| |
Qui aurait pu dire que, dans ces pages dédiées à l’imaginaire, nous parlerions un jour de Quentin Tarantino et de l’un de ses films ? Lui le roi de l’irruption du banal dans l’incongru ou inversement a pris, depuis ses débuts, la tangente d’un cinéma dans lequel les personnages font tout pour avoir une vie normale, pour avoir des discussions badines. Disons-le d’emblée : ce Once upon a time in Hollywood est le chef d’œuvre absolu du maestro. Le réalisateur a toujours excellé dans l’hommage à ce qui le passionne depuis sa plus tendre enfance : le cinéma sous toutes ses coutures et s’est perdu dans ce qu’il ne maîtrise pas : l’idéologie nauséabonde d’un très malsain Inglorious Basterds. Dire qu’il revient en force avec ce film est un euphémisme : le métrage est maîtrisé de bout en bout, excellent dans tous ces aspects, fabuleusement interprété, moralement acceptable et magnifique, émouvant même à tous égards.
Le film suit les pérégrinations d’un vieil acteur sur le retour, magistralement interprété par Leonardo DiCaprio (qui, s’il ne gagne pas l’Oscar cette fois-ci, ne le gagnera jamais) et de sa doublure-cascade et homme à tout faire interprété par Brad Pitt (toujours aussi magnétique et charismatique), évoluant dans un Hollywood fantasmé et nostalgique, en l’an de grâce, charnier (dans tous les sens du terme) 1969. L’année 1969, pour commencer, est une année d’une importance capitale dans l’histoire du cauchemar américain et fait douloureusement écho, 50 ans plus tard à un pays ravagé par la violence, les fanatismes de tous bords et les tueries de masse... 1969 donc, l’année où le rêve hippie prit fin, l’année d’Altamont, des bikers meurtriers, de l’enfer vietnamien, de la fin du summer of love, l’année des meurtres odieux de la Manson Familiy, de l’annonce de l’avènement des sombres et violentes années 1970...On peut néanmoins voir 69 comme l’année du premier homme sur la Lune et de Woodstock mais ce serait occulter sa substantifique moelle, sa vérité profonde.
Il serait également réducteur de considérer Tarantino comme un esthéticien de la violence et rien d’autre, dans ce nouveau film, le réalisateur se fait presque tendre lorsqu’il tente de faire basculer cette année et ce lieu, du cauchemar au rêve car c’est là tout le propos du film : tout le métrage est une tentative désespérée mais belle de conjurer la malédiction et donc de conjurer la violence, ce qui peut paraître effectivement assez paradoxal lorsqu’on connait la filmographie du personnage mais c’est pourtant la réalité : le bon Quentin tente d’adoucir l’effroi et l’horreur par deux procédés habiles, la distanciation fictionnelle d’une part et la réécriture de l’histoire d’autre part, pour ce dernier processus, l’auteur s’en était déjà servi dans Inglorious Basterds mais le but en était à l’époque totalement différent. Dans ce film où il réécrivait l’issue de la seconde guerre mondiale, Tarantino approuvait et légitimait tout ce qu’il y a de plus barbare dans l’esprit humain : le meurtre, la torture, la vengeance à grande échelle et plus honteux que tout : le fait de s’abaisser à être aussi inhumain que son assaillant...Dans ce nouveau film, le cinéaste reprend le procédé de réécriture de l’histoire mais il se sert de tout le processus à des fins totalement différentes, Once upon a time in Hollywood est l’anti-Inglorious Basterds. Ni plus ni moins. Même la scène finale, que certains peuvent voir comme la « signature du maitre », réhabilite, en réalité la vie face à la mort, le rêve face au cauchemar, la douceur de la banalité face à l’irruption, dans le réel, de l’horreur morbide.
L’histoire et l’Histoire
Pour rendre hommage à son propre milieu naturel, Tarantino va devoir mêler son histoire avec l’Histoire réelle de son pays malade et gangrené par ses violents psychopathes. C’est ainsi que les personnages de DiCaprio et Pitt, Rick Dalton et Cliff Booth, vont côtoyer les icônes réelles de l’Amérique : Bruce Lee, Steve McQueen, Roman Polanski, Sharon Tate et bien sûr Charles Manson et sa famille dégénérée. Hollywood n’est pas montré comme il fut mais plutôt comme Tarantino se plaît à l’imaginer et le rêver du fond de sa douce nostalgie, une fabrique à rêves ou les films se mêlent à la vie de ceux qui les font. Même la douce mélancolie du personnage de DiCaprio qui se morfond sur le fait d’être devenu un Has-been est attendrissante et belle dans sa nostalgie fantasmée. On peut reprocher au film son absence d’intrigue, voire ces longueurs mais ce serait ne pas avoir compris le sens de l’œuvre qui est bien plus d’installer une sorte d’intemporalité dans un eldorado cinématographique, Tarantino plante un décor hollywoodien permanent et éternel dans lequel ses héros vivent une vie banale. La fiction évolue en permanence en parallèle avec la réalité et l’histoire se croisant pour faire triompher le rêve au profit du cauchemar réel. C’est bien en cela que le métrage a quelque chose d’émouvant dans sa forme, dans sa négation d’un fait divers paraissant trop absurde pour être validé par l’écran. Nous l’avons déjà dit : le cinéaste avait déjà fait le coup de la bifurcation historique dans Inglorious Basterds et si le procédé est le même ici, le but est totalement opposé. Dans le film sur les casseurs de nazis, Tarantino légitime la violence de manière idéologique appelant les victimes à devenir d’aussi insoutenables bourreaux. Dans Once upon a time...au contraire, la violence du climax n’est là que pour deux raisons : tourner en ridicule la violence elle-même et annihiler une violence bien plus insupportable encore : le meurtre d’une jeune femme enceinte de huit mois. L’uchronie, chère aux lecteurs et aux rédacteurs de ce magazine, sert donc ici à faire triompher la fiction et à proposer une issue favorable, elle sert aussi à prolonger le rêve hollywoodien, cet âge d’or qui prit fin brutalement suite cet innommable massacre.
Finalement, la seule parenthèse, dans ce conte qui commence par « il était une fois » (rappelons-le), est la scène où le personnage de Brad Pitt se rend dans le ranch de la Manson family, l’atmosphère change alors brutalement pour devenir malsaine et poisseuse, comme si le spectateur se retrouvait soudain dans Massacre à la tronçonneuse. Nous suivons alors Cliff Booth sortir de la cité des anges et des rêves pour entrer dans une espèce de sous-monde, infernal et malfaisant, les membres de la secte (pour la plupart des jeunes femmes) occupant une manière d’échiquier démoniaque. Cette longue scène qui suinte le réel n’est là que pour annoncer, par opposition la fiction du climax jubilatoire du film.
Le réalisateur fait, ici, une sorte de synthèse de tous ses films afin de rendre un hommage, ultime celui-ci, au cinéma et à la pop culture. Son amour des séries B et autres serials à la qualité aléatoire l’avait porté à faire des films de genre sympathiques pour ne pas dire fun, bourrés de références, ce qui, au tournant des années 90 collait parfaitement au nihilisme culturel naissant. Ce nouveau métrage élève la culture hollywoodienne au rang de grand art intemporel et l’écrin de cet hommage est enfin le chef d’œuvre définitif qu’on attendait de son auteur depuis Reservoir Dogs en 1992. Le cinéaste a annoncé qu’il ne réaliserait plus qu’un seul autre film avant de mettre un terme à sa carrière pour le grand écran. Gageons qu’il aurait mieux valu que Once upon a time in Hollywood demeure l’apothéose de sa filmographie.
Les anges de la cité
Si Tarantino rend hommage, encore une fois au septième art, il dresse, également, des portraits, fort émouvants de ceux qu’il aime par-dessus tout : les acteurs. Les personnages fictifs de Rick Dalton et Cliff Booth ainsi que le personnage réel de Sharon Tate, constituent, en quelque sorte, une trinité à la gloire de la profession, ces comédiens apportant, à la fois, toute l’intensité émotionnelle du film mais aussi une certaine idée de l’innocence. Le personnage de Sharon, subtilement et délicatement interprété par Margot Robbie, constitue un magnifique fil rouge à l’intrigue et montre une facette de l’actrice que l’on montre rarement : la pureté. Tarantino montre une actrice innocente et lumineuse se réjouissant de la réaction des spectateurs à sa propre performance, alors qu’elle va voir son propre film. La scène est tout simplement géniale, et montre un bonheur simple et un moment ravissant. Le cinéaste réhabilite Sharon en la montrant pleine de vie et de joie de vivre alors que les affreux hippies de la Manson family, non contents de l’avoir horriblement assassinée, la dépeignaient comme méritant un pareil sort du fait de sa vie dissolue et de ses mœurs dépravées. Nous pouvons affirmer que c’est un très bel hommage, plein d’émotion que le réalisateur rend à l’actrice disparue.
De son coté, Leonardo DiCaprio campe un acteur certes narcissique mais surtout fragile, limite dépressif, pour qui on ne peut s’empêcher d’avoir de la sympathie. Rick malgré son égo, malgré sa propension à abuser de l’alcool, ne manque pas d’une certaine pureté, d’un certain idéal qui ne peut que toucher le spectateur. Cliff est une sorte d’ange gardien, il veille sur son ami Rick car il est un roc que rien ni personne ne peut renverser. A la fin du film c’est finalement lui qui évite le massacre et qui empêche qu’on nuise aux acteurs innocents au péril de sa vie mais sous LSD...Tarantino signifie que les acteurs sont des personnes fragiles mais belles qu’on doit s’efforcer de protéger. Le film est une immense déclaration d’amour à cette caste particulière.
La fin du métrage est tout simplement superbe : Sharon Tate invite Rick Dalton à boire un verre avec ses amis et on laisse les deux voisins demeurer dans un eldorado finalement intact, un âge d’or qu’on ne pourra plus jamais interrompre par la brutalité et la violence. Un chef d’œuvre.
David Mauro
Lire 2800 chroniques de films dans le livre d’Alain Pelosato :
123 ans de cinéma fantastique et de SF : Essais et données pour une histoire du cinéma fantastique 1895-2019
|