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Sommaire - Interviews -  Éléonore Devillepoix,


"Éléonore Devillepoix, " de Damien Dhondt


attachée parlementaire européenne à Bruxelles et également experte dans l’organisation politique des Mages, tout comme dans celle du Parlement des Oiseaux.

Le diptyque « La ville sans vent » et la fable animalière « Brussailes » appartiennent à deux registres différents.

Ils ont en commun la politique. La vie politique, c’est la gestion de la cité. Dans les deux cas, on suit une communauté d’habitants à travers le choix du lieu où se déroulent les événements.
Cela présente un intérêt intellectuel de montrer comment une société s’organise. J’ai fait des études de politique européenne (1) et quand j’ai commencé à écrire « La Ville sans Vent » j’ai développé un sujet que j’abordai naturellement dans mes études. Cela a alimenté l’univers que j’étais en train de déployer dans cette période. J’ai mis un certain nombre d’années pour écrire le premier tome de « La ville sans vent » et j’ai commencé à écrire le tome 2 au moment où je venais d’être engagée au Parlement européen. Je l’ai rédigé pendant que je travaillais comme attachée parlementaire. Donc, évidemment, mon travail a alimenté mon roman. Il y avait une chose que je voulais particulièrement faire passer. Depuis quelques années, il existe une tendance à la polarisation des documents. Je pense qu’il y a très peu de sujets sur lesquels on peut dire ça, c’est tout blanc ou ça, c’est tout noir. On ne peut pas faire l’impasse sur la discussion entre deux personnes de points de vue opposés. C’est quelque chose qui est important dans le travail de tous les jours. Le Parlement européen où je travaille a cette particularité par rapport à l’Assemblée nationale en France. C’est un parlement élu à la proportionnelle. Il n’y a pas de majorité absolue au Parlement européen. Pour réussir à faire passer un texte, il faut discuter avec les autres partenaires. Pour atteindre un objectif, il faut se mettre d’accord. On est obligé d’entrer dans cette discussion. C’est vraiment positif : cela permet d’éviter la polarisation systématique. C’est quelque chose que j’ai essayé de transmettre, en n’ayant pas des personnages tout blanc ou tout noir. Par exemple, Lastianax est, par certains aspects, féministe. Mais parfois quand ça l’arrange, il oublie un peu cela. On ne peut pas pour autant dire que c’est un sale type. Les motivations des uns et des autres sont compréhensibles et parfois, on se rend compte que parfois les situations rendent la vie des gens assez compliquées et il ne faut pas forcément catégoriser immédiatement quelqu’un. J’ai essayé de montrer l’intérêt du gris dans mes deux romans et d’ailleurs, cela se retrouve dans les couvertures.

Les deux principaux héros de « La ville sans vent » n’ont guère de point commun.

Arca la batailleuse de 13 ans, est très brouillonne. Elle ne s’estime pas concernée par les conventions et accumule un peu toutes les tares que peut avoir une gamine de 13 ans maladroite qui se fiche un peu de tout. Lastianax à l’inverse, c’est l’ambitieux carriériste qui a envie de gravir les échelons. Ce n’est pas un mauvais bougre du tout et il doit lutter contre lui-même assez régulièrement. Sa passion dans la vie, c’est de rédiger des rapports et de parler de choses qu’Arca va trouver très ennuyeuses. Leurs trajectoires vont se croiser. Ces deux caractères totalement opposés vont faire des étincelles.

Tout comme les trois héros de « Brussailes ».

J’étais partie sur l’idée que j’allais écrire une histoire avec des animaux comme personnages principaux. Il me fallait parler d’oiseaux de caractères différents. J’ai eu l’image de la corneille. Les corneilles sont très intelligentes. Elles ont toujours l’air de calculer.
Les rouges-gorges sont les seuls oiseaux à chanter tout le temps. Ils sont toujours en train de défendre leur territoire. Et donc ils vont chanter le jour et la nuit. Le personnage de Chantperdu a un nom assez évocateur.
Ce sont deux personnages assez forts en gueule. Je voulais trouver un personnage qui contrebalance tout cela. À la base, je voulais trouver un oiseau un peu original, un peu exotique. Puis je me suis dit que le plus original que je puisse faire, c’est de choisir l’oiseau le plus banal qui existe : le pigeon. Je suis partie sur l’oiseau le plus banal de cette espèce-là plus banale : le célèbre Jaboterne dont on va suivre toute la narration. Sa seule ambition, c’est de ne pas avoir d’ambition dans la vie. Il veut vivre dans la tranquillité et malheureusement, il se retrouve embarqué dans cette aventure. Ces trois personnalités vont faire des étincelles et moi, cela m’amuse.

Le héros pigeon porte le nom assez singulier de Jaboterne.

Le seul intérêt des pigeons, c’est qu’ils ont souvent de belles couleurs au niveau du jabot : des couleurs violette, rose ou verte. Les gens ne sont pas convaincus de la beauté interne de l’animal. J’ai pris le contre-pied. J’adore les pigeons et j’ai fait de l’un d’entre eux le personnage principal. Le dénommé Jaboterne est un pigeon qui non seulement est très banal de personnalité, mais aussi, il possède un jabot dépourvu de toute couleur autre que le gris, d’où le nom de Jaboterne.
Les noms ont leur importance. Pour Arca, c’était juste une sonorité sympa et après, je me suis rendu compte que cela voulait dire en grec Arcé le commencement, le commandement. Pour Lastianax, cela ressemblait au nom Astyanax, un personnage de la mythologie grecque, fils d’Hector et d’Andromaque (j’avais lu un passage de l’Illiade très touchant). J’aimais bien la sonorité du mot. J’y ai ajouté un L. Cela a donné Last (dernier), tout comme Arca (commencement). C’était des noms que j’aimais bien.

D’où est venue l’idée de base pour Brussailes ?

Brussailes est en partie inspiré de « Watership Down », le premier roman de l’auteur britannique Richard George Adams. C’est l’histoire d’un groupe de lapin qui doit quitter sa garenne. La troupe de lapins avec des caractères assez dissemblables doit traverser la campagne anglaise pour aller s’installer dans une nouvelle garenne. J’ai adoré ce livre. Il s’agit d’un thème jeunesse parce que ce sont des lapins, mais l’écriture ne l’est pas du tout et puis ce qui leur arrive n’est pas pour la jeunesse non plus. Mais à la base, l’auteur avait inventé cette histoire pour la raconter à ses enfants. C’est une histoire qui est intéressante pour les enfants et qui en même temps procure une vision de la société, tout en ne reniant aucune ambition littéraire.
Ce qui était génial dans Watership Down, c’est qu’ils ont aussi toute une mythologie des lapins avec un lapin héroïque auquel il arrive tout plein d’aventures. Cette fable est insérée régulièrement dans le récit et souvent, les lapins se racontent cette histoire le soir pour s’endormir. J’ai trouvé cela génial et j’ai gardé cela dans un coin de ma tête. Je me suis dit que cela serait génial de faire cela avec les oiseaux. Au fameux parlement des oiseaux, ils traitent de leurs affaires courantes. Mais il existe aussi une portée plus spirituelle avec notamment la question de l’Esprit. Les oiseaux discutent. Ils n’ont pas tous la même interprétation sur ce qu’est l’Esprit. Ils vont penser que l’esprit ressemble à un rouge-gorge d’autres vont se dire : ah non, c’est une corneille. Ils ont différents mythes sur la création du monde : l’éclosion du monde. Je me suis dit que les oiseaux pourraient avoir une vie spirituelle.
C’était vraiment une belle expérience d’écriture.
Le fait d’utiliser les oiseaux est très pratique du point de vue de la narration. La plupart des animaux ont des enjeux très différents. L’avantage des oiseaux, c’est qu’ils sont assez semblables. Ils n’ont pas de grandes différences de taille. Ils vivent dans le même espace. Si j’avais choisi des espèces terrestres, cela aurait été beaucoup plus compliqué, car un petit chat et un cheval n’occupent pas les mêmes lieux.

Dans « La ville sans vent » on remarque que Palatès le mentor de Lastianax était un collectionneur compulsif qui possédait une collection de poules en céramique.

Ma mère s’était mise dans l’idée de faire une énorme collection de poules, des poules en céramique. Elle a accumulé des étagères de poules. La collection est toujours là.
Pendant le confinement, je suis revenue chez mes parents et il n’y avait pas grand-chose à faire. Apprivoiser une poule, ce n’est pas compliqué.

On constate dans « Brussailes » une prolifération des notes de bas de pages, ou plus exactement des « notes de côté de page ».

J’ai trouvé génial d’avoir ce petit aparté humoristique. Cela permet de casser le 4e mur en version littéraire, de créer une connexion plus directe avec le lecteur en ayant une histoire principale, mais en s’amusant de faire un petit aparté.
J’avais déjà fait cela dans « La Ville sans vent » et pour « Brussailes », je me suis vraiment amusée.
Il existe une règle en écriture, qui est suivie de manière assez stricte par tout le monde : on ne passe pas d’un point de vue à l’autre. Cela sort le lecteur de son expérience. Je n’aime pas trop changer de point de vue. Mais par contre, avec les notes de bas de page, on peut s’amuser à procurer au lecteur des informations sur ce qui est en train de se passer, de faire une petite blague, de développer l’histoire de tel ou tel personnage que l’on n’aurait pas suivi dans le texte principal.

(1) Éléonore Devillepoix est titulaire d’un master en philosophie politique et éthique de l’Université Paris-Sorbonne (2012-2015) et d’un master en sciences de la London School of Economics and Political Science (2015-2016).

Bibliographie :
– La ville sans vent tomes 1 & 2 (Hachette romans, puis Livre de poche jeunesse)
– Brussailes (Hachette romans)
Ces deux ouvrages sont chroniqués dans la section "LIVRES" de ce site

Damien Dhondt




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