Simon R. Green, avant de devenir le romancier dont les livres sont attendus, avec impatience, par des hordes d’aficionados, a vécu pauvrement et mangé, selon le terme consacré de « la vache enragée ». Avec un maigre revenu social, hébergé par ses parents, il décidait de se consacrer entièrement à l’écriture. Après plus de trois ans de refus, d’échecs, de retour de ses manuscrits (dans le meilleur des cas !), il prenait un emploi dans une librairie pour ...démissionner trois jours plus tard ! Les éditions « Ace » de New York lui proposaient un contrat sur le premier roman de Hawk et Fisher. Quelques temps après, il décroche la novellisation de « Robin Hodd-Prince des voleurs », le film de Kevin Costner.
Est-ce en souvenir de ces quelques jours que Simon R. Green fait de Toby Dexter, son personnage principal, un employé d’une librairie de Bath ? Ce dernier habite à Bradford-on-Avon. (Ville natale et de résidence de l’auteur : NdR) Il rentre chaque soir par le même train et contemple, assise toujours à la même place, une femme à qui il trouve une bouche merveilleuse, mais qu’il n’ose aborder. Il se contente de l’admirer pendant tout le trajet. Toby vient d’avoir trente ans. Il vit seul. « Il avait erré sans but à travers les jours et les années, n’avait pas senti le temps passer jusqu’au jour où, regardant derrière lui, il s’était demandé ce qu’il en avait fait. »
Or, un soir, en arrivant à la gare, il pleut fortement. La femme est près de lui, sans abri. Toby comprend que sa chance est là, juste le temps de lutter contre son fichu parapluie qui refuse de s’ouvrir... il la voit soudain emprunter une porte qu’il n’avait jamais vue, lui qui fréquente pourtant les lieux depuis très longtemps. Elle s’y engage. Lui, le parapluie enfin ouvert, la suit. Derrière la porte, le soleil brille. « Vous n’auriez vraiment pas dû faire ça » lui lance-t-elle en guise de bienvenue. Il a pénétré dans « Mystérie », le pendant magique de « Véritie » le monde réel. Son intrusion, permise car quelque chose a changé tout récemment dans les deux univers, va être le début de bouleversements. il est devenu sans le vouloir, sans savoir ce qu’on attend de lui, le Point focal, le responsable de l’avenir des deux univers...
Simon R. Green a l’art d’inventer des personnages peu communs ...dans leur banalité. Avec des protagonistes ordinaires dont il habille la modestie de réflexions et de situations, il donne à l’histoire, à l’intrigue, un climat, une dimension légendaire. Cependant, il prend du recul avec les péripéties, mesurant la réalité de l’action en fonction des capacités de ses héros. Ainsi Toby s’exclame : « Si je suis le champion de l’humanité, ...alors on est vraiment dans de beaux draps. » Mais, peu à peu, l’auteur donne à ses héros, au fil des événements, les moyens de se dépasser. Ils vont, ainsi, au-delà d’eux-mêmes parce que pris dans un engrenage, dans un mouvement et deviennent ce qu’ils n’ont jamais osé rêver. Mais n’est-ce pas le principe même de ce syndrome qui touche des personnes arrivées à un haut niveau de responsabilité, et qui faisant le point, se demandent : « Mais comment en suis-je là ? Est-ce bien moi qui suis dans cette situation ? »
Dans cette fantasy et cette fantaisie où l’auteur utilise, entre autres, une partie des mythologies nordiques racontant la genèse du monde, celui-ci mélange joyeusement les genres. Il développe même tout un volet sentimental, allant jusqu’à l’aveuglement de l’amour. Toutefois, derrière la façade humoristique et tonique de l’histoire, l’auteur génère dans ce livre, avec la description de scènes quotidiennes, un climat mélancolique, s’interrogeant sur le sens d’une vie, son côté dérisoire par la répétition de gestes qui n’apportent rien.
Certes, on peut reprocher certaines lenteurs, des paragraphes qui s’étirent. Un amaigrissement d’une centaine de pages aurait donné à ce roman le punch et le tonus d’un athlète de haut niveau !
Cela dit, Le Vin de minuit garde ses qualités, ses atouts et son attrait : une histoire attachante, des personnages superbes, un récit mené avec talent, humour et truculence nonobstant un petit ton désabusé.
Serge Perraud
Le Vin de minuit, Simon R. Green, L’Atalante coll. La Dentelle du Cygne, octobre 2007, 400 pages, 18,90 €