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"Poppy Z. Brite" de par Johan Scipion
Trop rapidement cataloguée écrivaine vampirique, un effet pervers du grand succès rencontré par Âmes perdues, son premier roman, Poppy Z. Brite a depuis largement démontré qu’elle maîtrisait toutes les nuances du fantastique et de l’horreur. Elle le confirme aujourd’hui avec Self made man, son second recueil de nouvelles, une occasion idéale de revenir en sa compagnie sur son parcours littéraire.
Avec le recul, que pensez-vous à présent de vos débuts ?
En réalité, ce n’était pas mon intention première d’écrire un roman vampirique, car je n’ai jamais été une grande fan des vampires. Par contre, j’étais assez impliquée dans le mouvement gothique, aussi bien en tant que participante qu’observatrice. Ce n’est peut-être plus aussi vrai aujourd’hui, mais à l’époque, à la fin des années quatre-vingt, les vampires étaient en quelque sorte une icône essentielle de cette sous-culture. Mais pour tout dire, j’ai commencé par construire les personnages avant même de savoir que c’étaient des vampires. Et puis, ils se sont progressivement accaparés l’histoire, jusqu’à la dominer entièrement.
Pensez-vous qu’il y ait dans votre œuvre une évolution logique des vampires aux serial killers ?
Quand j’écrivais sur les vampires, ils avaient pour moi un côté glamour, qu’ils ont perdu depuis. En revanche, je n’ai jamais ressenti quelque chose de similaire pour les serial killers. Je les trouve très intéressants, et j’ai effectivement beaucoup aimé Andrew et de Jay, les personnages de Corps exquis, mais ils ne sont absolument pas glamours à mes yeux. Ceci dit, je pense que, d’une certaine manière, les serial killers sont bien les vampires de notre société. Ils sont beaucoup plus terrifiants que les vampires ou les loups-garous, car ils sont bien réels. Un petit nombre de personnes croit au surnaturel, mais tout le monde croit aux serial killers. On sait qu’ils sont là dehors, et qu’il n’y a rien qu’on puisse réellement y faire. Ce sont les vampires de l’ère industrielle, les loups-garous du nouveau millénaire.
Vous écrivez dans votre présentation de Self made man, la nouvelle qui donne son nom à votre recueil, que vous l’avez composée pendant la rédaction de Corps exquis, parce qu’il fallait que, pour continuer le roman, vous vous libériez de votre fixation sur Jeffrey Dahmer.
Je pensais que les personnages du Corps exquis ne devaient pas trop ressembler à Jeffrey Dahmer. Bien entendu, il y a des ressemblances ici et là, et bien entendu Jay Byrne est directement inspiré de Dahmer, mais je ne voulais pas qu’il en soit la copie conforme. C’est pourquoi j’ai décidé d’écrire Self made man, une histoire dont le personnage central serait exactement semblable à Dahmer, ou du moins très proche. Cette démarche était effectivement destinée à me libérer d’une petite partie de mon obsession pour lui, de manière à ce que je puisse me concentrer sur la création d’un véritable personnage, plutôt qu’une simple copie carbone. Je pense que ça a fonctionné, mais je n’en suis pas certaine, car l’une des critiques les plus fréquentes à propos de Corps exquis est qu’il s’agit d’une simple novélisation de la vie de Jeffrey Dahmer. Mais si c’est bien le cas, j’ai dû manquer la partie où il rencontre un autre serial killer, celle où il vit à la Nouvelle-Orléans, celle où il est financièrement indépendant, et cætera, et cætera. Il est évident que Corps exquis est inspiré de la vie de Dahmer, mais je pense que c’est bien plus qu’une novélisation. Et puis, de nombreuses fictions s’inspirent de la vie réelle, et je ne vois pas quel problème cela pourrait bien poser.
Ces derniers temps, vous semblez avoir délaissé le fantastique au profit de l’horreur pure.
C’est certainement vrai d’Âmes perdues jusqu’à Corps exquis, mais Le Cœur de Lazare, le roman que j’ai écrit juste après, était une histoire purement surnaturelle, puisqu’il se déroule dans l’univers de The Crow. C’était l’une des conditions imposées : je n’avais pas l’obligation d’utiliser les personnages de la bande dessinée ou des films – tous ceux du roman sont de ma propre création –, mais il devait par contre impérativement s’agir d’une histoire de revenant, un mort qui retourne parmi les vivants pour se venger du mal qu’on lui a fait. Ceci dit, il est vrai que la plus grande partie de ce que j’ai écrit depuis lors ne touche pas au surnaturel, ce qui tend certainement à prouver que je m’en éloigne plus ou moins. Mais il n’y a rien de particulièrement délibéré là-dedans, et je ne sais pas s’il s’agit de quelque chose de permanent. Comme je l’ai souvent dit, je me laisse porter par mes obsessions du moment, et je ne sais jamais quelle sera la suivante (rires). On verra bien...
Justement, quels sont vos projets ?
Je travaille actuellement sur un roman, mais je n’aime pas beaucoup parler de ce que je suis en train d’écrire, parce que ça porte malheur. La seule chose que je peux en dire, c’est que ce ne sera pas du tout de l’horreur. En fait, ce roman sera extrêmement différent de tout ce que j’ai pu faire jusqu’à présent, et le seul point commun avec mes textes précédents, c’est qu’il se déroule à la Nouvelle-Orléans. Quant à mes prochaines traductions françaises, il y aura d’abord Plastic Jesus (dont le titre sera conservé en français, ndlr). Il ne s’agit pas d’un texte horrifique, puisqu’il traite avant tout de rock’n’roll et de l’histoire de la communauté homosexuelle américaine. L’action se déroule donc presque entièrement durant les sixties, et s’attache en particulier aux émeutes de Stonewall, qui se déroulèrent à New York en 1969 (événement fondateur du mouvement de revendication des droits des homosexuels, ndlr). La parution est prévue en mars 2002 au Diable Vauvert, en même temps d’ailleurs qu’ils publieront mon premier recueil d’articles, Guilty but insane (titre français encore inconnu, ndlr), dont les sujets, très variés, vont de la littérature aux récits de voyages, en passant par mon expérience personnelle du mal de dos chronique, et du système de santé américain, à propos duquel, je peux déjà vous le révéler, je n’ai rien de bon à dire (rires).
Pour en revenir au rock des années soixante, Self made man contient justement une nouvelle, Résurrection, sur ce thème.
Oui, ce fut une sorte d’entraînement pour Plastic Jesus, dans lequel le groupe de rock s’appelle également les Kydds. Il ne s’agit pas exactement du même groupe, mais les personnages de la novella ressemblent effectivement à ceux de la nouvelle. Ce qui est plutôt logique d’ailleurs, puisque dans les deux cas, ma principale source d’inspiration fut les Beatles.
Self made man
Poppy Z. Brite
Au Diable Vauvert
+ + +
Trad. Laurence Viallet, Nicolas Richard et Sylvie Denis
252 p.
Des douze nouvelles qui composent Self made man, la plupart furent à l’origine publiées dans des anthologies aux concepts parfois très pointus. Ce fut par exemple le cas pour Résurrection, une très sympathique histoire de fantômes, que Brite dut écrire d’après un tableau. Bref, il s’agit surtout de travaux de commande, de qualité et de longueur variables, mais qui présentent cet intérêt qu’ils soulignent que l’écrivaine laisse désormais libre cours à des styles et des genres d’écriture plus variés, du conte de fée homoérotique (Le Roi des chats, écrit avec David Ferguson), au récit pseudo-occulte (Mussolini et le jazz de La Nouvelle-Orléans), en passant par l’évocation historique (le très bon La Lune et le parfum des roses). Il n’en demeure pas moins que les textes les plus intéressants du recueil, Self made man et Délivrance, ce dernier écrit en collaboration avec Christa Faust, poursuivent dans cette veine horrifo-pornographico-gore qui a fait le succès de Brite, et dans laquelle elle semble décidément la plus à l’aise.