"Au-delà de la science fiction"
Laurent Sauze
La science-fiction, qu’est-ce donc que cela ? Pour nombre de personnes, c’est une chose évidente. Beaucoup en parlent, mais combien peuvent-ils la définir ? Et peut-on d’ailleurs circonscrire ce vaste domaine de l’activité imaginative à une définition ?
Il est bon, je crois, d’apporter quelques précisions à ce sujet.
Pour ses aficionados, c’est la seule littérature valable de notre temps. Pour ses détracteurs, ce n’est qu’un sous-genre pour adolescents attardés. La vérité est sans doute moins tranchée, et beaucoup plus complexe.
Le Petit Larousse écrit que c’est « un genre littéraire et cinématographique envisageant l’évolution de l’humanité et, en particulier les conséquences de ses progrès scientifiques (1) ». La plupart des auteurs de SF en donnent une définition analogue. Isaac Asimov, le grand maître du genre qu’on ne peut accuser d’ignorance en la matière, précise que « la science-fiction est cette branche de la littérature qui rend compte des réactions de l’homme aux changements qui se produisent dans le monde de la science et de la technologie (2) ».
D’autres vont au-delà de cette confrontation humain/science, en élargissant son champ. Ainsi Jean Pierre Andrevon écrit que « la SF est la littérature du collectif, alors que ce qu’on appelle le mainstream est la littérature de l’individuel... La SF propose à la fois un reflet décodé du monde et une réponse au monde (3)... ». Pour cet auteur français, ce domaine de l’imaginaire est bien plus qu’une simple fabrique de divertissements exotiques. Il apporterait des réponses à certaines questions que se posent les hommes sur leur place dans l’univers, au même titre que la philosophie, la métaphysique ou la religion.
Poul Anderson, quant à lui, nous montre l’écueil à éviter : « il faut distinguer la SF de la littérature fantastique. Ce dernier est un genre romanesque qui mêle indistinctement toutes sortes de phénomènes imaginaires (fantômes, loups-garous, magie etc....). Dans la SF, les phénomènes imaginaires sont supposés de façon même purement tacite entre l’écrivain et le lecteur, appartenir à un univers qui pourrait être, éventuellement, mis à l’épreuve pour l’homme. Le fantastique traite de ce qui n’existe pas, la SF nous parle de ce qui pourrait exister (4) ». Une telle distinction est importante à notre époque où fleurissent des œuvres de la veine de Harry Potter.
L’univers de la science-fiction est aussi protéiforme. J’en veux pour preuve la diversité des genres et des thèmes relevant de son domaine. Pour les premiers, je cite à titre d’exemples le space opera (opéra de l’espace) que la saga La Guerre des étoiles a fait connaître au grand public, la hard science-fiction (littéralement « science dure ») regroupant des œuvres dont le contexte scientifique est rigoureux et omniprésent comme dans Question de poids (1953) de Hal Clément, ou encore l’heroïc fantasy (épopée fabuleuse). Ici, les histoires se déroulent dans des âges reculés ou post-cataclysmiques, âges farouches et brutaux où se côtoient moeurs barbares, magie et sciences occultes. Le plus bel exemple en est Conan le barbare de Robert Howard (1906 - 1936).
Les auteurs ont créé et développé au fil des années un nombre bien défini de thèmes, tels que l’exploration de planètes, les robots et androïdes, les uchronies, les voyages dans le temps, la rencontre avec des extraterrestres, l’histoire du futur et d’autres encore. Certaines histoires sont entièrement construites autour d’un seul, mais souvent plusieurs se côtoient et s’entremêlent en une riche polyphonie. Le cycle des robots d’Isaac Asimov en est un bon exemple, car on y retrouve savamment mêlés les robots, les voyages dans l’espace, l’histoire du futur et des thèmes tenant de la littérature générale comme des enquêtes policières, des analyses psychologiques et même des études de mœurs.
On voit donc combien il est faux d’appréhender la science-fiction au travers d’archétypes bien tranchés. La vérité n’est ni noire, ni blanche, mais présente comme bien souvent une large palette de couleurs et de nombreux contrastes. Quand on l’évoque avec des gens n’en ayant qu’une connaissance confuse et fragmentaire, il appert que le grand public a souvent en tête quelques idées plus ou moins fausses, un certain nombre d’a priori qu’il est bon de dissiper dans ces lignes.
D’abord, pour beaucoup, la science-fiction est un courant récent daté tout au plus d’un siècle et demi. Voilà une assertion qu’il convient de modérer quelque peu. S’il est vrai que le début du vingtième siècle a connu une « explosion » du genre grâce aux revues populaires américaines faites de papier bon marché, les fameux pulps, la science-fiction remonte à beaucoup plus loin. Elle existe depuis des siècles sous les noms de « voyages extraordinaires », de « contes philosophiques » ou encore de « récits utopiques ».
Lorsque Lucien de Samosate, au deuxième siècle avant JC, fait voyager Icaroménippe de la terre à la lune, ou quand dans l’Iliade d’Homère (- 800 avant JC), on lit qu’Héphaïstos, le dieu forgeron fabrique deux robots féminins en or, c’est de la science-fiction. Cette divinité industrieuse ne s’est d’ailleurs pas arrêtée là. Car Zeus, le maître de l’Olympe, extrêmement courroucé par Prométhée qui a eu l’audace de voler à ses semblables le secret du feu pour le donner aux mortels, n’a pas uniquement puni l’impudent. Il s’est vengé en leur envoyant Pandore, la femme-robot modelée par Héphaïstos dans l’argile et l’eau. Elle a ouvert la jarre contenant les peines (c’est-à-dire la fatigue et la maladie). Cette histoire n’est-elle pas de la science-fiction ? Et elle fut inventée plusieurs siècles avant le Golem (Gustave Meyrink - 1912), et bien avant qu’on entende parler de Susan Calvin, la robot-psychologue (Asimov - 1941).
Citons encore le Somnium de Johannes Kepler (1634), Les Etats et Empire de la lune et du soleil de Cyrano de Bergerac (1657), L’homme au sable de E.T.A. Hoffmann (1817), Voyage au centre de la terre de Jules Verne (1864). Comme on peut le voir, les exemples ne manquent pas. Et si notre époque dépasse dans le domaine de la science-fiction celles qui l’ont précédée, c’est parce que sa science dépasse la leur. En outre, de nombreuses œuvres du passé ont été perdues ou oubliées.
Pour d’autres, les romans de SF ne sont que de la littérature de gare, indignes de figurer dans toute bibliothèque de qualité. Ici aussi, le propos mérite d’être tempéré. S’il est vrai que ce genre a produit et produit encore une masse importante d’ouvrages médiocres, son histoire est jalonnée d’œuvres majeures, et même de chef-d’œuvres. Sans oublier que l’avenir risque de nous en donner encore plein d’autres.
Et quoi ! Peut-on décemment dire que Voltaire (Micromégas (1752)), Jonathan Swift (Les voyages de Gulliver (1756)), ou encore Mary Shelley (Frankenstein ou le Prométhée moderne (1817)) sont des auteurs de gare ? Honnêtement, qui se risquerait à traiter Edgar Allan Poe (1809 - 1849) d’écrivaillon, lui qui fut vénéré par des Baudelaire et des Mallarmé ? Car le poète américain a écrit deux contes qu’on peut sans risque placer dans la sphère de la science-fiction. Il s’agit de La vérité sur le cas de Monsieur Valdemar (1845), énorme mystification contre le magnétisme sensé conserver les morts, et Mellanta Tauta (1948), conte philosophique d’anticipation se déroulant en 2848 après JC.
Mais il n’est pas nécessaire de dresser une liste exhaustive d’ouvrages ayant passé le jugement de l’Histoire, ce qui serait plutôt ennuyeux dans le cadre de cet essai, pour battre en brèche cette allégation de sous-littérature. Il me suffit d’abord de dire que des auteurs contemporains de littérature générale se sont risqués dans le créneau de la SF, et souvent avec bonheur. Qui n’a pas entendu parler de Pierre Boulle et de son fameux roman La planète des singes (1963) ? Moins connu est André Maurois qui écrivit La machine à lire les pensées (1937). La plupart du temps, ces écrivains refusent que l’on donne à leurs œuvres ce qualificatif, tant ils ont peur d’être brocardés par leurs confrères qui n’ont souvent que mépris pour la SF. En fait, seul le jugement des lecteurs est important, car il passe les années et les critiques.
Il me reste enfin à vous dire qu’un auteur tchèque a écrit trois pièces de théâtre de science-fiction. Il se nomme Karel Capek (1890-1938). La plus célèbre est R.U.R , abréviation du titre anglais Reson’s Universal Robots. Cet écrivain s’est toujours défendu d’avoir écrit une pièce d’anticipation sur la société mécaniste. Il a surtout pensé à l’humanité, à l’asservissement de certains hommes et à leur désir irrépressible de liberté, en inventant ses personnages de robots faits de chair et de sang, car c’est bien lui qui a créé ce terme qui signifie dans sa langue natale tout simplement « travail forcé ».
Pour beaucoup, les œuvres de SF sont essentiellement anglo-saxonnes, en particulier américaines. C’est exact que c’est le cas pour la majorité des romans et nouvelles, mais bien d’autres pays ont donné naissance à des auteurs du genre, et pas des moindres. Il est vrai que les écrivains français de science-fiction ont souvent eu du mal à se faire connaître, car les maisons d’éditions ont toujours eu tendance à favoriser les productions d’outre-Atlantique pour des motifs de rentabilité économique, contribuant ainsi à servir chez nous de relais à cette hégémonie culturelle anglo-saxonne que nous connaissons dans bien des domaines. Si vous qui me lisez en cet instant n’avez en tête que des titres provenant de là-bas, vous trouverez ci-après des exemples d’autres pays devenus pour certains des classiques :
Pour les francophones, j’ai déjà cité Pierre Boulle. Voilà dans le désordre Maurice Renard (Le Péril Bleu (1912)), Rosny aîné (la mort de la terre (1910)), l’inénarrable créateur de La Guerre du feu, Barjavel (la nuit des temps (1968)), ou encore Gérard Klein (Les seigneurs de la guerre - 1971)), sans oublier l’indémodable Jules Verne (1828 - 1905) ou encore Pierre Bordage et le populaire mais boudé par les critiques parisiens, Bernard Werber. Pour la Pologne, nous trouvons l’inclassable Stanislas Lem (Solaris (1961)). L’Allemagne a produit aussi des oeuvres de SF ; citons L’histoire sans fin (1979) de Michael Ende, Zone zéro (Herbert W. Franke - 1970) ou encore Le dernier jour de la création (Wolfgang Jeschke - 1983), une variation fort convaincante sur le temps, la politique et la folie des hommes.
Pour l’Italie, nous pouvons évoquer à titre d’exemples Le palais dans le ciel (Ugo Malaguti 1970), une science-fiction d’un onirisme envoûtant et Terra (Stefano Benni - 1983), un mélange étonnant de péripéties fantaisistes, de politique fiction et de digressions picaresques.
Je finirai mon énumération en m’arrêtant à deux auteurs très originaux :
D’abord le Tchèque Karel Capek. Outre les pièces de théâtre déjà citées, il écrivit en 1936 La guerre des salamandres que la critique qualifia d’utopie. Dans ce roman, ces créatures marines, taillables et corvéables à merci, et même comestibles, se révoltent sous l’effet pernicieux de la pensée de Karl marx. Elles représentent les Tchèques dans l’esprit de l’auteur. Cette fiction, sous des dehors fantaisistes, est une satyre amère des problèmes politiques de son temps, et surtout, deux ans avant l’Anschluss, une dénonciation du nazisme.
Ensuite, le trop méconnu Jorge Luis Borges (Argentine 1899 - 1986). Cet auteur aveugle a développé dans ses écrits le plaisir intellectuel devant le déploiement des possibles, leur jeu de miroir engendrant l’espace d’une fiction et le simulacre d’une virtualité. Ses œuvres ne s’embarrassent d’aucune scorie romanesque. Seul demeure le mécanisme envoûtant, mêlant la spéculation la plus paradoxale à la logique rigoureuse d’un scénario fantasmatique. Voyez d’ailleurs l’étrangeté de ces titres : La loterie à Babylone, L’aleph, Tlön uqbar orbis tertius.
Les gens peu ou mal informés s’imaginent que les histoires de science-fiction ne sont que pure distraction, des voyages excentriques dans des mondes illogiques. Voyages, - certes ! - car toute littérature est invitation au voyage. Mais s’il est vrai que la plupart des romans appartenant à cette catégorie peuvent être qualifiés de simples divertissements, ils n’en reste pas moins que d’autres sont porteurs de messages. Telle est d’ailleurs la caractéristique des principaux ouvrages majeurs d’anticipation ou de science-fiction telles les dystopies comme 1984 (1949) de Georges Orwell et Les meilleur des Mondes (1931) de Aldous Huxley.
Les lisant, on ne peut que constater leur brûlante actualité. Par exemple, Aldous Huxley démonte dans son roman les mécanismes de la dictature douce : manipulation in-vitro des embryons pour produire des humains strictement adaptés à la fonction qu’ils auront à remplir, fabrication en série de sous-individus, utilisation de technique néo-pavlovienne de suggestion, conditionnement chimique pour mieux accepter le réel (soma). Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Cela ne vous semble-t-il pas étrangement familier ?
Quand on y regarde de plus près, on se rend compte que de nombreux ouvrages du siècle dernier témoignent des peurs de leur époque, tels que Marionnettes humaines (1951) de Robert Heinlein écrit en pleine guerre froide et reflétant la paranoïa anti-rouge d’alors, ou encore Le troupeau aveugle (1972) de John Brunner, tableau angoissant d’une terre minée par la pollution. De telles oeuvres « engagées » ont fait dire à d’aucuns que l’auteur de SF est le témoin lucide de son temps, un témoin effrayé qui raconte une histoire apparemment improbable.
Certains écrivains ont traité de thèmes universels. Ainsi en est-il de Frankenstein ou le Prométhée moderne (Mary Shelley - 1817), qui est bien plus qu’un roman d’épouvante gothique, comme on le réduit trop souvent. La romancière anglaise aborde explicitement dans ce drame les questions de la morale et de l’éthique du scientifique, ainsi que les conditions de réception de l’invention par la société. Mais l’aspect généralement ignoré de cette œuvre est celui d’une fable sur l’exclusion pour cause de laideur physique. La créature, avide d’amour, est rejetée par tous, et par son créateur, qu’on peut assimiler à son père. Elle se venge alors sur les proches du docteur. Voilà donc une terrible parabole sur les conséquences que peut engendrer l’absence d’amour et de compassion.
Contrairement à un certain « roman » actuel offrant une vision intimiste de l’individu, la science-fiction a redonné à la littérature une dimension épique que la poésie comme le roman avaient perdue depuis l’époque romantique, hormis quelques exceptions telles que les romans sociaux et les épopées de Victor Hugo.
L’essence de la science-fiction étant l’analyse romanesque des conséquences possibles du progrès technique et scientifique sur la société, elle est par nature collective. Seul ce genre a donné ces dernières décennies des romans montrant des conflits titanesques entre civilisations (ex : Dune (1965) et le cycle qui s’en suivit de Frank Herbert), des histoires aux accents homériques dans lesquelles des forces cyclopéennes s’affrontent. Ces œuvres portent les mêmes qualités que les grands textes fondateurs comme l’Iliade et L’odyssée ou encore La Bible.
Dans un tel cadre, l’individu n’est plus vu à la loupe de sa petite existence égotiste. Qu’il soit victime ou héros, il subit des influences aux dimensions cosmiques qui conditionnent sa vie et modifient les fondements de la société dans laquelle il vit. Et par son action même, il peut modifier le cours des événements ou être englouti comme un point.
En outre, un décor aux vastes proportions, se mesurant en distances infinies, en puissances gigantesques ou en multitudes innombrables, permet des démonstrations plus éclatantes pour ces philosophes qui s’ignorent que sont les auteurs de SF. Sans le savoir, ces derniers ont renoué avec la tradition des géants (Gargantua) et des êtres d’ailleurs (Gulliver), ces créatures proto-humaines inventées par les poètes pour mieux mettre en lumière les défauts et les qualités des hommes.
On le voit, dans sa meilleure part, la science-fiction partage des vertus avec les genres littéraires les plus nobles (littérature classique, contes philosophiques, épopées, tragédies...). Mais il en est deux qu’elle a en commun avec la poésie :
En premier lieu, certains auteurs ont fait preuve d’une grande inventivité dans la création de mots nouveaux, ce afin de donner un cadre linguistique à l’univers qu’ils ont créé. S’il est vrai qu’une surabondance de néologismes pseudo-techniques nuit à la lecture, des termes inventés semés en touches impressionnistes créent une sorte de couleur locale. Citons par exemple la novlangue de 1984, ce langage appauvri sciemment afin d’empêcher la réflexion. Chez les écrivains de SF, cette « fabrication » linguistique s’opère de diverses manières. Elle peut se faire par affixation (« stellars » ou « planars » au lieu de dollars chez Régis Carsac) ou par analogie (« complanétriotes » chez Maurice Limat), ou encore par télescopage (« énervents », vent d’énergie chez Daniel Drode). Ils créent parfois des mots neufs (par exemple « beltes », « lamiges » chez Philippe Curval, ou « Xqiliq » et « Kzlem » chez Carsac) ou des termes pseudo-scientifiques (les très connus « hyperespace » et « antigravité »). Savez-vous que c’est Asimov qui a donné « robotique » au dictionnaire ?
Il existe une œuvre fort peu connue dans laquelle l’auteur fait preuve d’une inventivité sans pareil dans la forme et d’une grande émotion, qualités qui sont rarement réunies. Il s’agit de Des fleurs pour Algernon (1959) de Daniel Keyes, nouvelle puis roman. Charlie Gordon, un simple d’esprit, accepte d’essayer un traitement qui augmente son intelligence. Mais un jour, ses facultés déclinent, et c’est le drame atroce d’un homme qui peu à peu se sent retourner à l’état de bête.
Le génie de Keyes est d’avoir présenté cette fiction comme un journal écrit par le héros, et dont l’écriture trahit le niveau d’instruction. Au début rédigé de manière quasi phonétique par un illettré, le style s’améliore, s’affirme au fil des pages alors que ses facultés mentales se développent, pour devenir celui d’un scientifique lettré, puis se dégrade jusqu’à être à nouveau celui d’un attardé presque analphabète.
En deuxième lieu, les textes de science-fiction qui sont plus que de simples divertissements délivrent leurs messages, leurs idées, métaphoriquement, à l’instar de la poésie. Et faire de la poésie, c’est juxtaposer des idées de façon à inciter l’esprit du lecteur à comprendre des conceptions qui non seulement ne sont aucunes des idées explicitement énoncées, mais qui encore se situent à un niveau de conception plus élevé qu’aucunes de ces idées. Et cette idée centrale est inexprimable littéralement. Elle ne peut l’être que par la métaphore, dans une forme supérieure d’expérience intérieure faisant appel à cette faculté typiquement humaine qui nous permet de dépasser les limites de nos sens, en nous révélant les idées cachées derrière ce que le poète anglais Shelley appelle « le voile de la familiarité (5) ». C’est l’instinct poétique qui nous permet d’explorer des univers qui se situent au-delà des apparences sensibles.
Par la métaphore nous atteignons cette forme de « quatrième dimension », ce mystérieux, éternel et intemporel biotope où vivent les idées brutes et parfaites, dont nous ne pouvons apercevoir qu’imparfaitement les reflets sur le mur de notre caverne.
Quelques auteurs ont composé des œuvres se situant à ce niveau. Deux grands explorateurs de cette réalité dissimulée derrière les apparences sont le grand poète américain déjà cité, Edgar Allan Poe et Rod Serling, le créateur de la série The Twilight Zone, dont de nombreux épisodes sont de véritables contes métaphysiques télévisuels. Ces courtes histoires s’adressent à l’esprit autant qu’au cœur. Elles explorent les domaines abstrus de la pensée et les paysages énigmatiques de l’âme humaine en de subtiles métaphores. Là, le décor même peut en être une, se situant aux limites de l’esprit, dans ce cosmos riemannien de l’esprit appelée « the twilight zone », et qu’on peut traduire par aire crépusculaire ou zone de clair-obscur
Arrivés à l’issue de cet essai, peut-on encore affirmer que la science-fiction est une sous-littérature, un sous-genre pour adolescents attardés ?
Nous avons vu qu’il ne faut s’arrêter ni aux exemples apparents, ni aux plus abondants, pour découvrir la SF la plus riche, la plus belle et la plus profonde.
Que vous dire, amis lecteurs, si ce n’est de poursuivre votre quête, poussés par une inextinguible curiosité, et mus par une grande liberté, affranchis des modes et délivrés des miroirs aux alouettes des grandes maisons d’édition.
Car franchement, est-ce en allant s’alimenter à pleine main de bouffe insipide dans ces usines standardisées, qu’on peut découvrir les trésors de la gastronomie mondiale ?
Non, bien sûr !
Alors, il en est de même pour la science-fiction.
Notes :
(1) Edition 2008
(2) L’effet science-fiction - Denoël - Igor et Grichka Bogdanoff
(3) Idem
(4) Idem
(5)Dans Défense de la poésie - La délirante
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