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Sommaire - Interviews -  Simon Sanahujas


"Simon Sanahujas" de Emmanuel Collot


E.C : Bonjour Simon. Pourrais tu nous raconter l’histoire qui a donné naissance ce roman ? Comment Suleyman t’est il venu à l’idée ?
S.S : Suleyman m’est apparu de manière assez étonnante car à l’époque, je n’écrivais que de l’Heroic-Fantasy et je n’avais jamais travaillé sur un roman. C’est en visionnant une obscure série B de SF dont le titre m’échappe que l’idée m’est venue. Ce téléfilm voyait un groupe de personnages voyageant au travers de plusieurs dimensions. Une scène m’a marqué particulièrement : le héros se réveille, dans sa chambre ; il ouvre la porte de la pièce et, au lieu de voir son environnement habituel, il découvre un désert s’étendant à perte de vue et, face à lui, un cavalier vêtu étrangement qui le charge. J’ai trouvé cette image fabuleuse et je me suis dit qu’il y avait quelque chose d’intéressant à faire avec ce concept, jouer avec le contraste que seul un changement brutal d’environnement peu véhiculer. Tout en visionnant ce métrage, j’ai laissé mon esprit vagabonder et des scènes me sont apparues, des personnages. Les possibilités paraissaient infinies et j’ai alors décidé de m’atteler à un roman exploitant ses richesses.

E.C : Tes personnages sont-ils de pures créations romanesques ou bien y a t-il un peu de vécu, des gens que tu connais qui ont pu t’inspirer dans la création de tes personnages ?
S.S : Dans Suleyman, les personnages sont inventés mais il y a toujours du vécu en eux. Cela peut-être le physique d’une personne que j’ai connue, une manière particulière de penser ou d’agir, ou même des détails aussi simples qu’une réflexion ou qu’une phrase particulière.

E.C : Beaucoup de lecteurs ont remarqué l’importance que tu donnes à tes personnages mais surtout en ce qui concerne Zoé qui est un personnage féminin auquel s’identifient parfois certaines lectrices. Ta manière de l’aborder est à la fois sans aucun machisme mais aussi avec un certain sens de l’honneur, un respect dont on n’avait plus entendu parlé depuis longtemps dans la sf. Ce retour à un certain classicisme héroïque relève de quoi selon toi ?
S.S : Actuellement, j’ai l’impression que la littérature tend à vouloir camper des personnages forcément complexes, avec des psychologies particulières et marquantes. Ca me fait un peu l’effet d’une sorte de concours d’originalité. Je ne fonctionne pas comme ça. Surtout dans ce roman où l’histoire est elle-même riche et complexe. C’est l’histoire et le multivers qui sont au centre de mon roman, pas vraiment les personnages. Ceux-ci ont plus un rôle d’illustration du thème, en plus d’apporter la dynamique nécessaire à un texte d’aventure.
Quant à Zoé, je voulais qu’elle soit l’avatar du lecteur. C’est une fille tout à fait ordinaire et, au début du roman, son expérience est celle de n’importe quelle personne de son âge dans notre propre univers. Elle ignore tout du multivers, tout comme le lecteur (en théorie), et se retrouve à vivre des événements qui la dépassent et sur lesquels elle a très peu d’emprise. Ses principales qualités sont l’intelligence et la curiosité et je pense que c’est cela qui a séduit les lecteurs. Elle ne se contente pas de suivre ses anges gardiens dans leurs aventures, elle y participe, questionne pour étancher sa soif de savoir, veut participer et sait gueuler quand le besoin s’en fait sentir ! Zoé s’affiche en contrepoint de ces personnages féminins assez passifs que l’on voit malheureusement en souvent dans notre littérature.

E.C : Tes personnages ont cela de remarquables c’est qu’ils relèvent d’un registre héroïque qu’on pourrait croire suranné alors qu’ils distillent avec eux une incroyable dynamique et une authenticité rare. On cite Almuric et John Carter, est-ce dû à un hasard ?
S.S : Oui il y a une correspondance entre mon texte et un roman comme Almuric ou comme ceux du cycle de Mars. Dans ces deux œuvres Howard et Burroughs ne mettent pas véritablement en scène des univers parallèles mais leurs héros se retrouvent transportés sur un autre monde, différent du leur, qu’ils doivent découvrir. Le cas de Zoé est le même, à la seule différence qu’elle découvre elle un multivers et une infinités d’univers différents du sien.

E.C : La référence aux Wankhs est un hommage à Vance. Est-ce juste un clin
d’oeil
 ?
S.S : Le Cycle de Tchaï est le premier texte de SF que j’ai lu, quand je devais avoir onze ans. C’est un petit clin d’œil personnel à celui par qui j’ai découvert la littérature de SF.

E.C : ton univers repose sur un succédané au multivers si typique de Moorcock. Pourrais tu nous décrire les différences et les similitudes ou penses-tu que ton univers pourrait parfaitement s’y intégrer, ce que le personnage de " Mercenaire " laisserait supposer.
S.S : Effectivement, dès qu’on parle de multivers en SF, Moorcock vient tout de suite à l’esprit. La différence majeure à mon sens est que mon multivers est composé d’une multitude d’univers mais également de leurs possibles. Moorcock, lui, nous propose des univers différents reliés entre eux, chacun ne possédant qu’une histoire possible. Ensuite, il y a cette constante chez Moorcock qui consiste en la présence sur chaque monde d’un champion éternel, réplique multiple d’un même homme. Au final, c’est comme si il imaginait son multivers comme un monde avec ses lois de base, multiplié à l’infini sous différentes formes mais toujours avec ces constances établies : ordre, chaos, et champion éternel. De mon côté, je conçois mon multivers plutôt comme une infinités de monde qui cohabitent dans le même tout tant bien que mal.
Quant au personnage de Mercenaire, il n’y a qu’une correspondance physique (et encore est-elle partielle) avec le Elric de Moorcock. Les deux personnages sont totalement différent dans leurs psychologies, leurs buts et leurs conceptions de la vie. En fait, je n’ai jamais vraiment pensé à l’œuvre de Moorcock en écrivant « Suleyman », Mercenaire n’est peut-être qu’un clin d’œil inconscient. Le fabuleux « l’Univers en Folie » de Fredric Brown m’a beaucoup plus inspiré, par exemple, notamment avec l’idée des variables d’un même monde qui y est évoquée.

E.C : As tu une méthode particulière pour écrire ? Intuitif comme Howard ou bien plutôt procédurier ? Comment s’organise ton travail ?
S.S : J’aime beaucoup l’œuvre de Howard et, dans mes textes de Fantasy, je pense que je suis assez proche de lui. Par contre, je n’utilise absolument pas la même méthode de travail. Je suis un procédurier comme tu dis. La nuit où j’ai décidé de me lancer dans Suleyman, je n’ai écrit aucune ligne. J’ai simplement commencé à amasser des idées et des informations sur cette histoire. Je pense qu’on ne peut pas écrire un texte qui soit dramatiquement bien construit en se lançant à l’aveuglette dans sa rédaction. A mon avis, il faut d’abord maîtriser son histoire pour pouvoir ensuite la coucher sur le papier avec la meilleure organisation possible. Par exemple, pour Suleyman, la chemise où je classais mes notes, mes idées, mes personnages, mes synopsis etc... était aussi remplie au final que celle qui renfermait le manuscrit en lui-même.

E.C : Souvent, les écrivains avouent écouter certaines musiques pour accomplir leur oeuvre, cela leur permet de dynamiser leur prose. Pourrais tu nous citer des groupes ou certains styles de musiques qui t’aident justement pour écrire ou bien préfères-tu le silence ?
S.S : La musique est essentielle dans ma vie. J’ai suivi une formation de musicien classique au conservatoire et, depuis le collège, j’en écoute tout le temps. Mes goûts sont très variés. Dans Suleyman par exemple, j’évoque Blue Öyster Cult et Laibach, deux groupes complètement différents. Quand j’écris, j’écoute principalement des BO symphoniques, Basil Poledouris, Jerry Goldsmith, Hans Zimmer pour n’en citer que trois. Souvent, j’essaye de choisir un CD dont l’atmosphère colle à ce que je vais écrire. Récemment, j’ai écrit un roman d’Heroic Fantasy et j’écoutais beaucoup le score de La Mommie parce qu’il comporte des thèmes arabisants et mystérieux qui collaient bien à mon texte. Mais des fois, je vais aussi écouter des musiques entraînantes tel que de l’indus (KMFDM et Flesh Field par exemple) pour la force et la motivation qu’elles vont m’apporter.

E.C : Qui est Suleyman selon toi ? Pourrais tu nous le définir ?
S.S : D’un point de vue narratif, j’avais construit Zoé comme l’alter-ego du lecteur. Elle se pose les questions que le lecteur, en toute logique, doit se poser lui aussi. Suleyman lui, est le personnage par lequel arrivent les réponses. Il représente donc celui qui sait, dépositaire d’une sorte de sagesse qui lui a valu son nom puisque Suleyman est tout simplement une version arabe de Salomon.
Quant à ce qu’il est en tant que personnage, toute sa vie est liée au besoin d’en maîtriser seul le déroulement. C’est un homme qui ne veut pas recevoir d’ordre, un homme qui ne veut pas qu’on se serve de lui en le manipulant comme un pion. Au début du roman, il croit s’être affranchi de cette contrainte en quittant le service du Conseil de Schamsralia. Au cours de l’histoire, il prend progressivement conscience qu’il est manipulé et ce à des niveaux différents. Je ne peux en dire plus sans gâcher la surprise mais la conclusion de l’histoire, concernant le personnage de Suleyman, est directement liée à cette quête de la liberté absolue.

E.C : Pourrais tu nous expliquer de quelle manière tu établis des correspondances littéraires entre tes nouvelles ? On pourrait presque croire que ce " Multivers " est plutôt un prétexte qu’un véritable système cohérent comme celui de Moorcock. Etrangement, cela le rend très familier au nôtre. Je penserais presque à une temporalité, tellement les univers de tes nouvelles semblent se relier comme des époques. Tu uses parfois de simples allusions par des redites de topos comme par des personnages récurrents. On pourrait évoquer ta nouvelle " A force d’imagination " ou bien ton roman non encore édité " Seuls les Dieux " . Comment expliques tu cela ?
S.S : En fait, je m’attache beaucoup à mes personnages et je trouve toujours difficile de les abandonner une fois que le livre est fini. Aussi je ne manque jamais une occasion d’établir des passerelles entre mes textes afin de retrouver pendant quelques instants un personnage que j’aimais bien, le temps de le développer un peu plus. Avec le concept du Multivers, la création de ces liens devient presque évidente. Cela peut aller aussi plus loin que deux personnages qui se croisent. Par exemple : le pitch de « A Force d’Imagination », une nouvelle parue dans le dernier Faeries, est en fait une illustration des possibilités que j’évoque dans Suleyman en conceptualisant mon multivers. Dans cette nouvelle, on croise à un moment le personnage de Karn, qui est roi quand Mercenaire et Zoé passent sur son monde. Ce Karn est en fait le héros du roman d’heroic Fantasy que j’ai écrit. Le faire apparaître dans les deux autres textes me permet de le développer un peu, de renseigner le lecteur sur son parcours etc... J’y prends beaucoup de plaisir en tant qu’écrivain mais aussi en tant que lecteur quand je découvre de telles choses autre part. Et j’espère procurer cet intérêt et ce plaisir à ceux qui me lisent...

E.C : Te sens-tu plus à l’aise dans l’exercice de la nouvelle ou dans celui du roman ?
S.S : Je crois que la forme que je préfère est celle de la novella. Je redoute par-dessus tout les longueurs dans un texte et, en même temps, la nouvelle est un cadre très court où on ne peux pas développer. On doit tout mettre en place rapidement, personnages, univers, intrigue et chute/conclusion et c’est souvent frustrant même si, quand elle est gérée de main de maître, la nouvelle peut se transformer en petit bijou littéraire.

E.C : Sur quels rapports d’amitié définies tu les liens liant Suleyman à Mercenaire ?
S.S : La base de l’amitié qui lie ces deux personnages repose sur la confiance absolue qu’ils ont l’un en l’autre. Ce ne sont pas le genre d’amis à passer une soirée à discuter, leurs atomes crochus sont restreints. Mais ils savent tous les deux que l’autre sera là pour eux lorsqu’ils en auront besoin. Pour moi, c’est là le fondement de la véritable amitié : une confiance indéfectible et réciproque.

E.C : L’illustration t’inspire-t-elle ? Je pense à ce sujet aux belles couvertures de ton père. T’a-t-il durablement influencé dans tes goûts et ta façon d’écrire ?
S.S : Oui en effet : j’aime beaucoup l’art pictural et celui-ci peut m’influencer. Je fonctionne souvent par image et il arrive parfois qu’une toile particulière me donne matière à une ambiance, une lumière ou un personnage, que j’essaye ensuite de retranscrire à l’aide de mot dans mes écrits. J’éprouve une attirance particulière pour l’œuvre de Frazetta. Il y a une force et un mouvement dans ses toiles que je n’ai jamais vues autre part. Son Death Dealer a eu un impact sur moi, c’est clair !
Quant à mon père il a évidemment marqué mon enfance, par le biais de ses peintures bien sûr mais aussi par les passions qu’il m’a fait découvrir. A 8 ans c’est en l’aidant à ranger sa bibliothèque que mon regard tombe sur un vieux Bilbo, ma première lecture. A onze ans il me fait découvrir Fritz Leiber et Robert Howard, deux auteurs qui m’ont marqué étant jeune et qui me passionnent encore actuellement. Quelques années plus tard il est mon premier lecteur et surtout mon premier critique. Sans lui, je ne lirais pas ce que je lis, je n’écouterai pas la musique que j’écoute et, très certainement, je n’écrirais pas !

E.C : Comment définirais tu " Suleyman " ? Une Science-fantasy dans la sensibilité d’un Burroughs ou un Space Opera dans la droite file d’un Edmond Hamilton ?
S.S : Ca c’est la colle ! Je dirais que, parce qu’il a été publié dans une collection de SF il s’agit de SF (rires). Si on prend la définition de la Fantasy que fait Jacques Baudou dans son Que sais-je ? : notre univers dans lequel s’insèrent des éléments ou la globalité d’un autre univers, alors Suleyman est de la Fantasy. En même temps, la plupart des univers de Suleyman sont des univers de SF. Quant aux portails qui relient les différents mondes, ils pourraient relever du fantastique. En fait, je pense que Suleyman est d’abord un roman d’aventure et ensuite une œuvre relevant de l’imaginaire, tout simplement.

E.C : Quels sont tes projets littéraires ?
S.S : Mon premier amour, c’est l’Heroic-Fantasy dans une branche assez sombre et proche de notre ère médiévale. J’ai écrit un premier roman relevant de ce genre et il attend actuellement parmi les piles de manuscrits de quelques éditeurs. Comme il faut être patient dans ce métier, j’ai commencé un autre roman dans la même veine que je vais entrecouper par la rédaction de petites nouvelles.

E.C : Tout écrivain à des rituels quand il finit un roman. Serais tu capable de nous dévoiler l’un des tiens ?
S.S : Eh bien j’embrasse mon stylo, je l’essuie soigneusement et je le range dans son écrin de velours... non je déconne ! Je n’ai pas vraiment de rituel. Disons que, régulièrement, je vais recontacter tous les potes que j’ai négligés pendant mon travail pour les retrouver autour de quelques mousses...

NB : voir la critique de Damien Dhondt sur le livre Suleyman
et celle d’Emmanuel Collot Suleyman




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