"Ennemis très chers"
Gilbert Millet
Editeur :
Le Manuscrit (26 juillet 2001)
|
|
"Ennemis très chers"
Gilbert Millet
|
+++
De la lecture de ces dix-huit nouvelles de Gilbert Millet, on ne sort pas indemne, mais oppressé, déprimé et perplexe. Ce recueil, hanté par la décomposition des sentiments, la dégradation de la vieillesse, la monotonie de vies mesquines et sans issue, renforcé par une méthodique lenteur de l’action obtenue par l’observation systématique de la gestuelle humaine donne une impression pénible de vie au ralenti, sans ouverture, sans perspectives. Il n’y a d’issue et de clarté que macabres dans cet univers terne et morose, conduit seulement par des actions de routine, monotones, identiques à l’infini, quelquefois sans but. Difficile d’aller plus loin dans la noirceur et la médiocrité humaine, le triste lot d’une partie non négligeable de l’humanité. La plupart de ces nouvelles sont des histoires de couples, et il n’y en a pas une seule qui témoigne d’un accord entre les partenaires.
La plupart de ces nouvelles sont volontairement ambiguës et ne fournissent pas une conclusion définitive. On ne déflore pas ces histoires en disant que bon nombre des hommes se présentent comme des assassins, et certains le sont. Tous ? On s’interroge. Certains ont dû rêver leurs assassinats, plongés dans le marasme de leur vie morose et répétitive, où la disparition du conjoint ou du voisin constitue la seule issue. La relecture ne lève pas l’incertitude. Millet est habile à développer cette problématique de l’indétermination et de l’irrésolution, dans une ambiance qui se ressent du surréalisme. Il va de soi que cet univers fragmenté et sans espoir ne serait pas tolérable et conduirait le lecteur directement à la neurasthénie s’il ne percevait pas la distanciation que Millet manifeste à l’égard de ses histoires. Certains des titres sont révélateurs. Derrière les noirceurs de Millet, on sent un esprit d’horloger qui parsème ses situations les plus sombres de détails ou de réflexions insolites, singulières, parfois incongrues, fait des rapprochements imprévus, crée des situations aussi excentriques
Écrivain réaliste côtoyant l’insolite et les singularités de la vie, marqué par le goût des petits faits vrais, Millet aborde la réalité sous l’angle particulier de l’insolite et du curieux, suscitant des suggestions mystérieuses et laissant des questions sous-jacentes. Il présente dans ce recueil un ensemble de recherches suscitant l’intérêt, la curiosité, l’étonnement, plutôt qu’une véritable participation sensuelle. Si plaisir de lecture il y a, sa nature est surtout d’essence littéraire, nettement intellectualisée. On sent son attachement pour ces hommes ordinaires si tristement humains, son plaisir de l’observation, comme d’un jeu de fourmis, de ces vies misérables qui n’existeraient pas si le romancier n’en faisait pas passer des éléments ou de leur pauvre substance dans ses créations.
Gilbert Millet, Ennemis très chers, Manuscrit.com, 180 pages
Roland Ernould
|
|
|