9/10
On évoque volontiers, avec un vocabulaire guerrier, les affrontements auxquels se livrent des juristes, des avocats dans les prétoires et autres lieux de jugement. On parle de : « passes d’armes », de ferrailler, etc. D’où l’idée de K. J. Parker de prendre ces expressions au pied de la lettre et de transformer les avocats en bretteurs qui combattent jusqu’au premier sang, pour certains types de procès, à mort pour d’autres.
Dans Perimadeia, la triple cité qui impose sa suprématie au reste du monde, Bardas Loredan est l’un de ces avocats, depuis plus de dix ans. Ancien soldat, il commence à sentir la fatigue des années et voudrait se retirer avant d’être tué au cours d’une « plaidoirie ». Dans un procès, il affronte Teofil Hedin et gagne. La nièce de celui-ci décide de venger la mort de son oncle en faisant de Loredan un infirme.
Pour cela, elle convainc Alexius, le Patriarche de la ville, de lancer, en usant du Principe, un courant mi-magique mi-philosophique, une malédiction contre Loredan. Celui-ci s’exécute en sachant que la réaction sera terrible pour lui, à la hauteur de l’action.
Parallèlement, Temrai, un nomade des clans, arrive dans le cité et se fait embaucher comme forgeron grâce à sa maîtrise de la soudure des différentes parties d’une épée. Cependant, il est là pour découvrir les points faibles des défenses de la ville et préparer la conquête de l’orgueilleuse cité par les clans.
Alors que Loredan livre un combat mortel, avec une cote de deux cents contre un, la lame de son adversaire se brise au moment où il va s’avouer vaincu et mourir. Cette rupture inopinée est l’œuvre de Vetriz, une Îlienne, qui possède sans le savoir la maîtrise du Principe.
À la mort de son père, Temrai regagne les clans et en devient le chef suprême. Il a trouvé le moyen de conquérir la ville. Loredan, dans sa vie de soldat a fait partie de l’armée de Maxen, une armée qui a laissé le souvenir de massacres dans les clans. Devenu professeur d’escrime, il accepte comme élève une fille inconnue au nom de Iseutz Hedin.
Dans ce premier tome l’auteur distribue les rôles, éclaire sur les motivations des principaux personnages. Le passé de ceux-ci émerge et leur avenir se dessine. Elle nous fait entrevoir la structure des différentes parties qui vont s’affronter. L’intrigue s’organise et les éléments du drame se mettent en place.
K. J. Parker élabore et construit un univers qui, bien que se rapprochant de ceux habituellement rencontrés en fantasy, par la magie, par une société de type féodal, se démarque, avec une histoire attrayante et novatrice. Elle donne vie à un groupe de personnages intéressants et nous propose des profils psychologiques élaborés, complexes, à l’image de ceux de la réalité. Ses héros sont fatigués, ils doutent, s’exaspèrent au jeu subtil des relations humaines qu’il faut bien développer. Elle mesure les dimensions des choses et relativise le pouvoir et le savoir, en faisant, par exemple, un Alexius reconnaissant son ignorance par rapport au Principe, alors que son titre le désigne comme le maître en la matière, ou laissant Loredan s’enivrer régulièrement pour...
Cependant, elle qui détaille avec un soin presque maniaque tout ce qui compose le théâtre d’opérations des protagonistes, paradoxalement, les décrit peu physiquement, donnant quelques grandes indications.
L’auteur fait preuve d’une connaissance approfondie des armes blanches et de l’art de l’escrime. Elle fait de longues et érudites descriptions des épées, de leurs caractéristiques, de la fabrication à l’utilisation. Elle explique les différentes postures, positions et passes d’armes. Elle décrit, avec passion, la construction de machines de guerre et le travail du forgeron. Elle sait rendre vivantes et passionnantes toutes les descriptions, les intégrant de façon naturelle dans la trame de son récit.
Lorsqu’on sait qu’elle a été juriste et qu’elle occupe tout son temps libre à fabriquer des objets en bois et en métal, on s’étonne moins des précisions qu’elle apporte à toutes ses constructions. Elle sait, comme Temrai, lire les couleurs de l’acier pour définir le bon moment du traitement qui fera de la lame, une excellente arme, à la fois souple et résistance.
Il faut souligner la qualité de l’illustration et le rappel en lettrine, d’un détail de la couverture.
Les Couleurs de l’Acier est un roman fort agréable à découvrir. Il offre l’occasion de passer un excellent moment de détente.
Serge Perraud
La Trilogie Loredan : T.1 - Les Couleurs de l’Acier, K. J. Parker, Bragelonne, novembre 2005, 478 pages, 22 €