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– « Ce qui permet d’échapper à la mort, c’est qu’elle a tant de noms sur sa liste que parfois elle t’oublie. C’est la plus redoutable des administrations. Il ne faut jamais lui rappeler que tu existes. »
Cela devait arriver. Comme la nourriture vient à manquer seigneurs et pauvres se sont trouvés un coupable idéal. En guise de bouc émissaire, il s’agit d’un renard. Maître Renart (à la très mauvaise réputation) est sur le point d’être sacrifié et ceci malgré ses objections. Elles font d’abord à la « logique » : si Renart est trucidé, il n’y aura plus personne à blâmer à la prochaine disette. Comme la logique ne marche pas très bien le loup Ysengrin, ami de Renart (on se demande bien pourquoi), essaie la superstition. Si Renart est un diable (on ne sait jamais) l’occire pourrait porter malheur. Ah évidemment. Un homme d’Église propose alors une solution. Si Renart est un diable, on ne risque aucune malédiction à le renvoyer d’où il vient : aux enfers. Et c’est ainsi que maître Renart est jeté au fond d’un gouffre qui mènerait aux enfers. Et c’est le cas ! La chute de Renart survient d’ailleurs en pleine réunion de famille. Elle implique le diable, son rejeton Merlin l’enchanteur, la Mort (la belle-mère de Merlin), ainsi que Marie de France l’écrivaine et épouse de Merlin.
Le repas de famille dégénère et la mort décide de se débarrasser de toute la population de la Terre hommes et bêtes. Renart, ayant tout entendu, remonte à la surface, le salut des espèces humaines et animales dépendant de lui.
Adaptant (énormément) le Roman de Renart (1) datant du moyen-âge Joann Sfar exploite au mieux le paradoxe : « Le plus grand menteur du monde doit prévenir le monde d’un désastre imminent. »
Marie de France (2) est déjà convaincue. Elle connaît donc son devoir : relater les événements. Elle veut décrire la vérité du monde qui meurt tandis que Renart veut le sauver grâce au mensonge. Quelle est la bonne solution ?
(1) cf. également René Hausman « Le Roman de Renart » (Dupuis, 1970), Georges Cappon & Roger-Guy Charman « Les malices de Renart » (Hatier, 1970), Jean-Gérard Imbar et Jean-Louis Hubert « Le Polar de Renard » (éditions Le Square, 1979 & Dargaud, 1982), Jean Claude Forest & Max-Cabanes « Le roman de Renart » (Futuropolis, 1985), Alain Ayroles et Jean-Luc Masbou « De cape et de crocs » (1995), Bruno Heitz « Le Roman de Renart » (Gallimard, dans la collection Fétiche, 2007), Jean-Marc Mathis & Thierry Martin « Le Roman de Renart » (Delcourt jeunesse, 2007) Erwan & Gibie « Renart » (Clair de Lune, 2007)
(2) Personnage historique Marie de France (1160-1210) est une poétesse, la première femme de lettres en Occident à écrire en langue vulgaire (le français à la différence du latin)
Damien Dhondt
Scénario & Dessin : Joann Sfar, Couleurs : Brigitte Findakly _ La Chanson de Renart, tome 1 : Le seigneur des entourloupes _ Édition : Gallimard _ septembre 2020 _ Inédit, grand format, 56 pages _ 16 euros
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