7/10
Condamné à l’ostracisme universel, banni de L’Oecumène d’or, Phaeton se retrouve sur l’île de Ceylan. Nanti à nouveau de son rêve de voyage interstellaire ainsi que de sa mémoire, il se retrouve parmi la population des "laissés pour compte" de l’âge d’or. De plus, bientôt il le sait, Phaeton se verra dépouillé de son armure d’or, triomphe de ses ennemis dont il ne sait qui ils sont vraiment (des conservateurs ou de bien étranges envahisseurs issus de lointaines colonies rescapés de quelques cataclysme ou autres génocides, voir de suicides collectifs) .
Seul, abandonné, Phaeton verra son salut en la personne du Maréchal Atkins, dernier guerrier du monde, et de la belle Daphné, clone de sa femme et amoureuse fidèle. Peu à peu, les pièces d’un vaste échiquier se mettent en place et on a l’impression d’assister aux préparations d’une vaste bataille qui emportera avec elle empires, mondes et amours.
A lire cette oeuvre forte mais au vocabulaire complexe, si ce n’est savant, on aurait presque l’impression de lire une histoire contée par un logicien soudain épris de métaphysique. L’avenir lointain que nous conte l’auteur est un avenir d’après l’exploration, la terraformation et la colonisation, si bien qu’un nouveau langage s’est inventé tout seul, ex nihilo. On parle d’espèces neurales, pour désigner les diverses catégories socio-culturelles de cet univers. On parle également de clonage corps-esprit, d’immortalité conférée par les nanomatériaux réparateurs. Même ce qui est désigné comme vie artificielle produit sa propre sur-nature avec ces "entités conscientes électrophotoniques" et ce sont désormais ces Sophotechs qui préludent au passage à d’autres dimensions de la perception, là où jadis c’était les illusions rêveuses des humains qui se figuraient pouvoir le faire au moyen de drogues et autres aliénations mentales. On l’a déjà dit, le vocabulaire est complexe et pourra en heurter certains, mais la qualité de cette oeuvre est la force avec laquelle elle est capable de nous plonger la tête la première dans un univers totalement étranger à tout ce qu’on a pu connaître jusqu’ici. La linéarité du récit est modulée par une ironie marquée et un sens de l’historicité qui offrent à son univers une cohérence rarement égalée. Pas tout à fait une Utopie donc, mais plutôt une dystopie, tellement la faille peut se voir poindre derrière l’archétype du héros puissant qui jamais ne se couche, que Phaeton incarne avec la conscience d’un acteur au sein d’un jeu universel. Car ce héros n’est en fait qu’un enfant manipulé par des forces qui le dépassent et qui en font une espèce de girouette idéologique. Le grand talent de Whright éclate dans cette faculté qu’il a de se retourner d’un seul coup et se mettre à rire de sa propre création, torsion symbolique et pochade littéraire qui le fait se moquer de son écriture par la bouche de ses propres personnages (Daphné) . C’est cette relativisation de la trame dramatique par la mise en cause des composants de ce monde qui évite au récit de sombrer dans un pur exercice d’accumulation pour philosophes endurcis, pris qu’ils seraient dans un savoir auto-normé. Pas de recette dans ce second volet, l’auteur garde toutes les cartes et brouille les pistes. Nous avons Juste une nouvelle fiction historique extrapolée par les nanotechnologies. Un univers riche, donc, mais hermétique, ce qui ne veut pas dire inaccessible au lecteur, un univers où même les dieux et divinités ne font que paraître sous les grilles "interphasées" des neuro sciences. Un chef d’oeuvre ou un récit trop difficile d’accès, c’est selon, mais un grand récit en tout cas.
Le Phénix Exultant, John C. Wright, traduit de l’anglais par Jean-Danile Brèque, Couverture de Gilles Francescano, 347 pages, L’Atalante, 19 €.