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Sommaire - Interviews -  HINTERLAND : une interview par Marc Sessego


"HINTERLAND : une interview par Marc Sessego" de Stefan Ruzowitzky réalisateur


 

HINTERLAND Interview du réalisateur Stefan Ruzowitzky

Le réalisateur oscarisé (« The counterfeiters » - meilleur film étranger 2007) nous parle de son tout dernier film - Hinterland - d’une originalité et d’un concept sans précédent.

SFMAG : Qu’est-ce que cela fait de gagner l’oscar du meilleur film étranger et cela aide-t-il une carrière ?
SR : Oui ça aide (il rit). Tout le monde dans le monde entier sait ce que représente un lauréat de l’oscar. C’est une sorte d’anoblissement. Le « film business » sur le plan international fonctionne de la manière suivante : quel réalisateur va pouvoir m’aider à financer mon projet ?
Va-t-il avoir accès à des stars ? Ce gars a déjà gagné un oscar. Oui ça aide. Vous savez en règle générale tous les prix donnés à des films, c’est en fait un outil de marketing. Cela permet de promouvoir le film, les acteurs, le réalisateur. C’est pour ça que les gens vous disent qu’ils ont gagné telle et telle récompense juste pour pouvoir vous prouver qu’ils connaissent leur travail, je peux vous aider avec votre projet de film. Et oui « ça fait le boulot ».

SFMAG : Et en tant que gagnant qu’avez-vous ressenti ?
SR : On se sent bien. Quand j’y suis allé, vous devez vraiment y aller et le vouloir. J’en ai fait l’expérience et de toutes les autres personnes qui ont eu une expérience similaire, ils ouvrent l’enveloppe, vous ne savez pas trop ce qui va se passer, et puis vous ne gagnez pas, car Dieu dit « Vous n’en voulez pas donc donnons-le aux autres personnes ». Donc j’étais assis dans la salle avec les autres et je me suis dit « Je vais gagner et je veux gagner », et j’ai gagné.

SFMAG : Excellent… C’est toujours super de rencontrer un gagnant de l’oscar. À propos d’Hinterland, comment le projet est-il né ?
SR : Comme tous les films il a une très longue histoire et en fait j’ai été approché sur ce projet il y a environ 15 ans et à ce moment-là j’ai décliné. J’allais faire cet autre film « The counterfeiters » concernant la fausse monnaie dans les camps. Après environ deux ans, « Hinterland » est revenu et je me suis dit qu’il fallait que je le fasse parce que j’ai toujours senti qu’il y a avait là une idée très originale. Ce n’est pas le genre de projets que vous voyez passer encore et encore. C’est ce que j’ai aimé sur ce film. Puis nous avons décidé d’avoir cette approche esthétique très spéciale, ce qui a rendu le projet encore plus intéressant et intriguant.

SFMAG : Était-ce un challenge en soi d’écrire l’histoire, considérant le fait que vous aviez ces images en arrières plans absolument incroyables ?
SR : Je pense qu’à la fin de la journée vous avez besoin d’une bonne histoire et je ne pense pas que vous pouvez réussir avec juste un super concept. Si vous n’avez pas d’acteurs charismatiques, si vous n’avez pas une histoire qui ne vous prenne pas émotionnellement, si vous n’avez pas cela vous n’y arriverez pas. Je pense que nous avons une bonne histoire, il y avait un script quand je suis arrivé à bord, nous avons fait deux gros changements et je crois que nous avons pu assembler un cast vraiment fantastique. Donc je pense que cela ajoute encore une fois à la qualité d’ensemble vous ne pouvez pas juste vous baser sur un style.

SFMAG : Au niveau du tournage, avez-vous dû tout storyboarder ? Et avez-vous dû penser à chaque arrière-plan que vous utiliseriez ?
SR : On m’a dit que je devais livrer un story-board précis trois mois environ avant le début du tournage, car c’était la base pour calculer en termes de budgets. Le plus gros problème ce sont les plans en travelling, le mouvement. Quand la caméra est stable, ça ne coûte quasiment rien à produire, mais dès que la caméra commence à bouger, votre budget explose. Car après vous devez faire un modèle en 3D, puis vous devez changer et ça devient très cher. Donc je n’avais qu’un nombre précis de plans qui bougeaient, et un certain montant de plans comme celui au tout début quand la caméra monte à travers les nuages et que l’on voit Vienne. Bon c’est beaucoup moins cher de le faire de façon digitale, quoi qu’aussi de façon digitale c’est très cher. Donc nous avons dû calculer combien de plans spéciaux nous pouvions faire, combien de plans en mouvements nous pouvions faire, puis nous pouvions toujours tricher un peu avec le digital, donc tous ces mouvements devaient être planifiés très précisément.

SFMAG : Que pensiez-vous, vous-même, de ces arrière-plans étranges, car quand on regarde le film c’est presque comme des peintures surréalistes ?
SR : Oui c’était l’idée. J’aime le dire en ces termes : nous sommes arrivés à un style qui ressemble à de l’expressionnisme, mais ce n’était pas notre but de copier l’expressionnisme. Ce que nous avons essayé de faire était de montrer au monde la façon dont notre protagoniste le perçoit, ce qui est un monde hors de balance, déformé où rien n’est stable. Il n’y pas d’angles rectangulaires. Il n’y a rien où vous pouvez vous accrocher et je crois que les expressionnistes en ce temps-là voulaient exprimer exactement la même chose. Donc nous sommes arrivés à des solutions similaires, nous avons fait cela de façon digitale en créant des designs de décors déformés.

SFMAG : Comment jouaient vos acteurs ? Devant un écran vert ? Ou y avait-il un arrière-plan projeté ?
SR : Nous nous sommes aperçus que cela ne fonctionne pas comme ça, car c’est la façon habituelle. Vous produisez d’abord le décor arrière, puis vous connaissez la hauteur de la caméra, puis vous avez la lumière. Puis vous devez dupliquer tout cela en studio, mettre les acteurs devant la caméra et tout est parfait. Mais notre monde est déformé, il n’y a pas juste qu’une perspective, mais plusieurs perspectives. Les acteurs ne rentraient pas dans les images et ils ne pouvaient pas bouger, car quand ils bougeaient ils devenaient des géants ou bien devenaient des nains. Donc nous avons dû faire le contraire. D’abord, tourner avec les acteurs et après nous mettrions ces images déformées tout autour d’eux.

SFMAG : Et j’imagine qu’il y a eu tout le travail sur la photo.
SR : Mon directeur de la photo a dû inventer un peu. Il pourrait y avoir une fenêtre avec de la lumière-là qui va jusqu’à la moitié du mur bleu donc il faut mettre de la lumière. Et il faut dire aux artistes digitaux que nous avons mis de la lumière là à cause de la fenêtre. Vous devez prendre la fenêtre d’où la lumière passe. C’est un procédé excitant.

SFMAG : Est-ce que c’était encore plus compliqué à cause de l’écran large ?
SR : Non, je pense que c’est à peu près la même chose. Le grand avantage de tourner un film d’époque comme celui-ci est que généralement vous êtes très limité. Vous trouverez un bout de rue qui ressemble à 1920 et vous investissez un peu d’argent pour le décorer, mais vous ne pouvez jamais montrer toute la rue, mais nous avons pu le faire. Donc le « scope » est excellent, car cela n’a pas grande différence si vous créez un petit peu plus d’espace. Vous n’avez pas à habiller votre décor.

SFMAG : Pouvez-vous parler du cast ? Les avez-vous choisis vous-même ?
SR : Dès le départ je savais que je voulais Murathan Muslu, c’est un acteur tellement charismatique. Je pense que le tout premier plan du film est une lecture en tant que présence à l’écran et pour moi nous devions avoir le typique « mâle Alpha », quelqu’un qui représente sa classe. Il fait partie de la police, c’est un homme fort, il revient et son monde est en pièces. Pour lui c’est un traumatisme majeur, une humiliation. C’est un peu un Sherlock Holmes, Holmes pourrait rationaliser tout cela, car c’est la personne en charge. Maintenant il doit supplier pour être accepté à nouveau au sein de la police. Tout cela représente des humiliations majeures donc vous avez besoin d’un gars pour pouvoir montrer ces humiliations.

SFMAG : Et Matthias Schweighöfer - il est excellent - j’adore
SR : Il vient juste de percer au niveau international. Il y avait en fait deux façons de procéder. Vous prenez le vilain typique, mais après je me suis dit « pourquoi ne pas le prendre lui, car en Allemagne il est toujours en train de rire, de sourire, le gars super cool. Je me suis donc dit qu’il y avait une histoire très intéressante à raconter. Nous voyons un gars toujours en train de rire et sourire et nous montrons que ce gars est maintenant devenu un monstre. Non seulement physiquement, mais aussi émotionnellement. C’est peut-être une histoire plus intéressante.

SFMAG : Quel fut pour vous le plus gros challenge sur le film ?
SR : Oula. D’une certaine façon ce serait… Disons-le comme cela. Tourner un film comme celui-ci vous n’avez aucune limite et vous pouvez dire « dans cette pièce je veux deux fenêtres de plus, une arche et dehors mettons le palais de l’empereur à gauche et le dôme à droite ça c’est joli ». C’est super d’avoir toutes ces possibilités. En même temps, la réalité est une inspiration. Si je n’ai pas de porte là, je dois voir comment mon plan fonctionne s’il vient de cette porte, et peut être que j’ai besoin d’un dialogue supplémentaire. D’abord il entre et va là. Il va prendre un verre de champagne. Et toutes ces restrictions vous donnent beaucoup de créativité. Et si vous n’avez pas cela, vous devez avoir de l’inspiration, mais pas par ces limitations.

SFMAG : Avez-vous eu le contrôle créatif ?
SR : La grosse limite était le mouvement, car dans les plans numériques il y a une grosse différence en termes de budget. Si votre plan bouge ou non. Donc j’ai eu un nombre limité de plans bougeant, puis vous devez recréer l’environnement en 3D et ça devient très cher. Nous avons ces plans très compliqués encore plus chers, mais c’est toujours le cas. Le budget est votre plus grosse restriction. Si vous avez 300 millions, ce sera toujours une bataille, car vous aurez besoin de 301 millions pour un plan hyper important.

SFMAG : Dans la version que j’ai vue, avez-vous dû couper des scènes que vous ne vouliez pas couper ?
SR : Non, c’est ma version, je pense que nous n’avons vraiment pas beaucoup changé comparé au script. Nous avons juste enlevé des fois une ligne de dialogues pour le rythme, car ça nous paraît un peu trop long, mais pas de gros changements.

SFMAG : Quelles sont vos références personnelles ?
SR : Kurosawa, définitivement, j’admets que c’est facile de trouver des héros dans votre passé. Kubrick, Woody Allen, Fassbender, c’étaient mes héros en tant que teenager. Maintenant c’est Tarantino, je trouve qu’il a des couilles, Inglorious bastards, Hitler qui meurt dans un cinéma français, il ose faire ça.

SFMAG : Votre Tarantino favori ?
SR : J’adore « Pulp Fiction », les gens qui sont tués dix minutes avant et réapparaissent à l’écran. Pourquoi pas ? Ramenons-les. Par contre « Once upon in time in Hollywood » je n’ai pas compris.

SFMAG : J’étais aussi totalement perdu sur celui-là.
SR : Où est l’émotion et l’histoire ? C’est plus facile de nos jours de trouver des films que j’ai aimés. Tous les Audiart. Un mix cool d’approche artistique, très émotionnel, très physique. Je n’aime pas les films « artsy », car ça m’ennuie. Par contre « Un prophète », j’adore.

SFMAG : Y a-t-il un genre que vous voudriez essayer ?
SR : Je crois que j’ai trouvé ma place entre « art House » et « mainstream « donc j’essaie de faire de bons films « mainstream » ou des films à suspense, ou des films « art House » qui peuvent fonctionner. La seule chose que je n’ai jamais fait et ce serait un challenge serait une comédie. Habituellement j’aime l’humour dans mes films, mais c’est comme un bonus. Il y a une scène amusante et si les gens ne rient pas…

SFMAG : Faire rire est très difficile
SR : Si le film est une comédie, ils s’attendent à rire. Allez-y, faites-moi rire.

Propos recueillis par
Marc Sessego
le 6 décembre 2022
Sincères remerciements à Aude Dobuzinskis de l’agence Dark Star pour l’avoir organisée.


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