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Après avoir donné ses lettres de noblesses au récit guerrier ayant pour héros des Orcs, offert une trilogie de grande classe mettant en scène un guerrier diminué et ses acolytes dans de très bonnes aventures à la recherche du grimoire perdu, Nicholls a voulu augmenter les enchères et s’est lancé dans ce nouveau cycle plus tourmenté. Alliant la cinétique, la science des combats propre à Gemmell et les entrelacs politico-ethniques à la manière de Feist (une société de castes rappelant la société inégalitaire Indienne) , voilà que notre auteur s’attaque au mythe du Berserkers.
Historiquement, Les Berserkers étaient une secte ou caste de guerriers qui plaçaient leur vie sous l’égide du Dieu Odin. Leur réputation sanguinaire se fit au grès de leurs carnages sanglants de part les hautes terres du nord qu’ils envahissaient soudainement ou des terres un peu plus au sud qu’ils saccageaient. Aussi furtifs que les quatre vents, ils surgissaient brusquement et, au moyen de cris bestiaux et d’excès guerriers en tout genre (scarifications, mutilations personnelles, etc...) ils terrorisaient leurs victimes (villes, villages, etc...) pour ensuite les massacrer avec une violence sans pareil, une fureur qui était sublimée et maximisée par l’absorption massive de drogues, alcools, hydromels en tout genre, si bien qu’il finissaient par subir une sorte de dédoublement de la personnalité qui décuplait leur force. Il faut parler "d’état Berserk" à leur propos.
Insensible à la douleur, un comportement bestial proche de l’animal, ils se déplaçaient en meutes et étaient insensibles à toute douleur. Ils sont probablement à l’origine de la légende des Loups-garous voir du psychopathe moderne mais organisés en tribus. De l’Anglais "Bear Sark", littéralement poitrail d’ours ou chemise d’ours, les Berserkers et les Wendols ont des accointances communes, et certains vont même jusqu’à dire qu’ils pourraient être des tribus survivantes d’anciennes descendances du Neanderthal, et ce même si on sait que ces Berserkers ont existé autour du neuvième siècle en tant que caste guerrière vouée au culte de la guerre et ses violences comme le viol, qui était faire honneur aux femmes, et le meurtre qui était considéré presque comme une prière.
La grande originalité de Stan Nicholls est d’avoir humanisé un personnage qui cherche à comprendre son mal. Pas vraiment loup-garou mais enclin à l’ultra violence quand il rentre dans cette étrange transe, Reeth Caldason recherche une issue à son enfer quotidien qui l’isole des autres et le confine à la réclusion. En outre, son peuple de guerriers a été massacré et il recherche une vengeance sans autre issue que le sang. En quête d’un remède éventuel à son état de "Berserks" il va gagner le pays de Bhealfa. Ce territoire est régit par un étrange système de castes magiques qui rappelle quelque peu le système de l’Inde. A chaque groupe social correspond un degré du pouvoir magique, les plus basses castes étant toujours les plus mal servies et les autorités dominantes, imposant à l’ensemble son diktat, se revendiquant être un soi-disant gage de juste équilibre entre riches sur-puissants et pauvres à la magie chimérique et peu efficace. Reeth y fera la connaissance de Kutch, un apprenti sorcier aux côtés duquel il va se rendre dans la capitale de ce royaume afin de trouver une mystérieuse société secrète, le Chapitre, qui pourrait détenir le remède à son mal de plus en plus envahissant.
Le voyage sera interrogation sur le pouvoir et ses servitudes, le mensonge, l’aliénation, et les deux compagnons rentreront dans un complexe système où complots, manigances, traquenards et rixes sont le lot quotidien. Mais on y voit poindre également des considérations sur l’honneur. Nicholls nous entraîne dans un monde qui ressort à la fois de certains contextes éthniques, géographiques voir climatiques propres à Robert Howard et sa Fantasy sombre (peuplades barbares, empereurs, éléments déchaînés, beaucoup de topos qui évoquent les premières terres des peuplades primitives) , des systèmes de magie calquées sur les castes sociales, des races magiques comme les Métamorphes (cf les Ceysulis Métamorphes de Jennifer Roberson) , Le Chapitre, les Fondateurs, qui sont d’anciennes société secrètes, Les Pisteurs, sortent de prédateurs chtoniens évoquant les déités lovecraftiennes comme Cthulhu ou Dagon. Nicholls constelle son récit de références, d’archétypes et de correspondances qu’il réactive et introduit dans sa narration comme des éléments nouveaux aptes à édifier un corpus légendaire neuf et cohérent. Cependant, on y parle de Palladin, de Patricien, ce qui dénote tout de même un fort référentiel historique et révoque la thèse d’un monde inventé, totalement imaginé. C’est que nous ne sommes pas dans une trame de High-Fantasy dans ce livre, mais plutôt dans une habile Sword and Sorcery. Les scènes de combats, superbement mises en scène, rappellent Howard ou Gemmell. Elles sont généreuses et totales comme dans tout bon récit guerrier. Au bout du chemin nous aurons un groupe hétéroclite composé de femmes et d’hommes qui accompagnerons la quête de Caldason, chacun ayant sa part d’ombre et ses propres espoirs. Une très belle Sword and Sorcery moins individualiste et plus collective, même si les désirs restent éternellement les même, amours corrosifs, désirs de savoir, envie d’en finir, autant d’enclaves romanesques qui dévoilent une histoire bien plus riche qu’il n’y paraît au départ. Les personnages de Nicholls sont avant toute chose réalistes et traînent avec eux leur passé et leurs chimériques rêves d’avenirs incertains. Un très grand récit menée d’une main de maître qui figurera à coup sûr dans les plus grands moments de l’histoire de la Fantasy.
L’éveil du Vif-Argent, Stan Nicholls, Couverture (toujours aussi belle) de Didier Graffet, traduit de l’Anglais par Isabelle Troin, 362 pages, 20 €.