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Scénario : Steven Zaillian
Avec : Russell Crowe, Denzel Washington, Armand Assante, Josh Brolin.
Distribué par Paramount Pictures France.
157 mn.
Sortie le 14 Novembre 2007.
Note : 9/10.
Les films de Sir Ridley Scott se suivent et ne se ressemblent pas. Une constatation qui peut paraître simpliste mais qui dans le cas précis du cinéaste de sa Gracieuse Majesté a son importance. Après un lancement de carrière fulgurant (« Duellistes » sélectionné à Cannes, le triomphe de « Alien », le succès critique de « Blade runner »), Scott se ramasse avec quelques films dont le désastreux « 1492 Christophe Colomb ». Et puis arrive la déferlante « Gladiator », qui dépasse les 100 millions de dollars aux States, chose qui ne lui était pas arrivé depuis « Alien » (si on remet au goût du jour les recettes). La suite continue sur cette lancée du moins avec deux films : « La chute du faucon noir » et « Hannibal ». Puis, histoire de se reposer un peu, il opte pour des films plus modestes avec deux comédies : « Les associés » avec Nicolas Cage et surtout « Une grande année » avec Russell Crowe et Didier Bourdon, petit voyage agréable sans prétentions dans le Luberon (où habite Scott) pour cette petite romance à l’eau de rose sur fond de soleils couchants du Sud de la France. Et aujourd’hui, le retour est ambitieux avec une fresque policière inspirée de faits réels, située dans les années 70, avec Russell Crowe et Denzel Washington, deux « oscarisés » face à face, pour un résultat très proche du chef-d’œuvre, « American gangster ». Sir Ridley s’est réveillé, et il est dans une très grande forme.
New-York, début des années 70. Frank Lucas (Washington) est l’impitoyable homme de main du caïd noir local. A la mort de ce dernier, Frank reprend les affaires. Très vite, il met en pratique les leçons de son mentor auxquelles il adjoint ses propres directives dont une en particulier : rester modeste, dans l’ombre, ne pas trop se montrer. Il découvre l’exceptionnel bon marché de la drogue en Asie, profite de la guerre du Viêt-Nam pour lancer un trafic énorme qui va lui ramener des centaines de millions de dollars, en utilisant la corruption militaire et d’autres canaux encore plus profitables. En quelques mois, Frank est devenu un des plus puissants gangsters de New-York. Même les parrains italiens lui tirent la révérence, non sans penser au dégoût que ce « nègre maffioso » leur inspire. De l’autre côté de la loi, l’inspecteur Roberts (Crowe) cherche à devenir avocat. Son intégrité lui vaut l’hostilité de la police métropolitaine. Pourtant, c’est lui qui est choisi pour constituer une brigade anti-drogue pour enrayer ce fléau à New-York. Luttant contre ses pairs corrompus et le gangstérisme urbain, Roberts commence à imbriquer les pièces d’un puzzle qui l’amènent à penser qu’un seul homme gère le trafic de drogue dans sa ville. A force de patience, d’observations et de déductions, Roberts va cerner Frank Lucas. Mais il est le seul avec ses hommes à croire à la puissance de Lucas : pour tout le monde, un « nègre » ne peut être aussi puissant. Un duel va alors se jouer entre les deux hommes, qui verra le démantèlement le plus impressionnant du crime organisé new-yorkais lié à la drogue. Et la chute de l’un amènera l’ascension de l’autre, comme toujours...
Deux destins, deux carrières, deux acteurs phares de l’actuel cinéma hollywoodien, pour un film qui ne tire jamais la couverture sur un plus que l’autre. Cette page de l’histoire du gangstérisme new-yorkais en plein cœur d’une guerre qui marquera les USA jusqu’à encore aujourd’hui (l’Irak suit derrière...) n’est pas des plus connues. Pourtant, elle est une des plus fascinantes. Mais en même temps, et là, Ridley Scott et ses acteurs l’ont parfaitement compris, elle est vraie, donc réaliste. Inutile de vous attendre à un portrait majestueux d’un seigneur du crime comme le fut Don Corleone dans « Le parrain ». Avec « American gangster », on entre dans le vrai gangstérisme, celui où tout populaire et puissant qu’il est, un caïd n’est d’abord et avant tout rien d’autre qu’un gangster, aux tendances psychotiques, qui veut la jouer philanthrope (même si il peut vraiment l’être en souvenir d’un passé...), mais qui se révèle n’être qu’une petite frappe un peu plus ambitieuse et, dans le cas présent, plus intelligente que l’ensemble de ses pairs, lesquels finiront par causer, directement ou non, sa perte. Si Ridley Scott l’a parfaitement compris, c’est qu’il laisse de côté ses artifices esthétiques au profit d’une mise en scène sèche et épurée. Parfois trop même. Il s’attache à son « parrain », s’appuie sur tout le charisme et le magnétisme d’un Denzel Washington dans une de ses meilleures compositions, lequel comprend aussi parfaitement son personnage, restant dans l’ombre, observant sans rien manquer, frappant en plein jour avec une violence extrême mais qui e l’enverra pas pour autant derrière les barreaux. On comprend aisément que la Mafia sicilienne ait vu d’un très mauvais œil ce petit délinquant exécuteur impitoyable devenir sans qu’elle s’en rende compte plus puissant qu’elle. Face à lui, un flic, intègre, jeune, idéaliste, qui n’aurait pas dû vivre vieux mais sur lequel une bonne étoile s’est penchée. Le genre d’individus qui renverse les situations mises en place depuis quelques décennies. Et pour lui, Russel Crowe retrouve l’excellence de son art pour le faire revivre. De ces deux icônes, de ces deux destins, « American gangster » est l’histoire. Le duel est parfaitement orchestré par Sir Ridley Scott qui a su se mettre au niveau de l’histoire et d’un scénario remarquable pour en faire l’œuvre qu’elle est. Le spectacle est passionnant, la fresque est grandiose, il manque juste ce petit quelque chose qui aurait pu en faire un chef-d’œuvre de la classe d’un « parrain » ou d’un « Il était une fois en Amérique ». Si c’est là le seul regret qu’on peut ressentir à la fin d’ « American gangster », dites-vous que vous aurez vécu un grand moment cinématographique malgré tout.
St. THIELLEMENT
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