En 2018, la planète est régie par un gouvernement global, lui-même subdivisé en consortiums qui gèrent, chacun, un secteur d’activité (l’alimentation, l’énergie, le sport...). Dans ce monde où les guerres ont disparu, les masses trouvent néanmoins un exutoire à leur agressivité dans le rollerball, mélange de rugby, de hockey et de polo qui génère des matches extrêmement violents. Jonathan E. (James Caan) est le champion absolu de cette discipline, véritable jeu de massacre. En dix ans de compétition sous les couleurs de Houston, il a tout gagné et jouit d’une incroyable popularité. Or, celle-ci en dérange plus d’un, à commencer par M. Bartholomew (John Houseman), l’un des dirigeants de cette gouvernance mondiale. Il presse Jonathan de prendre sa retraite pendant qu’il en est encore temps. Mais celui-ci s’entête et va, malgré tout, disputer les deux derniers matches du championnat...
Passant avec une égale maitrise du suspense policier (« L’affaire Thomas Crown ») et de la comédie musicale (« Un violon sur le toit ») à un univers futuriste, Norman Jewison a sans doute signé, avec Rollerball, l’un des grands films d’anticipation des Seventies - décennie qui fit la part belle à ce genre. Son esthétisme se retrouve à différents niveaux du film : décors froids, couleurs flashy, bande musicale (personne n’a oublié la Toccata en ré mineur de Bach accompagnant le tir de la balle d’acier dans la scène d’ouverture). Pour le reste, la distribution est impeccable. Etoile alors montante des studios hollywoodiens, James Caan a trouvé là un rôle à la mesure de ses qualités athlétiques. Son personnage n’en porte pas moins sa part d’humanité à travers ses nombreux questionnements. Il a, face à lui, deux vétérans du cinéma anglo-saxon, John Houseman et Ralph Richardson, qui campe un rôle savoureux de bibliothécaire suisse dépassé par les caprices de l’ordinateur. Quant à l’atout charme, il est incarné ici par la suédoise Maud Adams, top-model reconvertie dans le cinéma (elle sera par deux fois une honorable James Bond girl).
Au-delà de sa violence spectaculaire et baroque, Rollerball est un film qui offre plusieurs pistes de réflexion. Le retour à la cruauté des jeux romains du cirque est-il l’aboutissement inévitable du sport de masse ? Où en est l’homme moderne dans sa quête effrénée de sensationnel ? Qu’en est-il de la liberté personnelle dans un monde où le savoir est confisqué par des corporations jalouses de leurs privilèges ? Il faut sans doute s’arrêter sur la scène où Jonathan se rend à Genève pour consulter - mais en vain - des données historiques et découvre que le XIIIeme siècle européen a disparu de la mémoire informatique. Certes, elle s’inscrit dans une problématique d’adversité humano-cybernétique inaugurée, dix ans plus tôt, par Stanley Kubrick et son « 2001, l’odyssée de l’espace », mais elle mérite d’être méditée à l’heure de notre tout numérique. Comme doit être appréciée à l’aune de nos inquiétudes écologiques actuelles la scène - particulièrement troublante - où, au sortir d’une nuit orgiaque, un groupe de fêtards tire pour s’amuser au pistolet lance-flamme sur les arbres du parc.
Oui, Rollerball est un film majeur qui continue d’interroger notre présent.
Jacques LUCCHESI
Fiche technique de Rollerball
Science-fiction, USA
Durée : 2 heures 9 minutes
Année de sortie : 1975
Réalisation : Norman Jewison
Scénario : William Harrison et Norman Jewison
Costumes : Julie Harris et Ron Postal
Distribution (rôles principaux)
James Caan : Jonathan E.
John Houseman : M. Bartholomew
Maud Adams : Ella
John Beck : Moonpie
Moses Gunn : Cletus
Ralph Richardson : le bibliothécaire