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Puissant Seigneur de la Horde Rouge, une petite république de mercenaires, Haïron est mort. Seule demeure, enfoncée dans son fourreau, la mythique épée de Zémal. Car Haïron était un Zelmanit, un porteur de l’épée qui confère à son détenteur le pouvoir sur l’ensemble des royaumes constituant La Tramorée. Après que l’un de ses officier ait vainement tenté de s’en emparer pour se voir à l’instant même foudroyé, trois prêtres Pinakles s’introduisent dans la chambre du défunt. Habilités à protéger la mythique épée, ils s’en retourneront en leur temple de Tariman, à Koras, où, disent-ils, le premier jour du mois de Kamaldanil, sera décidé du lieu où le nouvel élu, devra chercher l’épée Zémal. Seuls les Tahédorans, grands maîtres de l’épée, pourront entreprendre cette quête. Ils sont sept, sept prétendants à la possession de l’Epée Zémal, et ils devront pour cela rentrer dans un affrontement sans règles autres que l’axiome disant qu’il ne peut qu’en être qu’un et un seul. De sombres jours sont à venir sur le monde de Tramorée, car, en plus de rivalités mortelles qui s’allument comme autant de feux de part le monde, d’étranges rumeurs se font jours, celles de l’insinuation sournoise d’un mal ancien et maudit dont l’objectif n’est ni plus ni moins de sceller la désunion entre les hommes et les Dieux. L’ombre de Togul Barok, prince d’Aïnar, se fait peu à peu jour derrière les complots et autant de manigances. Quand aux héros se levant pour sauver le monde, ils auront affaire à forte partie. Ils sont quatre. Kratos et Derguin, les guerriers, Linar et mikhon Tiq, des Mages. Ils auront la difficile tâche de retrouver l’épée mythique tout en évitant au monde de plonger dans le sang, les larmes et la haine que les forces instables du mal fomentent avec la patience d’une fileuse qui, de sa navette, tisse des réseaux d’intrigues faits de réalités et de fictions, êtres de la sur-nature, songes oniriques et paysages plantant leurs racines à la fois dans le regard qui les contemple que dans un inconscient mythique qui leur confère cet étrange parfum d’éternité.
De la jeunesse de leur âge ces hardis compagnons arpenteront un monde s’effritant sous le courroux des forces noires de l’ancien temps, à la recherche de l’épée comme d’eux-même et de quelques amours.
Avec cette oeuvre fondamentale, Javier Negrete nous fait sa propre "ballade au bout du monde". Ce premier volet d’une série qui se hisse au niveau des plus grands est à marquer d’une pierre blanche. Javier Negrette se fait l’auteur d’une puissante Fantasy loin des poncifs du genre. Une saga qui dépasse même les meilleures séries américaines. Vous ne me croyez pas ? Lisez donc cette merveille avant de mourir, vous n’aurez pas perdu votre argent et votre temps.......
Un récit gravé au carrefour des mythes
Pour qualifier la prose de Negrette, je pense qu’il faudrait, comme pour Thierry Di Rollo, encore et toujours inventer des nouveaux termes, d’étranges copulations de lettres et de mots pour renvoyer à une nouvelle syntaxe du genre, "métaphorisée" elle-même par la langue. Découvrir le monde de Negrette c’est un petit peu comme se retrouver en d’incroyables lieux, banlieues oui, mais faites du sable dont chaque grain porterait le souvenir des anciens Dieux, topos anonymes où les langues, les vocabulaires, les archétypes, bref tous les termes qui nourrissent le genre ce seraient retrouvés là, échoués, mêlés, écrasés, cassés, brisés, brassés ensuite pour finir métissés, comme des chaires étrangères liées à ce point qu’elles en deviennent presque familières, communes. Lire ce premier livre de Tramorée c’est un petit peu suivre un verbe âpre, dur, scandé sous quelque soleil mourant par un vieillard, un peu sorcier, un peu guerrier, un peu fou, qui, dans quelque taverne sale ou adossé à quelque mur fouetté par les vents poussiéreux, nous conterait cette histoire si lointaine et si proche à la fois. Lointaine parce qu’en suivant les lignes de ce récit, on a l’impression de lire le vieux bréviaire d’une histoire oubliée de la mémoire des hommes. Proche, parce que tout en scandant une vieille histoire réactivée par une narration superbement ciselée et totalement maîtrisée, la voix qui transparaît dans le récit ré-introduit des paradigmes comme celui de l’épée magique, mais "re-contextualisée" de façon telle que le lecteur n’a pas l’impression de lire une redite des romans Arthuriens avec la classique épée du Graal, Excalibur. Nous avons donc une prose entièrement débarrassée de ses bases classiques, audacieuse et nouvelle dans ses mises en scènes, sans compromission sur les règles à suivre où les modes à adopter pour bien passer. Au fil de la lecture, nous découvrons peu à peu une histoire renvoyant à une sorte de Melting Pot Mythologique, un mélange réussi de Mythologies Mazdéenne, Grecque, Egyptienne, Romaine, bref tous ces regards croisés qui produisent un Sud puissamment chargé en archétypes et en histoires, un Sud qui se fait non pas seulement une mythique "Terre de mémoires" mais également "lieu de la grande geste" où vont s’aventurer durant quelques 503 pages des personnages pittoresques et monolithes que n’aurait pu renier un portraitiste comme Robert Howard. Car grimer un personnage durant des pages n’est pas tout, il faut savoir le rendre vivant, lui insuffler l’étincelle de vie nécessaire pour susciter la prégnance d’une vie et son "autonomie narrative". Et c’est là où l’auteur excelle brillamment, sans faux semblants ou subterfuges, à savoir cette capacité à casser le moule de la fantasy classique avare de clichés et de redondances, d’emphases et de dialogues, ceci pour y faire rentrer la fureur d’une histoire réinventée, ré-appropriée par un verbe soutenu pour en supporter le poids et en contenir le réalisme qu’elle suppute porter avec elle.
Correspondances Mazdéennes.
Une fois cet exercice accompli, Javier negrette va s’attarder à planter des topos, des formes nominales détournées des grandes mythologies pour inventer son Sud de l’An Mille. Il invoque ainsi Tariman, le Dieu forgeron et amorce mythologique à son monde. Javier Negrette emprunte la forme nominale du Dieu Mazdéen Ahriman, pour fomenter un Dieu tutélaire à son monde. A l’origine, Ahriman était souvent considéré dans le Mazdéisme comme une figure démoniaque pour désigner le double du bien, son contraire. Primitivement, ce Dieu naît comme principe opposé dans la création. Ainsi, à une conception double de l’univers correspondra deux divinités, elles même constituant les deux fils d’un Dieu. Une conception morale et une conception physique de l’histoire comme usure et comme processus de dégénérescence ont fusionné et c’est de cet acte que résulte la création du monde tel que nous le connaissons. Ahriman (le doute) s’oppose ainsi à Ohrmasd (principe du mérite des sacrifices) , et le Dieu Zurvân, Dieu non créateur demeurant en d’autres plans, le père, de s’accommoder de ce dualisme forcé préludant à la victoire finale du Bien, mais engendrant le monde tel qu’il est. Ainsi, la création relève bien d’une lutte et d’une victoire du Bien. On a souvent pensé qu’Ahriman était l’archétype primitif du Diable Chrétien, mais également un élément de la Religion Musulmane primitive où il fallait bien un Dieu pour justifier le doute, pour signifier l’ambivalence du croyant face à un monde où le bien fait aussi faillite parfois face au mal, où il y a de la mort, de la souffrance, bref de la corruption si poreuse, presque tactile. Le Diable se verrait alors issu d’une "chiquenaude" du "croire" pour légitimer le doute. De fait, Javier Negrette va emprunter ce nom pour, en altérant sa forme, conférer à son monde cet aspect "entre deux", une sorte de carrefour où se croiseraient tous les mythes primitifs. Nous avons l’impression, en nous immergeant dans le monde riche de Javier Negrette, de toucher à une protohistoire vivifiée par une réactivation des archétypes issus d’un panthéon dont le coeur pourrait relever de l’Iran, et les membres des emprunts multiples et discrets aux mondes Hellénistiques et Romains. Mithra peut, à juste titre, être considéré comme le culte type de cette hybridation qu’on retrouvera dans tout le début du christianisme, l’Inde et l’Iran s’en partageant l’étymologie première. Bref, il s’agirait donc bien de ce fond Iranien stylisé par les influences Hellénistiques et Romaines que Javier Negrette adopte pour donner une texture et un contexte fort à son An Mille, et c’est là une innovation remarquable proche de ce que Howard fit jadis pour son Âge Hyborien ou de ce que récemment, Nicolas Jarry et France Richemond ont remarquablement fait avec "Sphinx".
Même processus pour la fameuse épée de Zémal. Au Celtisme, Javier Negrette emprunte la symbolique de l’attribut guerrier et celle de la lumière dont elle figurerait un rayon rectiligne. Elle ôte la vie dans son premier tranchant et ressuscite de l’autre. Elle est souvent un mérite et ne se donne pas à tout le monde.
Mais en empruntant au Celtisme, l’auteur va en dédoubler son pouvoir et sa signification. Il va la romaniser et en même temps lui conférer le même arrière fond mythique Mazdéen. En Mazdéen, le feu est assimilé souvent à l’intelligence, une des facultés de l’âme. Ainsi, la création matérielle et spirituelle procède-t-elle entièrement de cette "mênôk", le monde crée semblable au Dieu créateur et entièrement indépendant. Zémal s’inscrit entièrement dans ce processus, elle donne à son porteur la prescience du pouvoir et son exercice. En cela elle est similaire à l’Excalibur du Roi Arthur mais en un processus cérémonial beaucoup plus complexe, un contexte qui rappelle les Mystères d’Eleusis des Grecs. Elle tue les ennemis par dizaines et synthétise le pouvoir du Seigneur sur les royaumes.
Ainsi, c’est avec une écriture homogène, totale et sincère que Javier Negrette donne naissance à un monde, dans la moindre de ses sonorités, la plus petite molécule atomique, les souffles contradictoires des Dieux sur les rivages jaunes d’un sud plus vrai et plus grand que nature.....
L’apprentissage du guerrier ou la difficile accession au statut de Shogun
Entre Kratos et Derguin il y a un art étrange, le Tahédo, qui évoque un mélange d’Aïkido et de Karaté. Rapport du maître à l’élève, le lecteur découvre tout au long du récit une autre histoire, celle unissant un homme qui pense avoir tout vu de la vie et un jeune homme encore vierge de toute corruption qui doucement s’éveille à cet art. C’est un "Naturel", à savoir quelqu’un qui n’apprend pas mais se souvient. Cette relation confère au récit une dimension supplémentaire et une codification dans la cinétique des combats remarquable qui offrira aux lecteurs des scènes d’affrontements réussies mais aussi des quiproquos non dénués d’un certain humour pince sans rire. On devine déjà en filigrane de l’intrigue les ramures d’un destin peu commun qui élèvera Derguin au rang d’un Dieu de la guerre mais aussi et surtout, un Légat de la paix. Cette autre topique orientaliste est un autre emprunt à une autre culture, celle du Japon médiéval.
A la poursuite de Diane
Autres emprunts ou plutôt réminiscences "archétypales", les références aux mythologies Crétoises et Grecques sont aussi présentes. Negrette procède un peu à la manière de Thomas Burnet Swann. Dans un cadre ou un contexte qu’on pourrait de prime abord désigner comme dramatique, il suscite ces mythologies comme de véritables sortilèges déclenchés par une rencontre, un regard, des attitudes, un gestuel, des frottements. Mais là où s’arrête Swann, Negrette poursuit l’instant de la rencontre et dresse un pont qui fait devenir les protagonistes des deux mondes, chaires, sentiments et passions. Ainsi, la très belle scène suivant le sauvetage d’une belle jeune fille, Triane, du sacrifice que lui promettait une secte, est un véritable hymne à l’amour entre un homme au destin exceptionnel et une femme insensible aux sortilèges, une femme de la religion de la terre, quelque part entre la déesse Diane, La Chasseresse, et Demeter, la terrestre. Dryade, fées, Nymphes, Ondines, le paysage de la sur-nature s’élargit soudain à un continent planté en l’inconscient des personnages, où le ciel bleu azuré méditerranéen se confond, l’espace de la quête, avec le ciel Bleu roi pur des froids et verdoyants pays Celtes. Avec délicatesse et application, l’auteur nous conte simplement l’une des plus belles illustrations de l’amour fugace et intense qui lie un mortel à une immortelle l’espace d’une seul nuit. En ces quelques pages touchantes et vivantes il ramène la Fantasy au rang du grand roman, par une brillante illustration du drame de la rencontre et de la séparation douloureuse et inévitable.
"Il suivit aisément les traces de son parfum comme une route au soleil"
Quand le verbe espagnol est soudain épanché par l’onirisme des grandes épopées de Fantasy, cela donne une poésie douce amère, un verbe qui rappelle quelque peu la poésie de Neruda et Lorca, totale et amère, belle à en mourir, guerrière et fraternelle, victorieuse sur les cendres de Franco. Un univers transpirant un Sud mythique servi par une langue magique, ce premier volume est un incroyable dépaysement.
Mention spéciale pour l’auteur de la couverture, Beet, un surprenant artiste amené à faire de grandes choses à l’avenir, sur les pas de Frazetta, Mark Schultz, Gary Gianni et Justin Sweet......
Après avoir brillamment mis en scène un grand Space opera (Le Regard des Furies) , puis une fort belle Uchronie (Le mythe d’Er) , Javier Negrette accouche tout simplement d’un chef d’oeuvre totalement assumé, mature, vivant et fortement référencé. Comme pour Nicolas Jarry et France Richemond, il convient de parler d’une remarquable Fantasy Espagnol, si ce n’est européenne. Un grand moment de lecture et un grand prix qui serait bien mérité......
Chronique de Tramorée, Zémal-L’épée de Feu, Javier Negrette, traduit de l’espagnol par Christophe Josse, Couverture (une des plus belles de 2005) de Beet, 503 pages, Editions de l’Atalante, 22 €.