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  Sommaire - Dossiers -  Graham Masterton

"Graham Masterton"

Alain Pelosato

(Cet article fut publié dans le Phénix N° 38 (éditions Lefrancq) puis revue et corrigée et publié dans mon livre "Fantastique des auteurs et des thèmes" Naturellement 1999)

Graham Masterton :

l’horreur
des mythes et légendes

Les mythes de la littérature fantastique revus par Masterton.

Contrairement aux apparences, l’œuvre de Masterton est culturelle. Chacun de ses romans nous apprend quelque chose de passionnant pour peu qu’on soit un peu curieux des mythes et légendes qui ont jalonné l’histoire de l’imagination humaine. Il a très bien compris que la base de données de ces thèmes était si riche qu’on était très loin de l’avoir épuisée. C’est ce qui est vraiment intéressant dans cette œuvre. Des démons japonais de « Tengu » aux contes de fées de « Hel », en passant par les légendes indiennes de « Manitou », Masterton nous donne à penser que de notre patrimoine collectif de l’imaginaire, nous viennent nos terreurs enfantines qui ne nous quittent jamais. Ces terreurs remontent à notre conscience lors de nos rêves. C’est pourquoi, ces derniers sont très présents dans les histoires de Masterton.
Les romans de Masterton sont tous construits de la même manière, basés sur un thème éminemment fantastique, celui de l’apparition de créatures, d’entités, de démons venus d’ailleurs ou de la transformation d’humains en ce type de créature. Ainsi, un objet (épave de bateau, char abandonné de la dernière guerre, armoire...) ou même un être humain devient le siège d’un démon qui peut ouvrir les portes de l’Au-delà. Le héros devra trouver le moyen de les refermer.
Voyons d’abord les histoires comportant des objets magiques. Même « Démences », roman qui ne met pas véritablement en scène les démons, mais des déments ayant accédé au savoir occulte des Druides grâce aux livres anciens de la bibliothèque de l’asile, utilise un objet magique, accessoire incontournable des histoires de Masterton. Cet objet est la flûte d’Hamelin de la légende. Mais il y a aussi l’armoire de « La vengeance de Manitou », le sac en toile du « Jour J du Jugement », le tableau du « Portrait du mal », l’eau des « Puits de l’Enfer », le parquet de la bibliothèque de « Walhalla »... Les effets de l’objet maléfique, porte ouverte vers l’univers du Mal sont contrecarrés par l’objet béni. C’est le cas des neuf sceaux de « Les Guerriers de la nuit » qui sont des morceaux de la robe des apôtres. Hélas, l’imagination n’est pas toujours au rendez-vous lorsqu’il s’agit bêtement d’eau bénite ou d’un ordinateur. Mais le Mal lui-même peut engendrer son contraire, le Bien. Dans « Sang impur », ce sera l’écu donné à Judas en récompense de sa trahison qui permettra au shériff de détruire Janek-le-Vert. Dans « La Vengeance du Manitou », les hommes-médecine ont emmené avec eux les fantômes des victimes du massacre dont l’esprit leur a permis de venir. Ce sont ces fantômes qui viendront à bout des méchants « sorciers » revenus venger les Indiens des méfaits des hommes blancs. C’est l’occasion pour Masterton de reprendre un thème fascinant de la littérature fantastique, celui du « Signaleur » de Dickens, le fantôme qui apparaît constamment au héros pour l’avertir d’un danger. Ce thème favori d’Henri James (« Le Tour d’Ecrou ») sera utilisé aussi par Masterton dans « Démences ». D’ailleurs, les objets ont tous une vie, un « manitou » (« Manitou ») et l’histoire de l’homme en bois animé par l’esprit de l’homme-médecine renvoie ma mémoire vers un sketch écrit par Stephen King dans le film « Creepshow ».
Un autre objet revient systématiquement dans les histoires de Masterton, la plupart du temps bénéfique, car c’est lui qui apporte la solution au problème, c’est le livre. Les manifestations cruelles des démons étant mystérieuses, le héros trouve toujours le moyen de rencontrer un vieillard érudit, savant, prêtre ou homme de loi, qui possède une bibliothèque très ancienne, le journal d’un vieil aïeul, texte qui apporte les explications nécessaires. Le procédé littéraire de Masterton est dévoilé par un de ses héros dans « Manitou » lorsqu’il déclare : « J’ai toujours été étonné de voir avec quel empressement et quelle rapidité les gens acceptent l’occulte et le surnaturel, dès qu’une preuve se présente à leurs yeux. » Masterton accumule donc pour le lecteur les « preuves » des manifestations effrayantes, son héros étant témoin contre tous de ces preuves. Ces dernières étant réunies, alors là seulement l’explication est donnée par un texte ancien. Ce mythe du vieux manuscrit se répète à chaque histoire dont il constitue toujours un tournant. Le roman perd alors tout son mystère pour devenir simplement terrifiant. Cette terreur s’appuie sur un sentiment profond de culpabilité d’autant plus terrifiant qu’il est inconscient et envoie en guise de punitions des messages effrayants au conscient. Ce qui nous amène à la folie, toujours meurtrière et sadique chez Masterton. C’est le thème central de « Démences ». L’humour est d’ailleurs toujours présent dans ces textes. Ainsi dans cette histoire de fous ayant réussi à vivre dans les murs de l’asile, l’objet exorciseur est de l’eau bénite (bof ! ) contenue dans une bouteille de Perrier. Or, la publicité de Perrier n’était-elle pas : « Perrier ! C’est fou ! » La folie, pour Masterton est l’œuvre du démon. « La folie est un mot humain qui décrit presque toujours les activités des démons », déclare le démon Elmek au héros du « Jour J du Jugement ». « Démences » permet à Masterton de rendre un hommage appuyé aux légendes celtiques et au « Passe-Muraille » de Marcel Aymé.
Les fantômes hantent souvent les histoires de Masterton. Ils sont rarement bons, sauf le « Signaleur » de « La Vengeance du Manitou », qui sauvera le monde avec ses autres collègues fantômes. Mais ailleurs, les fantômes sont toujours l’œuvre des démons.
Dans « Walhalla », les fantômes n’en sont pas, mais sont des êtres humains venus du passé dans une maison qui est équipée d’un plancher-horloge, instrument de Balam, esprit du temps, ange de l’Ordre des Dominations déchu parce qu’il avait affirmé que les femmes étaient les égales des hommes.
Les morts-vivants du « Démon des Morts » massacrent toute la population de Salem. Certaines scènes décrites sont un hommage direct au superbe film de Romero « La Nuit des Morts-Vivant ». De même, à l’inverse, le film « Evil Dead », n’est-il pas directement inspiré de l’œuvre de Masterton ? On y trouve tous les ingrédients de son fantastique : le Livre maudit, la possession des corps et des âmes, la maison isolée dans une nature hostile. Le début du roman « Le Démon des morts » rappelle ce film avec la scène de la balançoire qui grince au-dehors à deux heures du matin, ainsi que le magnétophone (détruit juste à temps par le vieux prêtre) qui psalmodie l’évocation faisant apparaître Belzébuth, le Seigneur des mouches. Les démons utilisent les corps des êtres humains morts pour agir dans notre monde et pour effrayer les vivants. Les morts-vivants sont également présents dans les rêves, lieu des batailles avec le démon dans « Les Guerriers de la nuit ».
Le vampirisme intéresse Masterton. Il le traite d’une façon très originale dans « Le Portrait du Mal ». Mais il s’agit d’un vampirisme particulier. L’éternité est fournie à la famille Gray par un tableau les représentant, peint par Walter Waldergrave, le peintre ami d’Oscar Wilde. Un bel hommage (un peu trop appuyé ?) à l’écrivain anglais et à son œuvre « Le Portrait de Dorian Gray ». Hélas, par un concours de circonstances, ce tableau leur est enlevé. Ces braves gens pourrissent donc vivants sur pieds... Pour garder une apparence convenable, ils ont besoin de peau humaine... « Le Silence des Agneaux » traite du même thème : être dans la peau des autres. Les terribles crimes qui se déroulent aux alentours du château des vampires rappellent le terrible Gilles de Rais, dont l’histoire est superbement traitée par l’écrivain français Huysmans dans « Là-Bas », roman sur l’occultisme et l’alchimie. « Le Portrait du Mal » est également fascinant par la manière dont l’écrivain traite du vampirisme. La famille Gray, prête à tout pour la vie éternelle, « vivant » dans un vieux château gothique de la Nouvelle Angleterre, assemblée de fantômes mangés par les vers, mais éternels grâce à une œuvre d’art et à l’occultisme, permettra au héros, membre de la famille sans le savoir, d’atteindre aussi l’éternité. L’art n’est-il pas éternel ? Accéder au monde représenté par les tableaux c’est accéder à l’éternité. Mais notre image (photo, portrait, peinture) nous prend toujours une partie de notre âme. Ces histoires d’image présentes dans toute l’œuvre de Masterton renvoient aux œuvres de Jean Lorrain (« Histoires de Masques »), Hans Heins Ewers (« Le Cœur des Rois »), Marcel Schwob (« Le Roi au Masque d’Or » ; « Les Faulx-Visages ») et surtout le grand Ernst Theodor Amadeus Hoffmann dans « Princesse Brambilla ». Etre dans la peau d’un autre... C’est parfois désirable et parfois terrifiant.
« Votre image ne vieillit pas de l’intérieur (...) mais de l’extérieur (...) Votre visage vieillit à force d’être regardé, d’être photographié. » Thème développé dans une nouvelle de David J. Schow : « Lumière Rouge ». Une autre citation du « Portrait du Mal » : « Des personnes et des lieux créés dans des romans et des tableaux, si les lecteurs ou les spectateurs croyaient en eux avec une conviction suffisante, pouvaient effectivement se manifester dans le monde réel », ne peut-elle se comparer à une autre de Jean Ray dans « Malpertuis » : « Les hommes ne sont pas nés du caprice ou de la volonté des dieux, au contraire, les dieux doivent leur existence à la croyance des hommes. Que cette foi s’éteigne et les dieux meurent »...
Il y a également des références au « Dracula » de Bram Stoker dans ce roman. Masterton multiplie les lieux et titre chaque chapitre du lieu de l’action et de la date. Ces titres de chapitre, complètement inutiles pour la compréhension de l’action, existent pour rappeler la structure de « Dracula », faite des journaux intimes des protagonistes. Dracula est cité plusieurs fois dans « Sang Impur ». Une scène où des pêcheurs remontent à la surface d’un lac le corps écorché d’une victime de la famille des vampires rappelle la nouvelle « Sur l’Eau » d’un autre spécialiste des vampires, Guy de Maupassant. Les corps des morts-vivants du « Portrait du Mal » se sont réfugiés dans l’eau glacée du bassin du jardin ; c’est au fond de la mer que repose le « Démon des Morts » dont le gardien est une noyée. L’eau a toujours fasciné les fantastiqueurs. C’est le thème principal des « Puits de l’Enfer » où les démons arrivent par l’eau, envoyés par le plus grand des monstres aquatiques : Cthulu lui-même, décrit comme « un gigantesque ver noir », alors que le ver de Bram Stoker était blanc (« Le Repaire du Ver Blanc »). Mais l’eau, c’est aussi le miroir de nos âmes, c’est pourquoi, dans « Le Démon des Morts », Anne invoque le miroir en se regardant dans un bol d’eau pour lutter contre les démons.
Le déchirement des chairs et leur pourriture, le sang, la mutilation, l’horreur anatomique forment une base solide de la terreur sécrétée par les histoires de Masterton.
La possession, thème présent dans toutes ses œuvres, exprime l’existence de l’autre monde lorsqu’il pénètre dans le nôtre. Cette question est abordée par H.G. Wells de manière subtile dans une saisissante nouvelle « La porte dans le Mur ». Cette possession est, la plupart du temps, spirituelle. Dans « Manitou », elle est à la fois spirituelle et matérielle puisque l’homme-médecine, Misquamacus, « pousse » dans le corps d’une jeune fille pour revenir au monde matériel qu’il avait quitté en 1650. Cette très belle histoire ressemble énormément à une nouvelle terrifiante d’Edward Lucas « White Lukundoo », dans laquelle un explorateur maudit par un sorcier africain voit pousser sur son corps des « démons » qui l’insultent et le menacent. Certaines personnes sont tellement possédées qu’elles ne prennent pas seulement la voix, mais aussi le visage de l’esprit qui les possède. Certains individus privilégiés, comme les hommes-médecines Indiens, ont plusieurs vies et savent se réincarner jusqu’à sept fois avant de rejoindre la Grande Prairie, pardon... Le Grand Dehors, selon Masterton.
Ainsi, les rêves que nous faisons ne sont pas notre œuvre. Ils sont le fait des démons ou des hommes-médecine qui se réincarnent dans le secteur. Ce sont des avertissements, des signes envoyés par les prochains visiteurs. Alors, gare à vos rêves.... Dans « Les guerriers de la nuit » et ses deux suites, les rêves sont les champs de bataille du bien contre le mal. Dans le deuxième volet de la trilogie, « Les Rivages de la nuit », l’histoire ressemble beaucoup trop à celle de « Freddy Krueger » du film de Wes Craven « Les Griffes de la nuit ».
Les contes pour enfant sont le recueil le plus riche des thèmes du fantastique. Masterton développe le thème d’ « Alice au pays des merveilles » dans « Le Miroir de Satan » et « Apparition », et, surtout, il consacre un superbe roman à un terrifiant conte d’Andersen : « La Reine des neiges », en y mêlant une mythologie nordique, celle du méchant Loki. Dans ce roman, « Hel », qui parle de fantôme, l’écrivain évoque les problèmes de la création artistique (je cite) : « Les écrivains créent des mondes et excitent l’imagination des gens, et ensuite ils voudraient que ceux-ci les oublient ? Comment pourrait-on oblier ? » Il est curieux de noter encore une fois une ressemblance avec un thème traité par l’autre « Freddy » de Wes Craven : « Freddy sort de la nuit ».
Dans plusieurs de ses romans, Masterton utilise le thème de la cartomancie, le Tarot dans « Manitou » et le « jeu de cartes de mademoiselle Lenormand » dans « Le Portrait du Mal ». Les nouvelles annoncées par les cartes ne sont jamais bonnes, on s’en doute. Une autre influence d’Huysmans qui était également fasciné par le Tarot ?

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Masterton ne se contente pas de développer des mythes de la littérature fantastique (ce qui semble lui faire énormément plaisir) mais en profite pour traiter de sujets historiques, à sa manière.
L’horreur de la guerre, la recherche maladive du meilleur moyen de destruction des hommes est le thème du « Jour J du Jugement », les militaires alliés à l’Eglise ayant « domestiqué » des démons pour faire la guerre à leurs côtés lors du débarquement en Normandie. Et attention ! cela a toujours été le cas, lors de toutes les guerres, les « démons » se sont enrôlés dans l’armée qui a su leur offrir les sacrifices humains demandés. Ces sacrifices ne sont-ils pas négligeables en temps de guerre ?
Le fameux procès des sorcières de Salem en 1692 a toujours fasciné les amateurs de fantastique. Masterton en donne une explication démonologique dans « Le Démon des Morts ». Le démon responsable de cette « hystérie » revient semer la terreur de nos jours. Le responsable c’est le puritanisme qui, à force de rechercher la punition des pécheurs, finit par s’allier avec le diable lui-même. Or, un des juges des sorcières de Salem, John Hathorne était l’aïeul du grand écrivain Nathaniel Hawthorne, né aussi à Salem. Dans toute son œuvre, Hawthorne reprend le thème de la malédiction due au péché, que ce soit dans « La Lettre écarlate », « Le Voile Noir du Pasteur », ou « La Maison aux Sept Pignons ». Tout le roman de Masterton est basé sur une malédiction de ce type. Or il ne fait jamais allusion au romancier romantique Hawthorne sauf dans le nom de l’hôtel fréquenté par le héros : l’Hawthorne Inn. Mais peut-être que cet hôtel existe vraiment à Salem ?
Le plus beau double hommage littéraire que Masterton ait rendu est contenu dans sa (courte...) nouvelle « Will ». Il y rend hommage à Lovecraft, bien sûr, et surtout à Shakespeare et aussi au « Faust » de Gœthe, puisqu’on apprend dans cette nouvelle que Will Shakespeare a fait, en son temps, un pacte avec Y’g Southothe (autrement dit, Yog-Sothoth selon Lovecraft) pour devenir célèbre. En échange, il donna la vie de son fils et logea le démon dans les caves du théâtre du Globe. Magnifique !
Enfin, dans un de ses meilleurs romans, « Manitou », Masterton nous donne une explication (justification ?) très personnelle et très fantastique de la victoire des Blancs sur les Indiens

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Le héros principal des œuvres de Masterton est la Mort. Elle seule n’est jamais banale dans la vie. L’écrivain tente d’en montrer toute l’horreur, cultive l’angoisse qui entoure l’idée que l’on s’en fait et la terreur que suscitent les corps de ceux qui en ont été victimes. Mais ne devons-nous pas tous y passer ? « Le troisième (tableau) représentait un enfant dans son berceau, mort, tandis que sa mère, folle de douleur, se cachait le visage dans ses mains. Derrière la mère, sa face décharnée à peine visible du fait de son capuchon ombreux, se tenait la Mort, sa faux posée sur son épaule ». (« Le Portrait du Mal ») La Mort et ses mystères n’est-elle pas le seul thème littéraire qui vaille la peine d’être traité ? Le plus fantastique ? Le seul fantastique ? Par cette fascination pour la grande Faucheuse et pour les corps des humains qui en ont été les victimes, Masterton fait preuve des mêmes obsessions que Hans Heinz Ewers, le grand écrivain Allemand qui a soutenu les nazis, croyant ainsi soutenir l’Allemagne, apportant son appui intellectuel à la plus grande œuvre de mort de l’histoire de l’humanité. Mais même le nazisme ne voudra plus de lui plus tard... H. H. Ewers a traité, dans ses nombreuses nouvelles (car lui, il savait écrire court...) et romans, tous les mythes que Masterton a repris dans ses romans : les noyés (« Le Noyé »), les vampires (« Vampir » ; « La Sauce Tomate »), les œuvres d’art nécromanciennes (« Le Cœur des Rois »), la possession (« La Suprême Trahison »), la malédiction (« Mandragore ») ; en résumé : les œuvres de la Mort...
Le sexe est également très présent dans les romans de Masterton. On n’oublie pas qu’il a commencé sa carrière en écrivant des romans pronographiques. C’est le point faible de son style : il n’a jamais réussi à se libérer de cette manière de décrire les rapports sexuels. Ceci dit, à part dans le roman « Tengu », dans lequel la violence et le sexe apparaissent comme complètement gratuites, dans la plupart de ses œuvres, l’écrivain utilise la sexualité comme une base du fantastique. C’est le cas dans « Les Guerriers de la nuit » où le diable (Yomauilt) viole les femmes pendant leur sommeil pour engendrer d’autres démons, et aussi dans « Hel », qui traite de manière pertinente le problème de la pédophilie.
Enfin, Masterton aime le cinéma fantastique. Il cite souvent des films dans ses récits. Il bat tous les recors de citations dans « Sang Impur » et il y utilise des scènes de certains films pour mieux décrire les siennes. Ainsi sont cités : « Zombie » (1978) de George Romero, « Scanners » (1980) de David Cronenberg, La Guerre des mondes (1953) de Byron Haskin, « Jurassik Park » (1993) de Steven Spielberg, « Indiana Jones et le temple maudit » (1984) de Steven Spielberg, « Des monstres attaquent la ville » (1953) de Gordon Douglas, « La Chose d’un autre monde » (1951) de Christian Nyby, « Les Dents de la mer » (1975) de Steven Spielberg. Vous constaterez que Spielberg est cité trois fois ! Masterton cite également d’autres films comme « Les Tortues Ninja » et « Autant en emporte le vent »... Par ailleurs, l’écrivain cite souvent « L’inspecteur Harry** » comme antithèse de son héros, Luke le shériff.
Masterton puise dans le fabuleux patrimoine de la littérature fantastique pour écrire ses romans. Il ne se contente pas d’en utiliser les mythes, il les renouvelle, les développe, les triture, les rend encore plus effrayants, terrifiants.
Mais la terreur ne fait-elle pas reculer le mystère ?

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Peut-on être critique dans ce genre d’article, même sur un auteur qui nous enchante souvent ?
Masterton souffre d’une manie très répandue chez les écrivains anglo-saxons : il écrit trop long parfois, beaucoup trop long. Ainsi, certains romans peuvent être lus à partir de la cinquantième page sans dommage. A-t-on besoin de savoir ce que mange le héros, les meubles qui décorent son appartement et le moindre geste de sa vie quotidienne ? Très ennuyeux parfois. Cinq pages lui sont nécessaires pour écrire qu’une balançoire grince au-dehors à deux heures du matin... Le suspens dure un peu. C’est le cas dans « Les Guerriers de la nuit » et ses suites, où certains événements se répètent, une fois d’abord, par la narration de l’écrivain, ensuite par celle d’un ou même plusieurs personnages. On a parfois envie de tourner rapidement les pages...
D’autre part, un certain nombre d’erreurs tendraient à montrer que Masterton écrit très vite, sans bien se relire. Dans « Le Démon des morts », il y a de la buée sur une bouilloire chaude alors que la pièce devient froide ; cette inversion d’un phénomène naturel est sans doute due au démon. Deux pages plus loin, il parle de fleurs de pommiers en été ! Dans « La Vengeance de Manitou », page cent vingt-quatre de l’édition Pocket, l’instituteur Saperstein prend trois photos des enfants possédés qui dansent dans la cour. Ces trois photos sont devenues cinq page cent quatre-vingts. Enfin, Masterton ne sait sûrement pas que les vaches laitières restent à l’étable en plein hiver et ne broutent pas dans les prés, en Normandie et ailleurs (« Le Jour J du Jugement »).

Masterton et les Peaux-Rouges

Contrairement à Lovecraft qui était raciste, Masterton aime les Indiens. Si, dans nombre d’œuvres de l’écrivain de Providence s’exprime puissamment l’eugénisme dont il faisait la base de l’intrigue, Masterton, lui, n’aborde jamais aucune question physiologique qui séparerait telle ou telle ethnie. A peine souligne-t-il les « pommettes hautes » de tel représentant de la communauté indienne d’Amérique.
Masterton est révolté par le génocide des Indiens après la découverte de l’Amérique. Il en fait le thème central de trois romans : « Manitou », « La Vengeance de Manitou » et « L’Ombre de Manitou ». Il s’appuie sur la mythologie lovecraftienne pour créer une fascinante mythologie indienne basée sur la magie gestuelle et textuelle qui amène sur notre terre matérielle les esprits (les manitous) qui règnent sur le cosmos.
En 1651, le Directeur général de la Dutch West India, Peter Minuit (sic) vivait dans la « Nouvelle Amsterdam », devenue depuis New York. Les Hollandais avaient acheté l’île de Manhattan aux Indiens pour la somme de vingt-quatre dollars !
Non seulement les Blancs grugèrent les Indiens, mais ils les décimèrent avec les maladies qu’ils apportèrent et contre lesquelles les Peaux-Rouges n’étaient pas immunisés, avec leur méchanceté fondamentale et leurs armes à feu. Pourtant les hommes-médecines et autres « faiseurs de merveille » sont les meilleurs magiciens du monde. « Les guérisseurs étaient souvent de puissants magiciens qui étaient capables d’actes surnaturels extraordinaires. On raconte qu’ils étaient immortels et qu’ils pouvaient - s’ils étaient menacés - se détruire en buvant de l’huile enflammée, pour renaître au moment et au lieu de leur choix, dans le futur ou dans le passé, en se fécondant dans le corps d’un homme, d’une femme ou d’un animal. » (« Manitou ») Donc, « les Hollandais auraient dû garder leurs vingt-quatre dollars et laisser Manhattan aux Indiens. Tout se passe comme si les propriétaires légitimes cherchaient à prendre leur revanche. »
Mais comment de si fabuleux magiciens, des gens qui étaient « en contact étroit avec le Cosmos », ont-ils pu être vaincus par les hommes-blancs ? C’est le Docteur Snow (ce qui veut dire neige), vieil érudit spécialiste des Indiens qui nous l’explique : « A mon avis, le véritable déclin de l’homme-rouge n’a pas tellement été causé par la traîtrise et la cupidité des Blancs... Il résulte beaucoup plus de l’érosion des pouvoirs occultes des hommes-médecine. Lorsque les tribus rouges ont vu les prodiges scientifiques réalisés par l’homme-blanc, elles ont été excessivement impressionnées et elles ont perdu foi en leur propre magie. » Ah ! cette supériorité technique des occidentaux...
Masterton hésite constamment : les Indiens sont-ils inférieurs aux Blancs, oui ou non ? Le sentiment de culpabilité de l’homme-blanc peut n’avoir d’égal que la profondeur de la haine qu’il exerce en direction de l’objet de ce sentiment.
Lovecraft n’aurait rien inventé, car ce qu’il a décrit dans ses œuvres c’est ce que les Indiens savaient faire : « Misquamacus (l’homme-médecine réincarné) va appeler le plus redoutable de tous les esprits, le Grand Ancien ». (« Manitou ») Et, le grand Cthulu, ce n’est pas Lovecraft qui l’a inventé, mais les Indiens, car Misquamacus l’avait « banni et relégué sous les eaux, (...) sous toutes les eaux et non en un endroit précis » sous le nom de Ka-tua-la-hu. (« La vengeance du Manitou »)
« L’Affaire Charles Dexter Ward » de Lovecraft n’était qu’inspirée des capacités des hommes-médecine à vivre sept vies, car « chaque manitou se réincarne sept fois ; à chaque fois qu’il vit, meurt et renaît, sa force et son savoir augmentent. A la fin de sa septième vie passée sur cette terre, il possède suffisamment de sagesse pour rejoindre les dieux dans le Grand Dehors, dans ce que les Mic-Macs appelaient Wajok, la demeure des Grands Anciens (...) Ils maîtrisaient parfaitement tout fait occulte, excepté ceux qui résultaient de l’action des Blancs. »
Et voilà où le bât blesse. Donc le Cosmos, l’univers, comme son nom ne l’indique pas ne serait pas universel ! Il y a le Monde des hommes rouges et le Monde des hommes blancs. Celui de ces derniers est supérieur puisqu’il a vaincu...
Le savoir ancestral des Indiens ne peut rien faire contre l’esprit des objets technologiques des Blancs. Ainsi, c’est le manitou (l’esprit) de l’ordinateur de la police qui vaincra Misquamacus dans Manitou et les fantômes des colons blancs massacrés autrefois par les Indiens Wappos viendront à bout des vingt-deux hommes-médecine réincarnés pour se venger des Blancs (La vengeance de Manitou) : « Les Wappos croyaient (...) que pour chaque Indien qui mourait du choléra ou de la petite vérole, ou qui était abattu par des chasseurs de scalps, un homme-blanc mourrait en retour. (...) Un jour les étoiles deviendraient sombres parce qu’ils appelleraient les plus puissants et les plus maléfiques des démons indiens. »
Ainsi, « ce continent (Américain) et ses esprits peaux-rouges ont été envahis et vaincus par les manitous blancs de la loi et du christianisme » et « le manitou d’Unitrak (l’ordinateur de la police) est sans nul doute chrétien... il craint Dieu et il défend l’ordre et la loi. » D’autre part, « vous connaissez la vieille histoire des Indiens qui ne voulaient jamais être photographiés ? (...) les appareils photo leur prendraient leurs âmes. » (« Manitou »)
Pauvres Indiens... Victimes de la cruelle civilisation chrétienne. Mais, le Blanc est rongé par un profond sentiment de culpabilité, (« mais ceci n’est pas notre pays, Harry, c’est le pays que nous avons volé aux Indiens »), ce qui surprend l’Indien intégré aujourd’hui à la civilisation des blancs : « ...tous (les Indiens) ont considéré les Blancs de la même façon. Comme des démons sans scrupule au cœur de pierre. A présent, alors que vous nous avez enfin appris à être aussi durs et intraitables que vous, voilà que vous vous attendrissez sur nous. » (« Manitou »)
Mais les Indiens ont une réputation qui permet à un écrivain de fantastique d’écrire des aventures fabuleuses : ils sont des hommes de la terre, des esprits des plantes et des animaux ; ils sont eux-mêmes la terre et leurs hommes-médecine savent appeler leurs démons. « Nous ne faisions qu’un avec les terres (...) avec toutes les forces et les influences des terres, et avec tous les idéaux et les esprits pour qui les arbres poussent et les pierres jaillissent du sol. » (« La Vengeance du Manitou »)
Merveilleux non ?
Hélas, les Indiens n’ont pas pu poursuivre la vie merveilleusement naturelle qui était la leur, car les Blancs, grâce aux manitous de leur technologie les ont vaincus et exterminés.
« Les hommes-blancs ont vaincu les peaux-rouges parce qu’ils étaient plus forts, mieux armés et mieux organisés, et à la fin ils étaient plus décidés ».(« La Vengeance du Manitou »)
C’est pourquoi, les hommes-médecine qui ont plusieurs vies à leur disposition pourront toujours un jour revenir et assumer leur vengeance. Ce qui permet à Masterton d’écrire plusieurs tomes sur ce thème...
Les Indiens sont également présents dans d’autres œuvres de Masterton. Chaque fois que l’intrigue se déroule aux USA, les Indiens sont présents. Ils jouent alors un rôle bénéfique en venant au secours du héros grâce à leurs pratiques magiques.
C’est le cas, par exemple, dans « Les Puits de l’Enfer », les Indiens connaissaient parfaitement l’existence de Satan, le grand Cthulu, appelé en réalité Chulte, banni au-delà des étoiles par les hommes-médecine, il a été rappelé par Aaron (celui de la Bible). Dans ce roman, Masterton mêle mythologie lovecraftienne, démonologie et mythes indiens. « Les Indiens habitant la côte est de l’Amérique vivaient en contact étroit avec l’océan... Les sages Indiens ont pris la peine d’avertir les hommes-blancs au sujet des dieux-bêtes », alors qu’ils se faisaient massacrer par eux !... Lovecraft n’aurait rien inventé, il aurait simplement repris des légendes indiennes tombées dans l’oubli... Beau procédé littéraire et bel hommage aux Indiens.
Dans « Le Démon des morts », le vieil Indien Quamus, qui vit depuis des siècles (c’est donc un homme-médecine) aidera le héros à vaincre l’être sans chair, le Démon des Morts, Mictantecutli que le puritain David Dark est allé chercher autrefois au Mexique et qui renaît à notre époque. Le roman est donc basé sur une mythologie Aztèque inventée par l’auteur en utilisant, là encore, celle de Lovecraft.

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Grâce aux Indiens, au mythe de l’homme-rouge et sa magie, Masterton rend vraisemblable la mythologie qu’il tire de Lovecraft, car il l’impute aux traditions indiennes en changeant le nom des dieux. Il la rend d’autant plus terrifiante que les Indiens ont terrifié toutes les générations d’hommes-blancs, par leurs pratiques guerrières ressenties comme cruelles et surtout par la profonde culpabilité du génocide.
La vraie terreur du cauchemar qui vous réveille en sueur, c’est celle de la culpabilité d’avoir tué quelqu’un (son père ou sa mère ?), d’avoir enterré, jeté dans un puits ou caché son cadavre dans un placard... Les Indiens étaient en harmonie avec la nature, notre mère à tous.
Et le génocide des Indiens n’était-il pas motivé par la tentation du paradis terrestre dont le prix à payer est la mort de tout un peuple ?

Masterton : Lovecraft moderne ?

Le plus lovecraftien des romans de Masterton est sans doute « Les Puits de l’Enfer », car il met en scène le dieu le plus populaire de la mythologie de l’écrivain de Providence : le grand Cthulu lui-même, mais surtout, il est inspiré de « La Couleur tombée du ciel », roman le plus terrifiant de l’écrivain de Providence. Mais, au fond, toute l’inspiration de Masterton, il la puise dans l’œuvre de Lovecraft.
Dans la postface à sa nouvelle « Will », il évoque cette inspiration que lui a procurée Lovecraft : « La première fois que j’ai emprunté sa démonologie à H.P. Lovecraft, c’était en 1975, alors que j’écrivais Manitou. (...) Pour moi, la grande réussite de Lovecraft a été de créer une ambiance vraiment terrifiante de peur très ancienne - une peur accrue par la façon quasi documentaire dont les protagonistes de ses histoires apprenaient peu à peu l’existence effroyable des Anciens Dieux. »
Fasciné par le reclus de Providence, l’auteur des « Puits de l’Enfer » fait dire à un personnage de ce roman : « Vous n’avez jamais lu H.P.Lovecraft ? Il parlait souvent dans ses histoires des “Grands Anciens“. Le plus abominable de tous ces dieux était une bête vivant au fond de la mer appelé Cthulu (...) Cthulu était une déformation du véritable nom du dieu Quithe. »
Lovecraft était obsédé par les transformations physiques. Il a magnifiquement traité de cette question dans sa nouvelle : « Le Cauchemar d’Innsmouth », dans laquelle le héros s’aperçoit très progressivement, en même temps que le lecteur, qu’il fait partie du peuple des abîmes et qu’il se transforme petit à petit. L’odeur de poisson annonce la proximité de ces être mi-hommes, mi-démons. Cette odeur est présente tout au long des péripéties des « Puits de l’Enfer ». Mais je trouve que Robert Bloch avait bien mieux réussi dans « Retour d’Arkham »... Quoiqu’il en soit, des humains ayant bu de l’eau dans laquelle flottent les micro-organismes éjaculés par Cthulu se transforment en espèces de crabes munis de tentacules et dévorent les humains. Voilà donc du Lovecraft, disons... vulgaire, bien qu’il semble directement inspiré de la très bonne nouvelle « Les Etangs des Etoiles » d’A. A. Attanasio qui met également en scène le grand Cthulu ayant pris possession du corps et de l’âme d’un humain par l’intermédiaire d’une pierre trouvée dans un torrent. Et n’est-ce pas Lovecraft lui-même qui écrit dans « À Travers les Portes de la Clé d’Argent » : « Les crustacés de Yuggoth adorent Yog-Sotoh comme celui de l’au-delà » ? Cthulu est également mis en scène dans « La Vengeance du Manitou » où vingt-deux hommes-médecine réincarnés tentent de le faire réapparaître sous le nom de Kua-tua-la-hu.
D’autres œuvres de Masterton puisent dans l’imaginaire de Lovecraft et d’une manière plus subtile.
D’abord, tous les romans d’Indiens subliment les mythes de Lovecraft en une nouvelle mythologie qui apparaît crédible, car basée sur les légendes indiennes ou plutôt sur un jargon indien. Tous les ingrédients des histoires des Grands Anciens sont présents : les incantations, les livres donnant l’accès aux sciences occultes, la nature malfaisante des dieux ou démons appelés, les hommes qui les servent. Lovecraft avait transformé la démonologie et le satanisme en un nouveau culte, non pas des esprits, mais de divinités concrètes, de vraie matière, même si elles avaient été chassées dans un autre univers. Ce sont bien des créatures du Cosmos, et non pas du Paradis ou de l’Enfer. Masterton suit ses traces et accentue encore l’effet puisqu’il y ajoute deux ingrédients qui aromatisent encore mieux la sauce littéraire : la magie indienne et la religion chrétienne. D’où, selon les cas, la présence d’accessoires de magie indienne ou d’eau bénite, de prêtres et de crucifix. Cela semble à première vue artificiel, mais à la lecture des romans, ces nouveaux ingrédients rendent les faits relatés plus actuels, donc plus crédibles. Si Lovecraft ne parle jamais du diable, Masterton l’évoque souvent, sous le nom de Satan ou Belzébuth. Or, ces noms rencontrent un écho dans notre culture chrétienne entretenant ainsi la terreur de la punition du péché. D’ailleurs, Masterton cite le film « L’Exorciste » plusieurs fois, et place l’appartement d’une victime des vampires du « Portrait du Mal » en face de l’immeuble de « Rosemary’s Baby ». Le diable est toujours présent... Par contre, chez Lovecraft, la terreur provenait du fait que ces créatures n’étaient pas inventées pour une raison morale, idéologique ou philosophique quelconque, mais existent réellement dans le Cosmos. Lovecraft était profondément matérialiste et s’en tenait là. Masterton hésite entre le matérialisme et l’idéalisme, car il se dit que ce dernier contient tellement de possibilités de thèmes fantastiques qu’il serait dommage de s’en priver.
Ainsi, dans « Le Jour J du Jugement », les démons (qui semblent, à première vue plus tenir de la mythologie chrétienne que lovecraftienne...) sont des êtres matériels. « Les ossements d’un démon sont aussi puissants que le démon lui-même de son vivant... On peut les disperser de telle façon que le démon ne puisse revenir à la vie. » Pas mal trouvé, bien qu’on puisse penser que Masterton fût influencé par la nouvelle de Lovecraft « L’indicible » ! Ainsi, « en des temps révolus, les démons allaient et venaient sur la terre, librement, et ils continuent de le faire ! Ils ont passé des accords avec des humains pour des avantages réciproques. » Ces démons prennent d’ailleurs différentes formes physiques. Ils existent, bien sûr : n’avez-vous jamais vu, du coin de l’œil, une petite ombre passer lestement ? Et les incantations ? Celles de Lovecraft sont imprononçables (heureusement !) alors que celles de Masterton, tout aussi étranges, le sont un peu moins : « Adramalech usthul ! Adramalech ghuthil ! » Il y a aussi un livre démoniaque dans ce roman, à l’image du Nécronomicon de Lovecraft. Masterton l’appelle : le Pseudomonarchia Daemonium. Les objets (statuettes, bas-reliefs, tableaux, bâtiments) ont également une grande importance dans l’imagerie de Lovecraft. Ici, le Talisman est d’abord « un anneau de cheveux tressés d’un enfant premier-né qui fut offert en sacrifice à Moloch » et, plus tard, les cendres de la tunique de Jésus-Christ. Lovecraft, pour mieux rendre crédible son récit, inventait des faits réels ou rapportés dans un journal ou par un témoin. Masterton développe ce procédé. Ainsi, dans « le Jour J », il s’appuie sur la dernière guerre et la guerre de Jeanne d’Arc contre les Anglais (les démons étaient avec elle, cela va de soi pour un Anglais !), puis donne à son histoire de démons un air de vérité en citant les treize diables de Rouen qui avaient défrayé la chronique au onzième siècle. Ce fut Cornélius Prelati qui exorcisa ces démons et les enferma dans des sacs. Voilà encore un thème cher à Lovecraft : les démons endormis au cours des siècles et qu’il ne faut surtout pas réveiller... Les sataniques dans ce roman sont les militaires. Avec l’aide de l’Eglise, ils ont rappelé les démons pour faire la guerre aux Allemands et les ont utilisés lors du débarquement. Les faits historiques du Démon des Morts sont constitués par le procès des sorcières de Salem en 1692. Les faits réels, relativement inexpliqués (qu’est ce qui leur a pris tous de tomber dans une telle hystérie meurtrière ?) trouvent une explication dans le roman de Masterton, le rendant encore plus terrifiant.
Le rêve est aussi un élément primordial de la dramaturgie de Lovecraft. Le rêve est un signe des démons. Masterton l’utilise souvent pour alerter le lecteur, apporter un mystère effrayant (qui n’a pas été effrayé par ses rêves ?). Dans son récit « Dans l’Abîme du Temps », le héros de Lovecraft rêve qu’il est sur un autre monde, celui de la Grand’Race. Mais le lecteur comprend petit à petit que ce rêve est réalité et que notre homme s’est incarné dans le corps d’un membre de la Grand’Race et vice versa. Dans Démons et Merveilles, les pérégrinations du héros, Randolph Carter, le mènent dans le monde des rêves dont il reçoit la clé. Ce recueil fascinant de quatre textes écrits à des époques différentes - « Le Témoignage de Randolph Carter » (1919) ; « A la Recherche de Kadath » (1927) ; « La Clé d’Argent » (1926) ; « À Travers les Portes de la Clé d’Argent » (1933) - montre clairement que les rêves ne sont que la manifestation des « splendeurs inouïes et stupéfiantes (qui nous) attendent dans ces profondeurs » ; autrement, dit nos rêves sont des signaux de l’Au-Delà. Ce thème du rêve est souvent présent dans l’œuvre de Masterton (« Manitou » et ses suites, « Le démon des Morts »...) Il place l’existence des démons dans nos rêves dans la trilogie « Les Guerriers de la nuit ».
Lovecraft est fasciné par l’air d’abandon que présentent certains paysages de la Nouvelle Angleterre. C’est également le cas d’une contrée de Normandie sous l’influence maléfique du démon : « Je passai devant des fermes silencieuses et délabrées, au toit affaissé et aux fenêtres barricadées avec des planches. » La terreur des mystères de la Nature est egalement développée dans « Sang Impur » où on peut lire : « ... C’était comprendre le pouvoir étrange et terrifiant de la Nature... un pouvoir qui n’était régi par aucune loi, sinon les lois de la croissance : croître, se nourrir, croître à nouveau, et recouvrir tout ce qui se trouvait sur son chemin. » Cette Nature-là ressemble sur bien des points aux monstres de Lovecraft...
La folie est très présente chez ce dernier, car la vision de certains démons ou des mondes dans lesquels ils vivent fait perdre la raison. C’est pourquoi, la folie, œuvre des démons selon Masterton, est le thème central de « Démences », roman sans doute inspiré de la nouvelle de Lovecraft « Les rats dans les Murs », dans laquelle le narrateur déclare : « Ni Hoffmann, ni Huysmans n’auraient pu concevoir une scène plus incroyablement extravagante », ce qui montre clairement les sources littéraires d’inspiration de l’auteur.
Lovecraft avait peu utilisé les morts-vivants et les fantômes, sauf dans sa série des Herbert West, réanimateur, textes de commande, les moins liés à la mythologie des Anciens, mais il en traite souvent dans son « Livre de Raison » dans lequel Masterton semble avoir pioché nombre d’idées.
C’est pourquoi, les mythes de Lovecraft ne sont utilisés par Masterton que pour mieux parler du personnage principal de ses histoires : la Mort. Celle-ci n’était pas l’obsession de Lovecraft qui en traite pourtant longuement dans « Démons et Merveilles ». Ce qui l’obsédait c’était l’infini du Cosmos, de savoir si l’Univers avait un sens. S’il n’en avait pas, et bien Lovecraft lui en avait inventé un. D’où la question que pose un personnage des histoires de Masterton : savez-vous à quoi sert l’univers ?

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Alors, Masterton, Lovecraft moderne ?
Masterton utilise les thèmes, mythes et démons de l’écrivain de Providence. Il lui rend hommage, car il l’admire, c’est sûr. Et il doit être très fier de lire qu’on le désigne comme le Lovecraft des années quatre-vingt.
Mais, heureusement pour lui, Masterton reste Masterton. Un très bon écrivain de terreur, qui réussit à nous terrifier avec de vieux thèmes comme les démons, les morts-vivants ou les mondes parallèles. Cet art de l’écriture, ce n’est pas Lovecraft qui le lui a donné... Il lui appartient en propre.

Alain Pelosato


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