilote d’avion qui va se tuer en 1917. Elle rencontre elle-aussi Fulcanelli.
Moi, je baigne dans cet univers : alchimie du verre, apparition de fantômes. Ma grand-mère possède une bibliothèque immense. Elle m’a fait découvrir les écrits sur l’Atlantide, les collections Angoisse et Anticipation du Fleuve Noir. À l’âge de dix ans je lis tout cela, mais aussi Sartre et « L’Étranger » de Camus. Je baigne là-dedans. J’ai un esprit « déformé » par cette enfance avec « le goût du secret ». Dans la famille on disait des choses qu’il ne fallait pas ébruiter. Grand-père avait déjà la réputation de faire apparaître des fantômes. Cela nourrit mon imaginaire. J’ai une vie onirique intense et je pense que l’écriture a été une façon de me libérer par la création d’un univers un peu tourmenté.

Vous avez écrit un ouvrage intitulé « Fulcanelli et les Alchimistes Rouges ».

Ce sont des gens peu connus. J’ai toujours voulu écrire. Ma grand-mère qui faisait les tarots et l’astrologie m’a averti : « Tu vas écrire, mais tu ne pourras pas écrire ce que je te raconte sur ton grand-père et sur moi avant d’avoir 64 ans ». C’est énorme : j’avais 14 ans quand on m’a dit ça. J’ai tenu cette promesse. J’ai mis quelques petites pistes dans les romans. Mais j’ai un copain qui s’appelle Serge Ottaviani avec lequel j’ai écrit un bouquin sur le cinéma d’Aniche (4). Une des façades avait été dessinée par Fulcanelli avec deux pignons qui représentent des pyramides et avec dans la cour des symboles alchimiques gravés dans la pierre qu’on ne pouvait voir que de l’intérieur : « V.I.T.R.I.O.L. Visite l’intérieur de la Terre. En distillant tu trouveras la pierre cachée ». Ottaviani voulait écrire un livre sur un type extraordinaire : Roger Schneider !
Cela a constitué le signal de l’écriture. Parallèlement j’ai démarré « Fulcanelli & les Alchimistes Rouges », « Fulcanelli Commandeur du Temple », et dans la foulée « Fulcanelli et la géopolitique du diable » . J’ai mis un peu tout ce que ma grand-mère m’avait raconté sur Fulcanelli. En 1928 ou 1929 ma grand-mère a rencontré Fulcanelli à Montmartre. Il lui a demandé de remplacer Roger Schneider. Ma grand-mère n’a pas voulu. Dans « Tuer pour Dagon », au vieux mythe de Dagon s’ajoutent les propos d’Alphonsine Tomasin. Cette voyante que j’ai connue était l’égérie de Léon. Elle voyait les portes des enfers qui s’ouvraient. Des êtres en sortaient pour incorporer des corps humains.

Vous nous apprenez que Dagon est responsable de l’émergence du communisme. Mais en ce cas comment se fait-il que l’Union Soviétique se soit effondrée ?

Il existe toujours un équilibre : le dualisme qu’on retrouve chez les Cathares, le Dieu du Bien et le Dieu du Mal. Deux forces s’opposent : la force blanche et la force noire, la maison blanche et la maison noire. Ce sont des forces qui s’annulent par la production d’éléments positifs et d’éléments négatifs. Mais c’est plus compliqué que cela. Les forces négatives ont toujours aussi un aspect positif. C’est lié aussi aux sept portes du diable : sept tours qui permettent à la Terre d’être en contact avec les régions infernales. Deux tours se trouvent en Irak et en Syrie. C’est à partir de là que j’ai fait « Fulcanelli et la géopolitique du diable ». Pour résumer je « recycle » des éléments de l’enfance, les lectures ou les conseils de lecture de la part de ma grand-mère et des confidences.
Dagon tourne autour de l’ambiguïté. Est-ce que Dagon n’a pas par instants des moments de lucidité ? On le dit endormi ou dans le coma. Il peut y avoir du positif en lui. C’est une créature onirique. J’ai rêvé de Dagon. J’ai essayé de conceptualiser ces rêves et je me suis rendu compte que beaucoup des nouvelles de Lovecraft étaient la retranscription de ses rêves. Mais il est très vague sur Dagon.
Moi je le présente comme un extraterrestre, un Grand Ancien qui s’est abimé en mer. La Terre avait des échanges avec une autre galaxie. Dagon aurait été victime. Il aurait été pourchassé par des forteresses volantes pilotées par d’autres créatures. Il s’est crashé. J’ai essayé de revisiter le mythe de Dagon et en faisant en sorte que l’Anonyme d’Anvers soit quelqu’un qui cherche à empêcher Dagon de se réveiller. En même temps j’ai proposé une histoire policière qui soit cohérente sur Lille et sur Marseille.

Dagon est indirectement lié à la fusillade du Bar du Téléphone (5).

Oui, c’est une période particulière de Marseille. J’ai voulu montrer aussi que derrière les évènements policiers politiques et financiers il devait y avoir des intentions moins avouables qui relèvent plus de l’occultisme que de la politique.

Comment travaillez-vous vos histoires ?

J’écris beaucoup. Mon maître c’est Flaubert. Il m’incite à refaire les phrases. Je retravaille les textes.
Flaubert est un modèle. C’est prétentieux de dire ça. J’essaie d’approcher une certaine perfection de l’écriture. J’essaie de faire des phrases courtes, les plus épurées possible.
Pour la rédaction il y a une logique qui m’échappe. Je ne prépare pas de plan. Je me laisse couler. J’ai quelques idées, mais je n’ai pas de plan vigoureux. J’en ai fait pour certains de mes livres au tout début. Maintenant je me laisse guider. J’ai l’impression que certains personnages me guident à un certain moment. Quand ils parlent et que je relis quelques mois plus tard je n’ai pas l’impression que c’est moi qui ai écrit cela. J’ai assisté à des séances de spiritisme. J’ai vu la déformation des traits. La voix changeait. J’ai même vu une femme parler comme un homme et avec l’accent anglais. Je pense que les Surréalistes ont aussi travaillé ce côté. J’ai parfois l’impression de ramer à contre-courant.

Vous apportez une importante base historique à vos écrits. Ainsi dans « La Flandre insolite » vous nous apprenez que les gens du Nord ont pour ancêtre des Troyens.

Oui, j’ai écrit cela avec Jean-Marie Parent. Je m’étais immergé aux archives à Lille sur les racines un peu fantastiques du Nord. Les Troyens s’y sont implantés. Je me sens plus Gaulois que Français. Je viens plutôt de la gauche dure (par tradition familiale) de tradition anarchiste, mais je me sens proche de la terre. Parfois j’ai du mal à venir en ville, à aller dans des salons. J’ai plutôt tendance à m’enfermer avec mes livres, à pratiquer la méditation. Quand j’écris des bouquins je m’immerge dans chaque personnage. C’est un travail médiumnique. Cette méthode est issue de l’ancrage familial. Je me laisse envahir, puis je restitue. J’ai beaucoup aimé écrire « Tuer pour Dagon » parceque j’ai été flic. J’ai mené pas mal d’enquêtes. J’ai commencé à Wazemmes où dans les années 73-74 il y avait une criminalité assez intense. Il y avait de grosses affaires, beaucoup de trafic, des jeux clandestins. C’était une autre époque. Dans les années 60-70 il y avait aussi un milieu en lien avec le milieu marseillais et avec le milieu belge. J’ai connu le Service d’Action Civique le SAC lié au grand banditisme marseillais, avec des personnages qui descendaient à Marseille. Je les avais comme informateurs. Il y avait des liens avec les services spéciaux. Donc j’ai recyclé quelques figures du grand-banditisme sous d’autres noms.

Les deux truands avec qui s’entretient le capitaine de police Santoni.

Oui, c’est un peu la synthèse de quelques personnages que j’ai connus. Je pars toujours d’un personnage tutélaire, une figure que j’ai connue. Je ne démarre jamais de rien. J’aime beaucoup Lovecraft. Il m’a fait rêver. J’aime bien son écriture et je me suis dit : je vais essayer de rendre hommage à Lovecraft, de porter un regard une lumière sur ce qu’il a créé, en l’occurrence son Dagon qu’il a vu en rêve.

Un extraterrestre confronté à l’occultisme, n’est-ce pas contradictoire ?

Pas nécessairement, parceque le grand-père de Lovecraft était franc-maçon égyptien. Il lui faisait lire des livres sur la franc-maçonnerie et sur l’Égypte. Je me suis dit que Dagon a été nourri à la fois par la mythologie (c’est un dieu mésopotamien) et en même temps revisité par le rêve. Le rêve pour moi est toujours nourri par les contes par la légende, par le subconscient. J’ai eu des périodes très oniriques. Lorsque Lovecraft a traité de Dagon il a évoqué des extraterrestres, des Grands Anciens venus d’une autre galaxie qui d’une certaine manière sont venus nous coloniser et en même temps il s’est nourri par cette mythologie égyptienne de son grand-père reliée à l’Orient égyptien.

Pourquoi l’Alchimiste d’Anvers utilise-t-il comme assassin d’élite une jeune fille dont la seule compétence est d’avoir raté son Bac Pro ?

Il existe une possibilité de rédemption pour les gens en perdition. Elle va éliminer un méchant.
En fait, c’est la clef de l’existence des immortels qu’on appelle Rose Croix. Ils ont quitté notre condition humaine tout en ayant gardé une apparence humaine. Ils sont peut-être ce qu’évoquait Nietzsche quand il parlait du surhomme. Ce sont des gens qui ont quitté la condition qui est la nôtre. Ils se sont élevés. Ce sont de grands humanistes et en même temps ils se sentent une dette envers l’humanité. Ils essaient d’intervenir dans les affaires humaines, tout en respectant le karma humain. Donc, ils ne se mettront jamais en situation d’intervenir directement. Ils suggéreront ou ils vous mettront en condition d’accepter tout en sachant que cela vous place en situation extrême. Mais en même temps cette situation vous permet d’alléger voire d’annuler votre karma, selon le degré du sacrifice plus ou moins consenti.

Dans quel esprit avez-vous écrit « Tuer pour Dagon » ?

Il y a des choses qu’on peut suggérer. On ne peut pas raconter. L’ambiguïté du roman c’est de pouvoir mettre des choses qui relèvent du personnel en le présentant sous l’éclairage de la fiction. Le roman pour moi c’est une forme de réalité. Je viens d’une famille où on faisait apparaître des fantômes, des esprits. Ce ne sont pas des choses très racontables. « Tuer pour Dagon » c’est un hommage à Lovecraft et à ma grand-mère. C’est un peu une espèce de remerciement familial.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

J’ai deux livres en chantier. L’un d’entre eux aura comme personnages Maurice Leblanc et Fulcanelli. Un deuxième traitera de Nicolas Flamel. Je pense faire une trilogie se déroulant aujourd’hui. Dans pas mal de bouquins il y aura des passerelles. Il y a toujours des thèmes récurrents : des forces noires, des forces blanches, des immortels. Même si on a l’impression qu’ils sont assez dirigistes, il y a des choses qu’ils ne peuvent pas faire.
J’ai aussi écrit des polars, mais j’ai de moins en moins envie de le faire. Je continue à écrire des polars, mais à condition qu’il existe une finalité ésotérique, de même pour la science-fiction. Philippe Ward m’a demandé de prendre le relais Louis Thirion. Ce dernier a laissé un manuscrit inachevé. Et pour les quinze ans de Rivière Blanche, Philippe Ward va demander à quelques auteurs dont Michel Pagel et moi de le compléter.

(1) cf. « La Flandre insolite Le plat pays des magiciens » de Roger Facon et Jean-Marie Parent, Éditions Robert Laffont les énigmes de l’univers, 1981
(2) Alchimiste, cherchant à découvrir les secrets de la pierre philosophale. Le fait qu’il soit né en 1839 et a été aperçu en 1953, semble indiquer qu’il aurait découvert les secrets de la vie éternelle.
(3) Les fulgurites sont des morceaux de silice naturelle produits par les impacts de la foudre sur une roche.
(4) Roger Facon et Serge Ottaviani : « La fantastique aventure de l’Idéal Cinéma : mémoire ouvrière et alchimie à Aniche », Abysses Éditions
(5) le 3 octobre 1978 à Marseille se déroule la fusillade du Bar du Téléphone où dix personnes furent abattues pour des raisons inconnues. Les coupables n’ont jamais été découverts. Trois ans plus tard le juge Michel chargé de l’affaire a lui-même été assassiné.

Lire la chronique du livre Tuer pour Dagon par Damien Dhondt :
http://www.sfmag.net/spip.php?article13903

Lire 3000 chroniques de films dans le livre d’Alain Pelosato :
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