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Sommaire - Interviews -  Céline Guillaume


"Céline Guillaume " de Emmanuel Collot


 

Il est des femmes écrivains qui savent se montrer si discrètes que leur passage est comme une étoile filante dans le firmament de l’écriture. L’une de ces femmes de plume qu’on n’oublie jamais parce qu’elle touche à l’essentiel, parce que la lire c’est conjurer son mal-être et convoquer notre mal-être à tous. Quand la suivre dans les tribulations de ses personnages c’est prendre un risque, celui de nous remettre en question, nous, le monde, l’autre, elle enfin. Pourquoi nous raconte-t-elle tout cela ? Et voilà que la flèche d’une révélation ancienne parvient à nous terrasser, comme si nous attendions depuis si longtemps cette histoire sans oser le demander.

Deux vies parallèles, deux âmes à l’eau. L’une aux derniers jours de sa vie, coincée dans un Ehpad. L’autre dans ce morceau d’histoire arraché à l’histoire officielle et que les mains de l’auteur rendent assez factice pour abuser les lecteurs et assez fantasmagorique pour enivrer les rêveurs. Au fil des pages on suivra le dénigrement dernier d’une femme qui voudrait revenir au premier matin de son monde, et celle de son double romantique qui voudrait conjurer un monde qui la renie. Refuser l’agonie pour oublier, combattre l’infamie pour exister. Deux facettes de cette femme éternelle commuant cette malédiction ancienne qui est de naître et de ne pas être. Telle la grande Tanith Lee en son temps Céline Guillaume s’installe prodigieusement au panthéon des futures grandes plumes du genre à égalité avec Audrey Françaix et de Léa Silhol. Elégance de style, spontanéité du phrasé, l’auteur nous donne là une leçon d’écriture en même temps qu’un préposé à cette femme qu’elle défend tant dans un monde d’hommes qu’il faut aimer quand même. Si bien que l’on est en droit de se demander si la mystique qu’elle effleure n’est pas aussi éphémère que la goutte de buée du matin sur une frêle pétale de rose. Le prodige de la vision passée, il nous semble n’avoir fait que caresser le miracle que Céline Guillaume tente en vain de nous faire entendre, voir, sentir. Et s’inscrire ainsi comme l’une des plus belles et mystérieuses plumes de cette « New Generation » que l’establishment refuse encore de reconnaître. Un des plus beaux récits du genre. Beau comme une déclaration d’amour. Fragile comme le rire d’un enfant. Triste comme la fatalité qui est de vivre pour mourir sans savoir.

Il fallait donc tenter de percer le secret, exhumer le corps sacré de l’arbre à rêve auquel elle n’a eu de cesse de s’abreuver. Et tenter de mettre à jour ce qui fait que ce récit puissant et pur comme une eau de source ne parle pas de féminisme mais de la féminité dans ce qu’elle aura toujours de plus beau, de meilleurs, malgré les crimes, les injustices, les abandons et les oublis injustes. Ce qui fait que soudain, l’écriture de Céline Guillaume dépasse le singulier, la contingence pour exploser dans l’universalité. Elle ne parle plus aux femmes mais aussi à ces hommes qui s’y reconnaissent à leur tour. Elles ne chantent plus pour un camp mais pour la grande communauté humaine. Et comme par magie voilà que Céline Guillaume nous échappe. Disparaît, s’envole. S’oublie. Pour ne nous laisser que ces larmes et ce « merci ». Pour ces quelques moment passés avec elle. Pour cette bouche mutine au rire d’éternelle enfant qui vient juste de toucher juste où il fallait pour nous redonner l’envie. Cette envie qui s’éteindra avec le deuil du jour, et le silence de la nuit.

Or, voilà que, comme dans le conte, Céline, notre Faune de marbre, danse déjà ailleurs en des clairières sacrées et des forêts illuminées pour, des rubans de ses atours, tracer d’autres histoires dans la trame d’un monde qui s’éreinte et s’épuise à nous cacher. Son chant sans vocalise édifie autant de temples de pierre que de piliers de sagesse pour tous ceux qui ont mal, pour les balafrés, les réprouvés, les salis, les bannis, les trahis, les proscrits et les interdits. Entre la fatale pesanteur d’une vie qui nous lasse et nous délaisse et cette grâce de l’écriture qui est encore du registre d’une plausible liberté.

Interview de Céline Guillaume À propos de « Ad Vitam Æternam » Editions Terre de Brume

Sf-Mag
Chère Céline, c’est un très grand honneur que de te retrouver à l’occasion de ton dernier livre, « Ad Vitam Æternam ». Tout d’abord, d’où t’est venue l’idée de ce titre, car c’est très rare voire périlleux que d’intituler un livre dit de « fantasy » en langue latine...

C.G.
Merci beaucoup pour cet accueil qui me fait chaud au coeur. Cette confiance est un réel moteur pour un artiste. Je suis quelqu’un d’atypique, alors utiliser un titre en langue latine est comme une signature, une trace que je laisserai Ad Vitam Aeternam. Je ne cherche pas à me fondre dans le moule de la dite « fantasy » ou d’un quelque autre genre littéraire. Je suis juste Céline et j’écris du Céline. N’oublions pas par ailleurs que le latin est la racine de notre chère langue française, celle que j’aime défendre dans mes récits. A mes yeux, ce titre était une évidence. Je ne l’ai pas choisi, il m’est apparu en songe…

Sf-Mag
La première chose qui étonne quand on commence à lire ce livre à l’écriture si limpide et belle c’est qu’étant à la recherche d’un thème ou un sujet précis, le baba du récit de genre, on se retrouve face à un essaim de situations différentes vues à travers le prisme d’une femme à la fois en fuite dans un passé proto mythologique et en fin de fin de vie dans un Ehpad. Qu’est-ce qui a motivé cette optique double dans ton récit, fascinante au demeurant ?

C.G.
Pénétrer dans le labyrinthe des émotions, des actions, des lieux : j’aime. Je tenais réellement à faire vibrer le lecteur au fil des pages, que le récit soit haletant et ponctué de situations diverses. Une histoire qui garde son lecteur, ou plutôt, j’ai cette envie de conserver le lecteur à mes côtés, aux côtés des personnages, du début à la fin du cheminement. Si je perds le lecteur à un moment ou à un autre du récit, c’est un pari perdu. J’aime le rebondissement, j’aime l’action, j’aime vibrer avec mes personnages. Le rythme, le phrasé, l’articulation m’apparaissent toujours naturellement pour chacun de mes romans. Passé et présent se chevauchent en une danse savamment composée par ma plume.

Sf-Mag
L’humour ensuite est également très présent dans ton histoire double, nettement plus dans les passages « au présent » que dans ce passé assez tourmenté dans lequel se débat l’héroïne et que tu traites avec une rare maestria. N’est-ce pas un peu à contre-emploi ? Car au final le ton est très sombre.

C.G.
Ce n’est pas incompatible. Pas pour moi. Et s’il s’agit de contre-emploi pour certains, je l’assume pleinement. Notre société prône la vision du « lâcher prise », savourer l’instant présent. Je le retranscris tel que j’ai pu le vivre au côté de ma grand-mère maternelle. C’est elle qui m’a inspiré la genèse de ce roman : son franc parler, son humour souvent cynique, son décalage spacio-temporel, son égarement. Je souhaitais retranscrire au mieux ce présent partagé à ses côtés durant une ou deux heures lors de mes visites.
Pour le côté sombre… On ne peut voir la lumière sans l’obscurité. Une seule chandelle est capable de dissiper l’obscurité d’une pièce entière…

Sf-Mag
Des thématiques aussi diverses que le viol, l’avortement, le saphisme, la castration, la sexualité libre, la perte d’un enfant, l’anti-conformisme émergent face à une société dont cet univers médiéval ne semble n’être qu’un faire valoir afin de mieux rendre poreux des problématiques féminines encore très actuelles rarement mises en avant dans le genre. On pense donc en commençant à te lire que tu parles de toi ou du moins que tu t’investis beaucoup. Or, voilà que tu t’universalises. Non pas pour la cause féminine, ou le féminisme, ce serait encore réduire les femmes à une vulgaire case. Mais simplement envers une féminité retrouvée et surtout respectée. Ce qui ne voudrait pas dire que cette femme ne serait pas un objet mais bien plus qu’elle aurait le pouvoir et le choix d’être objet et sujet à sa propre convenance. Ne serait-ce pas ça, la sorcière, cette Kahina des berbères tant redoutée par un certain patriarcat dominant ? Quelqu’un de libre, à savoir autonome car capable de faire des choix, de dire « oui » ou « non » tout en ne dérogeant pas forcément à une certaine morale de principe une morale de la responsabilité...

C.G.
En effet, je donne beaucoup de moi-même dans mon récit, dans mes récits en général. Donner de soi, ne signifie pas forcément avoir vécu et/ou vivre les situations des personnages. J’étudie les émotions, leur parcours et je m’en imprègne jusqu’au plus profond de mon âme. Passionnée, je me donne sans compter et mes personnages me rendent bien leur confiance et leur fidélité. Si un feu ne brûlait pas tout au fond de moi, je n’écrirais pas, je ne danserais pas. Créer, c’est vibrer, donner, se donner, partager, s’élever. Ce sont ces notions qui m’animent.
Non ! La femme n’est pas un objet. Je ne parlerai pas de féminisme mais de féminin sacré. Chaque femme devrait renouer avec son essence première : Elle. Authentique, naturelle, fragile et forte à la fois. La femme est cette magicienne qui donne la vie. Voilà ce qui fait d’elle un être sacré, ce Graal tant convoité depuis la nuit des temps. La femme ne possède t-elle pas cet utérus, cette coupe divine qui engendre et perpétue l’espèce. La femme se doit d’être respectée, magnifiée. Je ne dis pas qu’elle doit s’affranchir de l’homme, juste ne pas être totalement sous son joug. L’Homme a besoin de la Femme, la Femme a besoin de l’Homme, l’Anima et l’Animus réunis, tout comme le Ying et le Yang complémentaire.

Sf-Mag
Il est d’ailleurs beaucoup question d’agonie, de « passages » dans ton œuvre, Céline. Et pour ce qui concerne ce livre une mort par « paliers » dans le monde réel pour Hortense qui se mue en une fuite éperdue pour son double romantique dans cet univers médiéval et dont les portes dérobées, chausses trappes, sous-terrains, tunnels et autres anamorphoses empruntés par ton héroïne semblent servir de métaphores promptes à illustrer les injustices les plus flagrantes subies par les femmes depuis la nuit des temps. Ainsi que les astuces et heureux coups du sort qui parsèment des vies de femmes somme toute faites d’esquives, de pertes, de victoires, de soumissions et de refuges. Quand on regarde notre monde réel, celui de l’année 2021, dans lequel les femmes subissent encore tous les outrages en plus de n’avoir aucune défense face à une criminalité patriarcaliste, ton récit apparaît comme une réplique justifiée et une revendication envers non plus une pseudo liberté mais bien un droit à exister. « Naître et ne pas être » semble en définitive revenir comme un leitmotiv, conditionnement ancien dans lequel l’héroïne se débat comme elle le peut. Des tribulations qui dans la fiction bouleversent faute de trouver une issue réelle dans la vraie vie. Est-il possible pour la femme en règle générale de sortir de cette condamnation originelle qui la handicape depuis si longtemps ? Ou bien est-ce perdu d’avance ?

C.G.
Nous vivons dans une société si formatée. Il est bien difficile de s’imposer. C’est possible, mais les plus téméraires, sont souvent montrés du doigt comme « illuminé ». Si je suis une illuminée, j’accepte la sentence avec grand plaisir. Diffuser de la lumière est l’une de mes priorités.
La femme a connu bien des tourments au fil des siècles, comme beaucoup d’autres êtres humains : hommes, enfants, vieillards. Ne sommes-nous tous pas nés pour mourir, naître et ne pas être ? Il ne s’agit pas d’un fatalisme Célinien mais bien une réalité. Je parlais plus-haut de « lâcher-prise », de savourer l’instant présent. Nous en sommes tous réduits à cela. Se nourrir, s’abreuver de chaque moment comme s’il s’agissait du dernier. La vie ne tient qu’à un fil. Nul ne sait ce qui l’attend demain. A moins d’être une grande pythonisse ou un devin ancestral. C’est également dans l’air du temps. La société est si névrosée et parasitée par le mal-être que la porte est ouverte aux faux prophètes. Il est si aisé de profiter de la détresse du monde.

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Tu effleures aussi une thématique également douloureuse que tu sembles mettre en symétrie avec la condition d’Hortense dans le présent. En effet, à plusieurs moments de la lecture on a l’impression que tu parles de la femme comme d’une espèce d’assistée symbolique. Une personne toujours en menace de se voire jetée à la rue, devenir une SDF à la merci des sauvages civilisationnels. Tandis que dans un mouroir comme un Eahpad elle semble réduite à une vie parasitée faite de fugues éphémères dans le jardin voisinant cet auspice avec son vieil amant par procuration et d’oublis progressifs de son passé ; Et c’est ce jeu de perte de mémoire volontaire ou pas dans le présent en vis à vis avec une lutte perpétuelle pour préserver sa mémoire dans cette vie parallèle auquel tu t’appliques avec une facilité inouïe. C’est à la fois beau et désespéré. Comme un chant du cygne.

C.G.
L’existence est composée de trois grandes phases : l’enfance/l’adolescence, l’âge adulte et la vieillesse. Certains ne passeront pas par cette dernière étape. Dans une société de rendement, de performance, que devient le vieillard ? Où est sa place ? Est-ce lui qui gêne les plus jeunes ? Est-ce qu’il dérange tout bonnement la société puisqu’il n’apporte plus rien ? Devient-il un fardeau ?
Traiter du thème de l’âge avancé était aussi intéressant. Que pense celui qui a été jeune et fringant il y a longtemps ? Que pense-t-il lorsque que l’hiver de sa vie arrive ? Lorsqu’il le peut encore, ses souvenirs, son passé, ses amours, ses épreuves, ses combats l’accompagnent, le hantent.

Sf-Mag
Cela dit, la mort est tout autant terrible dans le présent (allusion au Covid-19) que dans cette vie parallèle (la décapitation, la pendaison finale). Cela ne voudrait-il pas dire que l’on n’échappe pas à sa condition sociale plutôt qu’à ce fameux « destin » si souvent invoqué par ceux qui sont les plus nanties vis à vis d’un consumérisme barbare ? Ou lies-tu les deux choses ensembles, entre sinistre hasard et déterminisme fataliste ?

C.G.
Il faut prendre conscience des trésors que la vie nous offre, même les plus petites choses sont des colliers de perles : profiter d’un bon repas avec des êtres chers, de la caresse du soleil sur son visage, des trilles d’un merle, d’un bain parfumé... Arrêter de convoiter ce que possède son voisin, cesser le matérialisme outrancier. Nous avons tous des cheminements différents. Vivons du mieux que nous le pouvons. Car l’un dans l’autre, nous sommes tous condamnés. Ce n’est ni un sinistre hasard ni un déterminisme fataliste. Nous naissons, nous explorons, nous mourrons. Voici le cycle immuable et naturel de l’existence. Je ne prêche rien, je n’invente rien. Il s’agit juste d’une réalité dont il faut avoir conscience. Nous ne sommes que des grains de sable sur cette immense plage de la vie.

Sf-Mag
Parlons un peu du style. Tu uses d’une stylistique très élaborée autant riche en vocabulaire qu’habile en retournements de situations. D’où cet aspect théâtrale à l’esthétique fortement séduisante qui enivre le lecteur. Du coup, tu romps avec des décennies de livres indigestes s’étalant sur des centaines de pages pour la plupart du temps tourner en rond. Et c’est là une immense qualité dans ce monde littéraire un peu trop formaté. Penses-tu comme beaucoup de lecteurs que les plus courtes sont les meilleures ?

C.G.
Cette remarque me touche tout particulièrement. Je compare l’écriture à la danse. Je valse, je swingue, je prends un plaisir inouï à flirter avec les phrases, les mots. C’est un ballet délicieux à chorégraphier.
Je ne suis pas réfractaire aux livres contenant des centaines de pages, ces pavés qui peuvent en rebuter plus d’un aussi. Si l’histoire est riche, rythmée, enivrante, le nombre de pages n’a aucune espèce d’importance. En revanche, le remplissage de pages pour densifier un roman ne m’intéresse pas. Je l’écrivais tout à l’heure. J’aime dire en peu de pages l’essentiel, que mes messages soient perçus, que mon récit poursuive le lecteur des jours durant. Ce n’est pas le nombre de pages d’un livre qui fait sa qualité. C’est sa sincérité, son authenticité, sa complexité.

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La manière dont tu abordes le côté sexuel est également un trait assez déroutant dans ton style. Tu le mets en scène d’ailleurs de manière décomplexée, avec une très grande liberté et au moyen de termes directs et parfois très amusants. Cette immersion immédiate est le gage d’une écriture capable de s’aventurer là où elle le souhaite sans plus aucune attache ou instance. Penses-tu un jour aborder le récit érotique ou bien cela restera-t-il un ingrédient à ton romanesque ? Car ici la fantasmagorie de ton écriture ne fait qu’en jouer. Qu’est-ce que cela donnerait si le sexe était la centralité de l’un de tes livres ?

C.G.
Au tout début de mes publications je n’osais pas flirter avec cette sexualité. Je pensais choquer le public et me choquer moi-même… Je n’osais pas tout bonnement. Par crainte d’être jugée.
Au fur et à mesure du temps, des coups durs, des épreuves, de l’âge, je me suis libérée de ce regard extérieur. Et ça, c’est merveilleux. Dire les choses sans crainte et être soi-même. Qui m’aime me suive reste mon leitmotiv depuis mes débuts.
Qui sait ? Pourquoi ne pas s’aventurer un jour sur les terres d’un récit érotique ? Je ne dis pas non.
En attendant, j’aime distiller cette sexualité au fil des pages de mon romanesque Célinien.

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Enfin, toujours concernant cette sexualité. Qu’elle soit lubrique, consentie ou subie, tu sembles plus à l’aise d’en parler vis à vis de la masculinité. Moins quand il s’agit d’amours saphiques comme ou serait tenté de le penser quand Kerenn rencontre l’héroïne. Pourquoi cette soudaine pudeur ?

C.G.
Une part de masculinité doit sommeiller en moi (rire). Question fort judicieuse.
En fait, j’aime savoir ce que peux ressentir l’homme, le soit disant sexe fort. J’aime comprendre, je suis certainement un peu trop cérébrale. J’essaie de trouver les failles, ce qui peut mener un homme à agir de telle ou telle manière avec une femme. Je m’intéresse. Sinon, je serais nombriliste et ne traiterais uniquement mon propre plaisir (sourire).
L’actualité est une grande source d’inspiration, je m’en accommode et j’analyse.
L’amour saphique est très prisé des adolescentes, qui, novices en matière de sexualité, découvrent le jeu de la séduction.

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On découvre aussi au fil de la lecture un thème également peu abordé par le genre, celui du manque affectif et en particulier le manque d’amour paternel. C’est ici d’ailleurs ce qui rend encore plus humaine ton ou tes héroïnes. L’absence du père dans un monde dominé par l’intransigeance partiarcale trouve cependant sapience par la rencontre du très séduisant Eugène de Neufchastel. Qui est apparemment un hybride. Mais alors pourquoi les punir ? Pourquoi cette éternelle punition sur ceux qui osent quand même s’aimer ? La sorcière, en fait une femme libre, et le mutant, celui qui est capable de l’aimer parce que monstre sociétal lui aussi, sont donc condamnés comme dans l’amour interdit du monstre de Frankenstein. Pourquoi, là, ne pas avoir permis justement cette « échappée belle » à laquelle aurait droit tes personnages ? Le fatalisme semble présent partout dans ton œuvre, plus « miroir » de nos sociétés figées que « projecteur » d’une société qui évolue, change, s’améliore, se bonifie. C’est un bilan bien sombre, non ?

C.G.
C’est ma conception du moment. Elle est personnelle. Je ne me vois pas écrire un conte de fée. Ce n’est pas figé. Juste que je ne conçois pas de créer un récit que je ne ressens pas. Si je me force à composer, rien de bon ne surgira.
Vestiges du passé ? Allégorie du présent ?
Je me laisse porter par mon imaginaire. La plume comme exutoire… Comme arme délicate contre l’extérieur toxique.

Sf-Mag
Concernant Vasago et Sitaël, faire-valoir du mal et du bien dans l’univers mental de l’héroïne, pourquoi les avoir choisi comme masculins ? Parce que plus prédisposés à incarner ces deux paroxysmes de l’existence ?

C.G.
Je visualisais tout simplement ces deux entités comme des personnages forts et puissants. Et parce que le côté masculin à tendance à faire perdre la tête aux femmes (sourire), en l’occurrence à l’héroïne.

Sf-Mag
Les maternités non-advenues sont également abordées avec beaucoup de sincérité ici. Mais malgré le fait que l’héroïne accepte l’enfant avec courage et un amour sans compromis ni ambiguïté, Célie meurt, qui plus est lâchement abandonnée. Là aussi, le fatalisme semble reléguer une sorte de punition injuste via un individualisme égoïste. Un drame que porte en filigrane sa mère durant tout le récit.

C.G.
Ce thème évoqué traite une nouvelle fois d’un sujet d’actualité, peu évoqué dans des récits. J’ai pris le parti de m’y aventurer. Qu’est ce qui pousse une femme à porter un enfant neuf mois dans son ventre puis l’abandonner ? Un viol ? Des sévices ? L’immaturité ? La maladie ?
En ce qui concerne la petite Célie, il ne s’agit pas d’un abandon. Nous ne pouvons pas parler d’individualisme égoïste. Je proteste. La vie a ôté à l’héroïne son enfant. Elle ne l’a pas laissé par égoïsme. Le manque affectif fait son apparition… Une femme privée de son enfant. Comment réagit-elle ? Un morceau d’elle-même lui est ôté.
Je vais finir par croire que je souffre de manque affectif (sourire) avec cette question pertinente. Probablement Et nous avons tous besoin d’amour, d’une épaule fidèle et sincère sur laquelle poser notre tête. La route de la vie nous fait sentir seul si souvent…

Sf-Mag
En définitive, le but non avoué de ce récit ne serait-il pas de redonner à cette fameuse femme si conspuée, reniée et assassinée, ce justement pourquoi on l’a condamné depuis toujours à savoir une fonction autre que de simple reproductrice, exemptes de fautes ou de choix, interdite de penser à elle. Bref, une femme avec une âme à part entière. Condition malheureusement bien éloignée de cette femme encore et toujours victime de violences et de crimes d’honneurs, de sectes sexuelles et autres idéologies, quand même la police ne peut ou ne veut plus rien faire ? Ce qui nous ferait dire à nouveau que ton récit est tout aussi divertissant qu’incroyablement patent d’une condition féminine encore flouée de ses droits fondamentaux. Ce qui de fait entérine également ce lieu commun stupide qui est de soi-disant les faire sortir de leur rôle d’objet, et donc frustrer indirectement leur droit à prendre du plaisir et donner du plaisir, et qui est une autre astuce patriarcale. Le tout en éludant totalement le fait fondamental que c’est plutôt dans son droit à une protection physique et morale totale face à une gente masculine plus violente parce que plus dotée génétiquement dont il est question à plus d’un titre dans nos sociétés.

C.G.
Le but de ce récit est de faire réfléchir. Et je constate l’effet obtenu. Tu viens de résumer en quelques lignes le parcours de cette femme : Hortense. Un parcours que nous vivons tous à plus ou moins grande échelle. Même si nous souhaitons être libre, nous ne le pouvons pas complètement… Et je n’épiloguerai pas sur ce sujet bien épineux.

Sf-Mag
Certains lecteurs soulèvent parfois un côté mystique dans ce livre. En quelques mots, on pourrait ainsi poser la question à Céline Guillaume : mystique dans ou par l’écriture ? Qu’en penses-tu ?

C.G.
Pour moi être mystique n’est pas une tare. J’accepte avec gratitude. C’est aussi ce que je suis. Une femme sensible, mystérieuse, amoureuse de la vie, passionnée, un peu exaltée par les arts qu’elle défend. Je suis mon chemin dans le respect et l’amour universel… Dans la bienveillance.

Sf-Mag
Tu aimes beaucoup parler de l’instant présent dans ton romanesque, comme si l’essentiel n’était pas dans la projection dans le futur ou le passé mais bien dans cette véritable éternité que permet une existence apaisée face à toutes ces idées d’éternité, d’au-delà, de société future, de vie autre ; Il semble qu’il y ait chez toi la volonté non avouée d’une vie réappropriée, une vie réconciliée, quand bien même elle se trouverait toujours au bord d’un abîme d’angoisses sans réponses. Ne serait-ce pas là la véritable vie idéale, avec également cette pensée d’un ailleurs mais d’un ailleurs plus infantile, plus innocent permis justement par ce romanesque qui est souvent une béquille vitale. Un ailleurs qui est une envie de voir ou revoir ceux qu’on a aimé, tout simplement, au fil de soi, comme au fil de l’eau, tout en procédant à de savants exorcismes de nos erreurs, fautes et injustices subies. Le cadre proto-historique est d’ailleurs fort à propos concernant « ces exorcismes ». Bien loin d’une gnose, ta pensée serait peut-être et surtout une nostalgie d’un retour impossible mais dont le besoin nous aiderait à supporter le vide, ces vides aussi. Bref, une « Mystique de la Réappropriation de Soi » mais avec cette conscience des risques et dangers que cela suscite. Ce qui ferait que les « exécutions » mises en scène dans ton livre seraient également à considérer comme des censeurs, des donneurs d’alerte face aux règles d’une société souvent trop intransigeante ou exagérée dans ses censures, jugements et punitions. Ou bien ses contraires, quand sa permissivité et son impunité sont trop laxistes. Que dis-tu de ça ?

C.G.
Ce que je dis de cela ? Je poursuis l’éternité de mon âme d’enfant à travers les siècles. Un peu comme un être insaisissable qui volerait au gré des époques. Et si j’avais le pouvoir de changer les choses, rendre les vies plus clémentes, parsemer de l’amour à chaque coin de rue, je le ferais. Malheureusement, je ne suis que Céline. Je fais ce que je peux avec ce qui m’a été donné au commencement. Mon pouvoir est en action par le biais de l’écriture, de la danse. Ce sont ces arts si chers à mon coeur qui me permettent d’entrer en action et d’oeuvrer pour le monde (à mon échelle, je précise. Je ne veux pas être présomptueuse, ce n’est pas mon envie). Comme une fée/fourmi affairée au travail de lumière.

Sf-Mag
L’écriture dans un genre différent comme la science-fiction, une fantasy plus intrusive ou le pur fantastique te tenterait-elle ? Des lecteurs évoquent des noms comme Audrey Françaix, Léa Silhol et à présent Céline Guillaume pour incarner ce pendant français aux Tanith Lee (1947-2015), Carolyn J. Cherryh, Marion Zimmer Bradley (1930-1999), Leigh Brackett (1915-1978), Anne McCaffrey (1926-2011), Ursula Le Guin (1929-2018), Octavia Butler (1947-2006), Catherine L. Moore (1911-1987) et André Norton (1912-2005) de jadis. Pourquoi est-ce si difficile en France d’incarner ces icônes dont nous avons finalement énormément besoin ? N’est-ce que culturel ?

C.G.
Rien n’est impossible. Tout est envisageable. J’aime les nouveaux défis ou plutôt me mettre au défit.
J’ai l’impression que les domaines de l’imaginaire demeurent tabous en France et depuis mes débuts. Mes premiers éditeurs spécialisés dans les littératures de l’imaginaire relevaient déjà ce manquement. Il y a pourtant beaucoup de très bons auteurs français. Il suffirait de franchir le pas de la confiance et de la prise de risque au niveau financier.

Sf-Mag
Un grand réalisateur/réalisatrice, ou metteur en scène, mort ou vivant, adaptant une œuvre de Céline Guillaume au cinéma, à la télévision ou au théâtre, ce serait qui selon toi ?

C.G.
Réflexion faite… Ridley Scott… Mais, je vise bien haut. Ou Guillermo del Toro. J’affectionne son univers et la dissection sociologique de ses personnages. Oui, je pencherai davantage pour lui. J’attends qu’il me fasse une proposition d’adaptation cinématographique. Céline Guillaume par Guillermo del Toro, ça fonctionne bien (sourire).

Sf-Mag
Merci pour cet entretien, chère Céline, et je te dis à bientôt car ton écriture nous manque déjà...

C.G.
Mille mercis à toi pour la précision de tes remarques, ton intuition. Je te dis à très vite pour de nouvelles aventures… Merci...

Entretien mené par Emmanuel Collot à l’occasion de la sortie chez Terre De Brume du dernier livre de Céline Guillaume, « Ad Vitam Æternam ».


Lire 2800 chroniques de films dans le livre d’Alain Pelosato, grand format 15x23, 700 pages) :
123 ans de cinéma fantastique et de SF - essais et données pour une histoire du cinéma fantastique - 1895-2019

Et sa 2e suite :
125 ans de cinéma fantastique
et de SF Deuxième partie (Mise à jour 1951-2019)

Après la parution de son monumental livre «  123 ans de cinéma fantastique et de SF – essais et données pour une histoire du cinéma fantastique 1895-2019&#8201 » paru en janvier 2019, Alain Pelosato a continué à regarder des films et des séries de télévision  ! «  Quand on écrit ce genre d’ouvrage », explique l’auteur, « c’est sans fin puisque des films et des séries, il continue à en sortir sans cesse  ! Il faut donc prendre la décision de s’arrêter pour publier. C’est pourquoi j’écris et je publie régulièrement des mises à jour depuis 1998.  »
De plus, certains éditeurs de DVD ressortent des films des archives et les publient, il y a aussi la télévision et les plateformes sur Internet. Du coup, le présent livre couvre la période 1951 à 2019.
Voici donc la dernière mise à jour : un livre de 500 pages avec plus de 700 entrées dans l’index, c’est dire s’il contient beaucoup de chroniques, d’analyses et aussi, la spécialité de l’auteur, de vastes mises à jour de listes thématiques de films (taxinomie du cinéma fantastique). Bonne lecture  !

La 3e suite est désormais disponible :
"126 ans de cinéma fantastique et de SF ..."

https://www.amazon.fr/dp/2915512620/




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