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Sommaire - Interviews - Florence Magnin | |
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"Florence Magnin" de Serge PerraudLes univers féeriques et magiques de Florence MagninPropos recueillis pas Serge Perraud Florence Magnin est sans égale dans le domaine de l’illustration de SF et de fantastique ...voire de l’illustration tout court. En effet, ses peintures retiennent l’attention car elles vont au plus profond de l’être, elles titillent une part de l’inconscient, réveillent des images enfouies, font renaître des souvenirs de merveilleux, ce merveilleux lié à l’enfance et dont on conserve toujours une part. SP - Vous avez commencé votre carrière d’illustratrice en créant des décors de théâtre ? FM - Ces décors avaient été créés pour le théâtre Astral, dont le répertoire s’adresse à un jeune public et utilise des thèmes proches du fantastique. Leur auteur souhaitait réaliser un livre pour enfants et j’ai trouvé là l’occasion de me lancer dans l’illustration. Malheureusement aucune maison d’édition n’a jamais donné suite au projet et mes dessins ont été jugés trop angoissants. Sur les conseils d’un ami, je me suis alors dirigée vers Casus-Belli, Opta et Denoël, avec de bien meilleurs résultats. SP - A-t-il été facile de placer vos premières illustrations ? Quelle est la toute première qui ait été éditée ? FM - Il m’a fallu quatre ans pour parvenir à un professionnalisme que j’ai jugé acquis après mon inscription à la maison des artistes. Avant cela, un certain nombre de dessins avaient été utilisés par un fanzine et pour quelques publicités locales. Mais les premières illustrations « couleurs » publiées ont été la couverture de Poil de Carotte aux éditions Nathan et une série de cartes postales, réalisées pour « Beaubourg Shopping » une carterie disparue depuis. SP - Comment se décide du choix d’une illustration ? Est-ce l’éditeur ? Est-ce vous ? FM - En ce qui me concerne, j’ai eu la chance de travailler assez librement. Mes seules contraintes ont été liées à la maquette de couverture : prévoir l’emplacement du titre, celui du logo, un cadrage particulier, etc. Aucun éditeur n’est jamais intervenu dans le choix de l’illustration, mais j’ai dû souvent fournir deux ou trois crayonnés préalables. De toute manière, il m’aurait été impossible de travailler dans un contexte plus dirigiste, tout l’intérêt étant précisément de découvrir quelle image va naître du manuscrit qui m’est confié. Cette démarche implique de commencer par quelques heures de lecture au cours desquelles je mets de côté les scènes ou les personnages qui me paraissent les plus intéressants. Cette première approche terminée, il peut arriver qu’une image forte se détache de l’ensemble... Dans ce cas, il ne reste plus (... !) qu’à la réaliser. Mais la plupart du temps, c’est une foule de clichés différents qu’il va falloir trier ou amalgamer suivant les besoins de la maquette, l’impression d’ensemble laissée par le livre ...et mes propres possibilités graphiques ! SP - La page de couverture d’un roman représente le premier contact entre le livre et son lecteur potentiel. C’est un moment important. Y pensez-vous avant de commencer ? Pendant la conception ? FM - Bien sûr... Mais ce n’est pas un élément déterminant. Mon but serait plutôt de parvenir à entrer dans le dessin, m’y sentir à l’aise... Dans l’idéal, il arrive un moment où une sorte d’équilibre se crée entre la composition et le thème choisi. Plus on est proche de cette fusion, meilleur est le résultat ! Le reste est affaire de goût, on ne peut pas plaire à tout le monde. SP - Savez-vous que vos illustrations augmentaient, de façon remarquable, les ventes du roman ? FM - Je ne l’ai su qu’en ce qui concerne les Princes d’Ambre. J’ai toujours ignoré le résultat des ventes des autres romans... (Je ne touchais aucun droit d’auteur et ne recevais par conséquent aucun relevé) Personne, à part vous, ne m’en a jamais rien dit... C’est une découverte flatteuse ! ...et un peu amère aussi... SP - Aujourd’hui votre nom est synonyme de superbes illustrations. Par exemple, sur des sites Internet de ventes aux enchères, certains offreurs spécifient, avec le titre du roman : illustré par Florence Magnin. Bientôt, comme pour Aslan, on n’achètera les livres que pour votre illustration. Vous connaissiez-vous cette renommée ? FM - Du tout !...(n’exagérez-vous pas un peu ?) Ma production a été telle, pendant plus de quinze ans, qu’il y a sur cet ensemble quelques très bonnes choses, d’autres plus moyennes et enfin des erreurs fatales qu’on cache dans ses tiroirs ! ...Je sais que des collectionneurs recherchent à se procurer certains titres mais je doute que cet engouement perdure et qu’il couvre tous mes travaux ! SP - D’où viennent vos paysages fabuleux ? FM - De Franche-Comté. SP - Je connais un peu la région, mais je n’ai jamais vu de tels paysages. Mais peut-être ne sais-je pas regarder ? FM - Je le crains... regardez mieux ! Et puis, je les ais vus pour la première fois avec des yeux d’enfant et pour moi, ils n’ont pas changé depuis... SP - Que préférez-vous dessiner entre paysages, personnages, bestiaires ? FM - Chaque genre a ses difficultés ! Mais le dessin animalier me paraît le plus difficile, peut-être parce que j’ai eu moins l’occasion de le pratiquer. SP - Votre nom est devenu, pour les amateurs de SF, indissociable de la saga des Princes d’Ambre. Vous avez illustré les couvertures de Présence du Futur, réalisé un album, un guide sur l’univers, un jeu de rôles et un tarot. Etes-vous entrée facilement dans cet univers ? FM - J’avais lu les cinq premiers épisodes bien avant de les illustrer. Y entrer de nouveau n’a pas été difficile. Mais je n’ai jamais été imprégnée par Ambre. Peut-être le fait de devoir travailler à partir d’un texte impose-t-il une sorte de distance ? Et il y avait aussi l’angoisse de ne pas être à la hauteur... Ambre représentait, dès le début, un travail important, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il prenne une telle ampleur ! SP - Pourquoi avoir retenu un univers médiéval ? FM - J’étais plus à l’aise dans ce registre et l’ambiance médiévale est tout de même au cœur du récit. La cité d’Ambre est un univers plus passéiste que moderne et lui donner cet aspect permettait d’utiliser des costumes et des décors plus proches des récits mythiques auxquels Zélazny se réfère parfois. SP - De l’illustration à la BD, vous sautez le pas en 1990. Qu’est-ce qui a motivé cette décision et comment cela s’est-il passé ? FM - C’est grâce aux encouragements de Christian Godard et Julio Ribera qui possédaient leur propre structure éditoriale : le Vaisseau d’Argent. J’avais déjà fait auparavant quelques tentatives auprès de différentes maisons d’édition, sans grand espoir... Je n’étais pas persuadée que mon style de dessin corresponde à l’univers de la BD et l’ampleur de la tâche me paraissait démesurée ! Et puis... J’ai eu le coup de cœur pour le synopsis de l’Autre Monde et la chance de pouvoir embarquer sur le Vaisseau d’Argent, même s’il devait hélas, sombrer deux ans plus tard ! SP - Comment, par rapport à l’illustration, abordez-vous la BD ? FM - J’ai réalisé L’Autre Monde avec la même technique que mes illustrations précédentes. Dans le Pays Roux, je ne me suis permis que peu de recherche dans la mise en page des planches. L’expérience était déjà assez délicate et je suis, malheureusement, très lente ! Ce n’est que dans le second album que j’ai commencé à tester les possibilités qu’offre la bande dessinée. Aujourd’hui, je mesure mieux à quel point elles sont riches, en fait... illimitées ! (Tout comme les difficultés qu’elles entraînent) Par rapport à l’illustration, la bande dessinée ne peut se contenter d’être une suite d’images, même superbes. Ce qu’elle possède en plus, c’est la vie... Cette différence l’apparente davantage au cinéma qu’à la peinture. Quand je réalise une BD, je me sens proche d’un metteur en scène ou d’une actrice. C’est la raison pour laquelle j’essaie à présent de donner plus d’importance au trait et d’éviter les couleurs trop lourdes qui figent les personnages. SP - Comment avez-vous travaillé avec le scénariste ? FM - La collaboration avec Rodolphe s’est d’autant mieux passée qu’il ne s’est jamais montré dirigiste et que je n’ai jamais empiété sur sa part de création. Tout au plus, m’est-il arrivé parfois de revoir le découpage d’une planche, mais ces modifications n’ont jamais entraîné de conflit et je crois que Rodolphe ne m’a demandé qu’à deux ou trois reprises de modifier un dessin. Quant au scénario, j’ai eu la tentation de participer davantage à celui de Mary qu’à l’Autre Monde. Cette évolution m’a menée à prendre conscience qu’il était peut-être temps de m’assumer seule... SP - L’Héritage d’Émilie est une BD cent pour cent Florence Magnin, du scénario au dessin, de la mise en couleur au lettrage. Est-ce une grande évolution et comment s’est-elle passée ? FM - C’est une grande évolution ...en marche ! (une marche hésitante en terrain miné) Je crois que beaucoup de dessinateurs(trices) ont la tentation de scénariser. Cette étape offre la possibilité d’une liberté presque totale (via l’éditeur...) et peut répondre à des questions du style : mes personnages seront-ils plus vivants s’ils sont conçus par moi ? Mon style graphique en sera-t-il changé ? Quel plaisir peut-on ressentir à écrire des dialogues et maîtriser le fil du récit ? Dès l’instant où ces problèmes deviennent lancinants, il faut bien se décider à y répondre... Ce qui ne va pas sans souffrance et sans peur. J’ai mis plus de trois ans (assez noirs) pour franchir ce cap. Par la suite, j’aimerais exprimer des choses plus personnelles et m’éloigner du fantastique, mais il reste beaucoup de progrès à faire avant la fin de cette série. SP - Le scénario de L’Héritage d’Émilie vous trottait-il depuis longtemps dans la tête ? FM - Tout comme mes premiers dessins, mes débuts de scénariste ont été laborieux ! J’ai couvert une quantité invraisemblable de cahiers avant d’arriver à un résultat si complexe qu’aucun éditeur n’a accepté le projet... Et puis, quelques mois plus tard, le déclic s’est enfin produit. J’ai rédigé deux synopsis en une après-midi et l’un d’eux a été accepté par Dargaud. SP - D’où vient le personnage d’Émilie ? FM - Je souhaitais que le personnage central de cette histoire soit en décalage par rapport à son environnement. Il fallait que son aspect soit « moderne » face au domaine et à ses habitants. L’idée de la « garçonne » m’est venue à l’esprit, avec un côté rationnel mais aussi une gouaille et une fraîcheur capables de l’aider à traverser le miroir sans dommage... SP - L’action se déroule-t-elle dans une Irlande réelle ou inventée ? FM - Il ne s’agit pas d’un récit historique, mais je connais suffisamment ce pays pour que les décors soient à peu près réalistes. Cette connaissance a d’ailleurs été longtemps purement littéraire et photographique, puisque ce n’est que l’été dernier que j’ai découvert le Connemara. L’Irlande est un endroit générateur de fantasmes... Et si cette histoire se situe en partie là-bas, c’est qu’elle se rattache à d’anciennes légendes celtes et que j’avais ainsi la possibilité de me rapprocher d’un endroit qui m’attire depuis longtemps. SP - De quelles légendes celtes vous êtes-vous inspirée ? FM - Orsin... qui séjourne au pays des fées en ignorant le passage du temps, tombe de cheval à son retour en Irlande, et se transforme aussitôt en vieillard. Bran, dont les compagnons sont réduits en poussière, et qui tourne bride pour toujours... Les collines de féerie, dont les entrées cachées dissimulent des mondes souterrains, Avalon qui se détache progressivement de la Terre pour dériver vers un autre espace-temps... Mais les mythes liés à des univers parallèles et au décalage temporel se retrouvent partout : Oisin a sa version japonaise... Ce sont ces rapprochements qui m’ont amenée à imaginer qu’autrefois la Terre était rattachée à d’autres planètes. Par ailleurs, de nombreux textes font allusion à l’apparition, parmi nous, d’êtres plus évolués (dieux ou anges) qui auraient fait souche avant de disparaître... Quant au labyrinthe, son thème est classique depuis l’antiquité. Quête initiatique ou porte ouverte sur le mystère, il en existait jusque dans les cathédrales avant que l’église ne décide de les détruire. (il en reste encore quelques-uns) SP - Votre histoire est intemporelle. Pourquoi avoir choisi le début des années 20 de notre univers ? FM - Ces années correspondent au personnage d’Émilie... Et c’est aussi le maximum de modernité que je sois capable de mettre en images. SP - Avec L’héritage d’Émilie, vous êtes entrée dans la mise en scène d’une histoire grandiose. Vous disiez, tout à l’heure, que les premiers projets étaient si complexes qu’ils n’ont pas été retenus. Mais vous mêlez une multitude de thèmes touchant à la SF, au fantastique, à la féerie, à l’aventure extraordinaire... Vous faites référence à Avalon, Thulé, L’atlandide... Pourquoi avez-vous faire une histoire si riche, aux ramifications si vastes ? FM - Les ramifications sont vastes mais cohérentes et le fil conducteur assez simple : un réseau d’anciens passages sillonnent notre univers, certains tombés en désuétude ou clos volontairement. Le Terre en possédaient autrefois (d’où les légendes mentionnées plus haut). Émilie se trouve confrontée au dernier d’entre eux, découvert par son aïeul et convoité par d’autres. À partir de là, l’histoire se déroule forcément sur plusieurs niveaux et me donne la possibilité de varier les décors et les costumes en visitant différents aspects du fantastique, Féerie ou SF... À l’origine, le synopsis était plus linéaire, c’est vrai, mais...une histoire évolue au cours de son existence... Le tout est de parvenir à en garder le contrôle ! SP - La richesse de l’intrigue génère une action tonique. Cependant elle passe « en douceur », les nombreuses péripéties arrivent à un rythme soutenu mais dans un climat qui laisse le temps de s’imprégner du scénario et de capter la richesse du dessin. Est-ce une technique narrative qui vous est propre ? FM - Si ma technique narrative est telle que vous la décrivez, alors elle est telle que je la souhaite ! D’autres lecteurs m’ont reproché une certaine lenteur et trop peu d’action. Une chose est sûre : je raconte cette histoire de façon totalement instinctive. Peut-être d’autres scénaristes travaillent-ils de la même manière ...je ne sais pas. SP - Vous multipliez les décors, passant du Paris des années 20 à un univers féerique, du moyen âge à une lointaine planète, d’un château irlandais à un labyrinthe souterrain... Comment vous y retrouvez-vous ? FM - Sans problème... J’espère qu’il en va de même pour les lecteurs ! En tant que dessinatrice, j’ai besoin de ce changement, cette histoire m’offre l’occasion de varier les plaisirs ! SP - Vos couleurs sont en parfaite harmonie avec le décor, l’ambiance et l’atmosphère. Qu’est-ce qui guide vos choix dans toutes les palettes possibles ? FM - La plupart du temps, j’ai une vision très précise de la scène : ambiance, luminosité, couleurs. Mes choix se limitent à ce qui va me permettre de rendre au mieux le modèle ...sans y parvenir tout à fait, le plus souvent... SP - Je trouve que votre série est à dominante de vert. Est-ce votre couleur préférée ou est-ce pour rappeler que l’action se déroule, entre autres, en Irlande ? FM - Beaucoup de mes illustrations ont une dominante bleu-vert, c’est une tendance générale. Le hasard (quoique ?...) a voulu que ce soit aussi la couleur de l’Irlande. SP - Le lettrage impose-t-il une technique particulière ? FM - Oh oui ! Et je ne la maîtrise toujours pas... Je travaille là aussi « à l’ancienne », non par phobie de l’ordinateur mais parce qu’il me semble que rien ne peut remplacer la main humaine, pas même les logiciels aléatoires qui tentent de rendre ses défauts. La technique est simple mais la réalisation semée d’embûches ! Il faut calibrer les lettres, tracer les lignes, réaliser une calligraphie à la fois nette et expressive ...idéal que je n’ai pas encore atteint. (Il m’arrive de reprendre cinq ou six fois la même réplique !) découper le phylactère et le fixer sur calque en évitant que la colle entre en contact avec l’encre (autrement dit, en évitant de le toucher...) miracle de précision qui demande à la fois une sérénité de maître zen doublée d’une concentration supérieure à celle du dessin. SP - Quelle est l’ambiance que vous appréciez pour travailler ? FM - Celle de mon atelier, au septième étage avec vue dégagée : ciel, clocher au premier plan et Paris au loin... La musique que j’aime (souvent irlandaise) ou le silence. Une bulle spatio-temporelle autour de laquelle le monde extérieur s’écoule avant que mes enfants, mes chats ou le téléphone me rappellent à l’ordre et que la vie et le temps reprennent leurs droits... (voir le tome 3 d’Émilie...)
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