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  Sommaire - Dossiers -  Jules Verne et le centre de la Terre

"Jules Verne et le centre de la Terre"

Rémi Mogenet

par Rémi Mogenet

Jules Verne, le fondateur de la science-fiction, est mort il y a cent ans. On fait bien de commémorer cet anniversaire, car c’était véritablement un esprit tout à fait remarquable et hors du commun.
Pour le montrer, je voudrais regarder de près un passage du Voyage au centre de la Terre : celui où, avant de descendre dans les profondeurs, le narrateur et son oncle, le professeur Lidenbrock, discutent de savoir s’il est possible de se rendre dans un lieu réputé pour être brûlant. Le neveu le nie ; le professeur, de son côté, est convaincu que l’hypothèse universellement admise d’une chaleur prohibitive est fausse. Voici comment se déroule concrètement ce débat.
Pour appuyer la théorie commune, Axel, le neveu, fait un calcul mathématique : comme en tant de distance on a constaté l’augmentation d’un degré, il suffit de multiplier par le rayon total du globe terrestre pour obtenir la véritable température du foyer central : on arrive à la somme de deux cent mille degrés.
Son oncle n’a malheureusement aucune peine à démontrer qu’avec une telle chaleur, l’écorce terrestre éclaterait, et que les volcans en aucun cas ne suffiraient à maîtriser la pression ainsi créée. Il développe donc sa propre théorie, selon laquelle, en réalité, les volcans n’ont pas pour origine une chaleur centrale quelconque, mais la présence, au-dessous du sol, de métaux qui s’enflamment au contact de l’eau : cette dernière, en se glissant peu à peu dans les interstices de l’écorce, feraient exploser, en particulier, le sodium et le potassium, et créerait indirectement les volcans. Cela signifie qu’en général, le centre de la Terre n’est pas spécialement chaud, ou pas d’une chaleur insupportable pour l’homme, en tout cas.
Pour prouver cette théorie, il évoque une expérience fondée sur le principe d’analogie : une boule métallique contenant du sodium et du potassium reçoit une goutte de rosée ; aussitôt, une boursouflure naît, figurant un volcan, et la boule devient brûlante. Les volcans ne sont pas, alors, la conséquence d’une éventuelle chaleur au centre de la Terre, mais sa cause, s’il doit y avoir une relation de cause à effet.
Le fait est, cependant, que pour vérifier quelle théorie sur le centre de la Terre est la bonne, il faut s’y rendre, achève le professeur ; et c’est ce que font les personnages.
Ce débat est remarquable en ce qu’il montre l’aspect conjectural de toute recherche portant sur la nature dans ses parties inconnues. En vérité, contrairement à ce que croient beaucoup de gens, on peut discuter à l’infini de ce genre de sujets. Tant qu’on n’a rien vu par soi-même, n’a-t-on pas le droit de douter de tout ce que disent les autres ? C’est ce que faisait l’apôtre saint Thomas, et c’est ce qu’on peut toujours faire en science. Si lui a pu mettre les droits dans les plaies du Christ, lequel d’entre nous a réellement vu ce qu’il y avait au centre de la Terre ?
J’ajouterai ceci. Ce qui manque, encore aujourd’hui, pour comprendre la chaleur centrale du globe terrestre, et donc pour être absolument convaincu par sa réalité, est une cause. Le professeur Lidenbrock et son neveu la plaçaient d’une manière très sensée dans ce qui reste du passé, de l’époque où la Terre était une boule de feu : pour l’un, elle s’est refroidie à partir de l’intérieur, pour l’autre, ce fut à partir de l’extérieur.
Le problème est que l’on a du mal à saisir comment ce brasier peut s’entretenir durant des milliards d’années. On entend souvent dire que c’est à cause de la pression. Cela paraît juste, en théorie. Mais peut-elle être assez forte pour déclencher des explosions ? Il faudrait qu’existent des matières qui prennent feu quand elles sont comprimées. Or, cela est-il le cas ? En aucun cas les pierres du bas d’une falaise ne dégagent davantage de chaleur que celles du haut. Et les fondations d’un immeuble ne sont pas plus chaudes que son sommet. Même la poudre a besoin d’une étincelle pour s’enflammer ; et cette étincelle est forcément la conséquence d’un choc entre deux corps dont l’un au moins est en mouvement. Pourquoi y aurait-il des mouvements au centre de la Terre, si ce n’est par le biais des forces magnétiques ? Elles ont donc un rôle à jouer dans la présence des volcans à la surface. En fait, elles en sont sans doute la véritable cause.
L’on n’y songe pas, parce que le brasier du centre de la Terre donne l’effet d’être inextinguible ; pourtant, il ne consume rien, à notre connaissance : de nouveau, c’est incompréhensible. On peut parler d’un fourneau, si l’on veut ; mais un fourneau dans lequel on ne met pas de bois s’éteint rapidement. A-t-on constaté que la Terre perdait peu à peu de sa masse ? En réalité, ce feu inextinguible ressemble au buisson ardent de Moïse : les conjectures de la science qui défient la raison ressortissent plus au mythe qu’on ne veut bien l’admettre.
N’est-ce pas, d’ailleurs, ce qu’a magnifiquement exprimé Jules Verne, avec les merveilles que ses personnages ont découvertes sous nos pieds ? C’est une forme de symbole. Le mystère y demeure subtilement : le geyser, la boule de feu magnétique, le géant conducteur d’éléphants sont autant d’éléments qui suggèrent que la vérité n’a pas encore été saisie, qu’il existe une réponse incroyable, mais dont l’expérience matérielle ne peut rendre compte qu’imparfaitement : elle ne donne pas forcément la signification profonde des faits dont on est témoin. L’imagination doit sans cesse être appelée à la rescousse, avec sa part d’incertitude. Il est impossible, concrètement, d’arriver à aucune vérité ultime.
Dans la faille de la science, s’engouffre la poésie. Le sentiment complète la raison : Jules Verne est un grand écrivain, parce qu’il l’a compris.


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