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"Guillermo Del Toro" de par Stéphane Thiellement
En deux films, Guillermo Del Toro a acquis une réputation fort justifiée. Cronos, vainqueur de plusieurs prix dont celui de la critique à Cannes en 1993, sorti seulement en vidéo (et récemment en DVD, copie parfaite, avec version originale sous titrée, format respecté, pas cher, chez Seven Sept Vidéo), renouvelait de manière fort originale le vampirisme. Mais c’est surtout avec Mimic que Del Toro sortit complètement de l’ombre. Cette géniale histoire de mutations d’insectes dans un New York peu reluisant, surprit par son traitement sérieux, son non-respect des codes du genre (les monstres tuent des enfants !) et un côté gothique assez inédit. Après trois ans de repos forcé, il nous revient avec deux films totalement différents : L’Échine du Diable et Blade 2.
Après Mimic, vous avez attendu 3 ans pour de nouveau réaliser. Vous ne trouviez rien d’intéressant ou les projets ne se montaient pas ?
La raison est tout autre. Ces trois années sont dues à des problèmes personnels. Mon père avait été enlevé au Mexique, et j’ai dû quitter le pays après qu’on l’eut sauvé. Il a donc fallu que je réorganise ma vie. Et c’est ce qui a fait que trois années furent nécessaires pour concrétiser le projet de L’Échine du Diable. Mais j’ai mis 16 ans à écrire ce film, à le penser, le corriger, obtenir ce que je souhaitais. Alors qu’est-ce que trois années en comparaison de ces seize années !... J’ai bien eu plusieurs propositions après Mimic et durant ces trois ans, mais je les ai toutes refusées, pour les raisons que j’ai déjà citées et parce que je voulais faire L’Échine du Diable. Il y avait même Blade 2. J’ai dit à New Line que s’ils me voulaient pour leur film, ils devraient attendre que je fasse L’Échine du Diable. À ma grande surprise, ils ont accepté, et c’est pour cela que les sorties des deux films sont voisines. Mais je voulais que L’Échine du Diable sorte avant Blade 2 pour que cela n’influence pas les gens. La France est le seul pays où les deux sorties sont aussi proches.
Avec L’Échine du Diable, vous restez dans le Fantastique mais différent de celui de Cronos ou de Mimic. Il y a moins d’effets spéciaux, c’est une ghost-story, un retour sur l’enfance et il y a ce côté réaliste avec la guerre civile espagnole en toile de fond...
Ce que je voulais, c’était plus une histoire avec un fantôme qu’une histoire de fantôme. Je voulais un mélodrame sur fond de guerre, un fantôme. Qui serait là pour nous expliquer ce qui détruit l’enfance. Parce que ces enfants sont comme ceux qui naissent mal formés, ceux dont on dit qu’ils ont “l’échine du Diable” parce que leur dos est tordu. Ces enfants deviennent orphelins et abandonnés à cause de la guerre. Et je voulais réunir tout ça dans un seul film, pour le rendre plus riche.
Pourquoi la guerre civile Espagnole ?
Oh... Il y a seize ans, je souhaitais situer l’histoire au Mexique, pendant la grande révolution. Je savais que cela mêlerait un fantôme, des enfants et la guerre. Mais une guerre nécessite un paysage de désolation, des immeubles détruits. Or, je voulais aussi situer l’action au milieu de nulle part, comme pour créer une sorte de microcosme de période de guerre, dans un endroit perdu. Et en fin de compte, la révolution mexicaine était trop énorme. Alors, quand j’ai enfin pu commencer à concrétiser le projet, j’ai pensé à la guerre civile Espagnole, très proche émotionnellement de cette révolution. Et c’était parfait : la métaphore ne marchait pas vraiment avec l’énormité de la révolution Mexicaine, mais se révélait ici comme je l’avais toujours voulue. Le financement ne posa pas de problème, j’en avais du Mexique, d’Espagne, de ce côté-là, ça a toujours été facile. Surtout grâce à Mimic. Vous savez, après Cronos, on ne me proposait rien, et je n’obtenais rien. Mais après Mimic qui a très bien marché, les choses furent plus faciles en ce qui concernait tout problème de production.
Quelles furent vos inspirations pour l’ambiance de votre film, pour votre fantôme ?
Je souhaitais qu’on soit fasciné par quelque chose d’horrible. Que mon fantôme soit surprenant, qu’on ait de la peine pour lui. Je ne me suis pas vraiment inspiré de films d’horreur. J’ai plus pensé à Los Olvivados de Bunuel, et à La Nuit du Chasseur, La Prisonnière du Désert de John Ford, Mario Bava, ... Et aussi quelques classiques du roman gothique.
La photo du film est très chaude, souvent ensoleillée. Ce qui est curieux pour une ghost-story où l’on s’attend à quelque chose de plus sombre, ténébreux.
Oui, parce que je souhaitais que cette ghost-story se passe sous le soleil, en plein jour. Une de mes inspirations pour L’Échine du Diable, c’était des plans comme dans les films de Sergio Leone ou John Ford. Je voulais quelque part, retrouver un peu de western dans mon film. Et en parlant avec le directeur de la photo, on a eu l’idée d’une tonalité très “ambrée”. ce qui était parfait car ainsi, tout en étant en plein jour, les personnages vivaient et existaient tout en étant comme enfermés, prisonniers dans de l’ambre. C’est ce que je voulais : qu’ils soient piégés, qu’il y ait du soleil, et la couleur ambrée était parfaite pour cela. Ça accentue encore plus certaines métaphores du récit.
L’ultime plan, où l’on voit l’acteur dire qu’il est un fantôme, est étrange. En même temps, ça clôt parfaitement l’histoire.
Hé bien, il y avait plusieurs traitements du scénario. Entre autres, le narrateur était l’enfant. Mais juste 3 mois avant le début du tournage, j’ai décidé de changer le monologue. Et je me suis rappelé Sunset Boulevard de Billy Wilder : tout le film est raconté par le personnage qu’on découvre mort à la fin. Je me suis dit que ce serait génial s’il y a un narrateur à cette histoire, et qu’à la fin, il dise : “Je suis mort, et je sais ce qu’est un fantôme !”. Je n’avais plus besoin d’un coup de théâtre final, d’une ultime frayeur. Cette fin-là est bien plus forte émotionnellement pour terminer le film.
Après L’Échine du Diable, il y eut Blade 2, et y aurait-il enfin le Hellboy que vous projetez de faire depuis des années ? On annonce que Vin Diesel pourrait l’incarner...
Blade 2, vous allez bientôt le découvrir. J’ai eu beaucoup de plaisir à faire ce film, surtout que les relations avec Wesley Snipes furent excellentes. Travailler sur un tel projet avec une star, dans un tel contexte, est proche du paradis. Si cela n’avait pas été le cas, j’aurais quitté le projet. Et puis Hellboy ; mais sans Vin Diesel. Je l’ai rencontré, et ça ne s’est pas très bien passé. Il n’y a pas eu de connivence entre nous, comme j’ai eu avec Wesley. Et vous savez, sans ça, votre film ne sera jamais comme vous le voyiez. Vin Diesel est très dur, difficile. Non, pour Hellboy, je souhaite vivement Ron Perlman. Avec lui, le film sera comme je le conçois.