7/10
Dans la Grèce antique, on les nommait les Broucolaques, dans ce nouveau monde qu’inaugure l’année 1691 on les appelle Vampires. Or, voilà que sur la côte est du continent américain débarque une cargaison étrange. Enfermée dans un long convoi de chariots bâchés de plomb, une congrégation de ces vampires va tout bonnement prendre le parti d’une conquête de l’Ouest, semant sur son passage corps vidés de leur sang et visages aux orbites vides de vie. Mais à trop vouloir faire la conquête de l’Amérique, on se heurte à forte partie. Un an après le débarquement de ces suceurs de sang européens, se montera à Salem la confrérie des chasseurs. Confrérie impitoyable, elle aura pour unique but l’élimination de ce gang de suceurs de sang. Autant dire que dans ce far-west où les légendes comme Billy le kid, Les Daltons et Doc Holiday, voisinent avec les lieux de grande gloire comme Fort Alamo, la partie va être des plus serrées. Car dans ce grand western où tout le monde pactise avec tout le monde, où les chapitres présentent des personnages différents suivant des histoires parallèles, rien n’est jamais certain.
Multiples narrations à la première personne, récits brefs comme histoires se déroulant sur des dizaines d’années, cet ovni voudrait redonner une jeunesse au western d’antan, et il faut reconnaître qu’il ajoute quelque chose de singulièrement fascinant, de plus universel aussi. Tout est brouillé chez Barrow, l’héroïsme est bafoué, les sauveurs sont parfois des enfants, la morale est hypocrite, et les gendarmes courant après les voleurs de potentiels criminels. Tout est confus, et pourtant c’est clair comme de l’eau de roche, rouge délavé, bien entendu.
Clamons le de suite, Wayne Barrow est le pseudonyme emprunté par le couple de compères formé par Mauméjan et Heliot, deux excellents prosateurs des genres de l’imaginaire en France. L’un a prêté la rythmique vive et alerte de sa plume, l’autre semble en avoir étoffé la dynamique de fond par un référentiel historiciste fort bien documenté.
Un style linéaire, les plumes conjuguées de Heliot et Mauméjan parviennent à donner une certaine facture " western populaire " au récit. De prime abord, là où le bât blesse, c’est dans cette trop évidente immédiateté de l’action, le fait que les fameux Broucolaques soient si vite introduits dans le récit. On pourrait penser que les auteurs auraient peut-être mieux fait de travailler plus à ce paramètre, car leur arrivée en début de récit semble un peu bâclée, trop évidente pour susciter un réel effet de surprise. Tout est dit dès le début, semble-t-il, alors qu’une Anne Rice aurait peut-être pris plus son temps, par des touches suggestives, tout en nuance, sans pourtant alourdir le récit.
Cela dit, les fans d’un Carpenter pourront bien au contraire fortement apprécier cette immédiateté de la confrontation, à l’image d’un genre comptant sur des scènes ayant pour seul but l’impact suscité sur le lecteur considéré comme un spectateur.
Ce qu’il aurait fallu à ce roman pour prendre toute son ampleur c’est bien des descriptions plus amples, des plans plein cadre à la John Ford. Cela manque de couleurs, de force, les personnages restent peu convaincants, les décors et les actions se délitent en une succession de scènes parfois très violentes sans jamais prendre d’envergure.
Et pourtant, ces personnages taillés dans la pierre brute sont pleins de vie, sans concession, et l’on est de nouveau partagé, interloqué, peut-être parce que lire un genre pratiqué par des Français souffre toujours d’un a priori défavorable, c’est culturel, quelque part. La question à se poser est de savoir quel avis on aurait donné si ce texte avait été l’oeuvre d’un Stephen King ? On aurait peut-être crié au chef d’oeuvre...
Ne gâchons pas notre plaisir. Ce récit reste une belle initiative romanesque et laisse augurer d’un certain avenir pour ce genre populaire à l’action très, peut-être trop linéaire, mais qui a l’avantage de sortir des complexes dans lesquels la fiction française populaire est demeurée trop longtemps.
Enfin, le point fort de ce beau roman à la couverture alléchante ce sont ces références multiples et précises à l’histoire américaine, l’économie, la politique. Là, Mauméjan semble s’ébattre comme un petit fou. Le résultat final est passionnant, même si un peu trop chargé parfois.
Les longues digressions vers des actions et personnages secondaires fonctionnent très bien, la fin est néanmoins trop rapide, bien qu’assez puissante, pour laisser un souvenir attachant.
Emmanuel Collot
Bloodsilver, Wayne Barrow (Xavier Mauméjan-Johan Heliot) , Mnémos/Icares, Couverture de Didier Graffet, 339 pages, 20 €.