Jean-Paul Rappeneau
Président du jury
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Comme chaque année, le premier week-end d’Octobre est consacré à un excellent petit festival, celui du Film Britannique à Dinard. Et en 2009, il aura vingt ans. Et pour un tel âge, c’est un des Festivals qui est le plus en bonne santé. En trois jours, plus d’une trentaine de films sont proposés dont plus d’une vingtaine avant-premières (qui le resteront longtemps, malheureusement, comme on a pu le vérifier depuis toutes ces années de présence et de découvertes de petits bijoux toujours inédits chez nous même en vidéo comme « Dead man shoes » (Hitchcock d’Or 2004), « In my father’s den » (Hitchcock d’Or 2005), « Middletown », « Small engine repairs », « Mrs. Ratcliffe’s revolution », etc...), et six d’entre eux concourent en compétition pour gagner le Grand Prix ou plus exactement, dans le cas présent, le Hitchcock d’Or. Sur 8 ans de présence, les déceptions furent faibles (surtout une seule, le très mauvais « London to Brighton »), comparées aux Grands Prix amplement mérités (« Bloody Sunday », « Dead man shoes », « La jeune fille à la perle », le superbe « In my father’s den » et la bonne surprise de l’an passé « Hallam Foe »). Qu’en est-il de l’édition 2008 ? Un film remarquable domina tous les autres, le Grand Prix n’est ni bon, ni mauvais, la compétition ne vit pas l’émergence d’une œuvre écrasant les autres, mais sur l’ensemble des quatorze films vus en ces jours d’immersion au cœur de la Grande-Bretagne (Dinard accueillant en plus beaucoup d’invités pour ses films), il n’y eut point de vilain petit canard. Allez, c’est parti pour un tour d’horizon du cinoche britannique 2008...
En quatorze films vus en trois jours (soit deux de moins que l’an passé, pas beau de vieillir...), aucun n’était exécrable. C’est rare, ça, très rare. Pour faire simple, les avant-premières seront mélangées aux films de la compétition, lesquels seront mentionnés. Et comme d’habitude, on va commencer par le moins bon pour terminer par le meilleur avec dans cette catégorie là un seul film qui permit de retrouver Daniel Craig autrement que dans la peau de 007, mais on y reviendra. Au bas de cette sélection, on trouve « The market » de Ben Hopkins sur les activités d’un petit trafiquant turc qui cherche à s’enrichir coute que coute. Signé par un britannique mais se passant en Turquie, c’est l’exemple type du petit film pas désagréable mais plus anecdotique qu’autre chose. On passe à « Adulthood » de et avec Noel Clarke, suite de « Kidulthood » découvert il y a deux ans, chronique stéréotypée et caricaturale à l’extrême d’une certaine jeunesse dépravée british avec trafic de drogue, sexe, violence, le tout mieux filmé ici que dans « Kidulthood », peut-être un poil plus maitrisé mais à la fin, les deux se rejoignent. Vrai faux documentaire animalier inspiré par une excellente série TV, « La famille Suricate » ne suscite pas grand-chose si ce n’est qu’il constitue la preuve que ce qui marche sur une durée courte à la télévision ne fonctionne pas au cinéma. Seul point très positif du film, à voir en vostf car c’est la voix de Paul Newman qui narre les aventures de ces petites bestioles africaines. Son dernier rôle. Film d’ouverture, « My life so far » est un inédit de 1999 signé Hugh Hudson, une chronique familiale avec Colin Firth qui revient dans la demeure familiale, replongeant ainsi dans les secrets et autres vies de tout un chacun. Bien écrit certes, mais académique au possible. Dans le même genre, en plus plan-plan c’est dire, « Shadow in the sun » de David Rocksavage n’en finit pas d’étaler cette histoire d’un père et de ses deux enfants qui, au début des années 60 (aucun intérêt si ce n’est l’aspect autobiographique de l’auteur...), se « retrouvent » via l’intervention d’un jeune homme solitaire dans leur quotidien. Et voilà, on a fait le tour des moins bons de ces quatorze films. On continue progressivement vers le meilleur en passant d’abord par « Hunger » de Steve McQueen, jeune cinéaste british (et non pas spectre de l’acteur) sur l’histoire vraie de la grève de la faim des prisonniers de l’IRA qui voulaient avoir le statut de « prisonnier politique ». Caméra d’Or à Cannes, « Hunger » oscille entre des images coups de poing (le quotidien du gardien, excellent) et des facilités esthétiques et visuelles qui détonnent par rapport au sujet. Pas le chef-d’œuvre tant annoncé. Il y a quatre ans, Shane Meadows gagnait le Hitchcock d’Or avec son excellent petit film « Dead man shoes » (toujours inédit chez nous, même en vidéo), et depuis, chaque année, il revient. Avec souvent un film. Cette année, c’était avec « Somers town », moyen métrage en noir et blanc sur une étonnante amitié entre deux gosses (dont le petit teigneux de « This is England », le très bon précédent film de Meadows) un peu paumés dans les faubourgs londoniens. Très attachant au final. Depuis quelques années, Dinard n’hésite pas à montrer des œuvres de genre bien spécifique dans la sélection, à savoir même de l’horreur. Un seul titre cette année, « Eden lake » de James Watkins, version teen-agers des « Chiens de paille », la qualité en moins quand même, Watkins faisant fi des invraisemblances flagrantes qui émaillent son film, lequel est souvent énervant et haïssable mais qui ne laisse pas indifférent au final... « The club » de Neil Thompson est une chronique policière avec un paumé qui intègre u groupe de videurs, le transformant en un autre homme. Mais un règlement de comptes avec un gang risque de lui couter cher. Pas très bien maitrisé derrière la caméra, « The club » se rattrape avec un scénario et des personnages bien écrits, dominés il est vrai par l’imposant Colin Salmon, vu en bras droit de « M » dans les 007 avec Pierce Brosnan. Le « Hitchcock d’Or » échut, avec d’autres prix parallèles, cette année à « Boy A » de John Crowley, sur le parcours difficile de la réinsertion de Jack, un jeune meurtrier d’une gamine ayant passé son adolescence en taule. Nouveau nom, nouveau job, nouveau foyer, mais on n’efface pas son passé comme ça. Un sujet qui aurait pu donner un très grand film, surtout que l’acteur qui incarne Jack est excellent, épaulé par un Peter Mullan en instructeur toujours parfait. Mais la démonstration est lourde et pesante, les réponses étant toujours apportées, ce qui nuit considérablement à la force du film. Le seul autre prétendant au titre aurait pu être « The escapist » (un titre déjà vu il y a quelques années dans un polar rappelant furieusement « Prison break ») avec Brian Cox en vieux prisonnier qui décide de s’évader avec une poignée d’autres détenus pour voir une dernière fois sa fille qui est en train de mourir. C’est à la fois intense, abracadabrant, manquant singulièrement de force, avec une chute finale soit géniale pour les uns, soit ridicule pour les autres. Cox est remarquable comme d’habitude et il était même venu soutenir le film. Au bout du compte, il y a tant de choses dans « The escapist » qu’il en devient pas mal du tout. Directement en vidéo chez nous en Mars prochain sous le titre « L’ultime évasion ».
Et on arrive au tiercé de tête. En troisième position, « The edge of love » de John Mayburry avec Keira Knightley en jeune femme non-conformiste, en pleine seconde guerre mondiale, ses amours avec le poète Dylan Thomas, son amitié avec la femme de ce dernier : une chronique sentimentale douce-amère traitée avec justesse, où la belle Keira confirme ses dons d’actrice, dans un récit plus vivant qu’on ne le craignait (Maybury a signé le très mauvais « The jacket » auparavant...). Ce n’a pas la puissance d’un « Reviens-moi » mais l’ensemble séduit et captive rapidement. En deuxième position, le dernier film de Michael Winterbottom, « Genova » avec Colin Firth qui précisa juste avant la projection qu’il tourna ce film quasiment en même temps que « Mamma Mia » mais autant l’un est une comédie plus que légère, autant l’autre est un drame humain plein d’espoir d’une très grande force. Et c’est vrai avec cette histoire d’un père qui part travailler à Gènes en Italie avec ses deux filles après la mort accidentelle de sa femme provoquée en plus par la plus jeune. On pense souvent à « Ne vous retournez pas » de Nicholas Roeg avec la benjamine qui pense voir le fantôme de sa mère, mais là s’arrête la comparaison. « Genova », c’est le retour à la vie d’une famille détruite où les enfants ont énormément besoin de leur père et ce dernier de ses enfants. Le résultat est superbe, et Winterbottom signe ici peut-être son meilleur film.
Enfin, dominant tous les autres, « Flashbacks of a fool », premier film de Baillie Walsh qui avait écrit ce scénario il y a quelques années, l’avait montré à son ami Daniel Craig qui était intéressé, mais faute de financement, le projet fut ajourné. Puis vint 007, et Craig relança le projet qui se fit très rapidement... Il incarne Joe Scot, acteur à la gloire déclinante, en pleine déchéance (le prologue le montre à poil au pieu avec deux superbes créatures dans une baraque magnifique dominant le Pacifique, il y a pire comme vie, hein !) qui apprend le décès d’un ami d’enfance. Il repense alors à ce qui l’a amené là où il est aujourd’hui... magnifiquement photographié et réalisé, un scénario en trois époques, la centrale rappelant furieusement « Un été 42 » et Walsh le concède, c’était voulu, retrouver cet esprit insouciant et heureux du film de Robert Mulligan, au travers du portrait d’un adolescent au physique avantageux, découvrant l’amour et la passion, à la source d’un drame atroce (une séquence remarquablement mise en scène à l’issue inéluctable qu’on voit arriver avec horreur...) qui l’amènera au Joe Scot d’aujourd’hui. La dernière partie étant le retour vers le passé et le présent, superbe aussi dans sa conclusion, et l’ensemble rythmé par des choix musicaux excellents. Baillie Walsh et sa productrice étaient étonnés de ne pas être en compétition mais le côté indépendant des films sélectionnés, sans grosse tête d’affiche explique peut-être ce choix de la part des organisateurs. En plus de qualités cinématographiques indéniables, qui font que « Flashbacks of a fool », « Genova » et « The edge of love » ne furent pas sélectionnés en compétition alors qu’ils constituent à eux trois le meilleur de ce dix-neuvième Festival du Film Britannique de Dinard, toujours aussi riche, et prouvant de nouveau l’excellence de la qualité cinématographique britannique. De l’autre côté de la Manche, Dinard a sa petite renommée, et pour ses vingt ans, il y a fort à parier que l’évènement sera conséquent. Et d’espérer un vingtième Hitchcock d’Or qui soit à la mesure de cet anniversaire ! En attendant, guettez les nouveautés viéo pour découvrir certains inédits de cette cuvée 2008 comme « The escapist » par exemple, en attendant « Flashbacks of a fool » et à priori en salles, « Genova ».
Stéphane THIELLEMENT
(Remerciements à Dinard, ses organisateurs, & Michel Burstein & Yuki)
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